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Elle

L'exposition a lieu dans quelques jours, je suis dans un état de stress que je ne maîtrise pas. D'ordinaire, je suis plutôt détendue et je prends les choses comme elles viennent, mais là je joue ma future carrière et je n'ai pas le droit à l'erreur. Les plus grands artistes seront présents et mon but est d'attirer l'œil de l'un d'entre eux. Lenny me rassure à ce sujet, l'art ce n'est pas son truc et je sais que parfois je peux le souler avec mes histoires ou mes explications.

Installée dans la salle de sculpture, je peaufine ma toile avec un dernier coup de pinceau. Cette pièce est l'unique endroit où je me sens créative, et son calme permet à mon imagination de déborder comme bon lui semble. Je recule de quelques pas et admire mon travail. C'est abstrait, seuls les passionnés peuvent comprendre ce que représentent ses traits dessinés au hasard. La couleur, est elle aussi importante, elle définit l'humeur et le message qui se trouve derrière.

Satisfaite, j'ôte mon œuvre du chevalet et vais la poser dans l'atelier du professeur qui m'autorise à utiliser son antre. Je me débarrasse de ma blouse après avoir rangé et nettoyé mon matériel. Je passe mes mains sous l'eau en frottant mes ongles pour faire disparaître la peinture. Je m'en mets souvent partout, je n'ai jamais su faire proprement, le principal est le résultat, et peu importe, si mes doigts et mes tenues subissent le désagrément de ma créativité. Je récupère mes affaires et quitte la pièce. J'erre dans les couloirs quasiment vides de la fac tout en vérifiant mon téléphone, et mes lèvres s'étirent quand je découvre que j'ai reçu un message de Lenny.

[Bébé, je ne vais pas pouvoir venir te chercher. On se retrouve chez toi dans deux heures ?]
J'esquisse une grimace. Depuis quelques jours comme ma voiture refuse de démarrer et que je n'ai pas le temps de m'en occuper, mon petit ami me sert de chauffeur. Lenny me rejoint chaque matin au café en bas de chez moi où nous partageons notre petit déjeuner avant de commencer nos journées respectives. Lorsque j'aurai terminé mes études, nous avons décidé de nous installer ensemble dans son loft. Il est ingénieur dans l'aéronautique et gagne plutôt bien sa vie, mais ce n'est pas ce qui m'importe. Je ne suis pas une jeune fille vénale ou matérialiste, je me contente de ce que j'ai.

Je finis par lui répondre un simple ok, plus vexée de devoir dépendre de lui que le fait qu'il ne puisse venir me chercher. Je dois vraiment m'occuper de cette voiture. Je franchis les portes en bois et traverse le parc en maudissant le froid qui s'installe doucement dans la région. Pour autant, j'aime déguster une boisson chaude en terrasse d'un café à cette période, pour autant je déteste être gelée de la tête aux pieds. D'un pas rapide, je foule le bitume en resserrant les pans de mon manteau autour de mon cou. Lorsqu'une voix féminine m'interpelle.

— Aliona !

Je me retourne et aperçois Cathy, ma meilleure amie censée être à son cours de théâtre. Je hausse un sourcil interrogateur lorsqu'elle arrive à ma hauteur. Son visage rouge et son souffle saccadé d'avoir couru m'amusent. Cathy n'est pas sportive, déjà au lycée elle séchait ou prétextait une entorse à la cheville pour ne pas participer au cours d'athlétisme.

— Que fais-tu ici ? demandé-je intriguée.

Elle se redresse avec un sourire forcé, glisse une main dans ses cheveux blonds ébouriffés pour essayer de les recoiffer.

— Un petit chocolat chaud, ça te tente ?

— Toujours, réponds-je en passant mon bras sous le sien.

Nous prenons la direction du café dans lequel je me rends chaque matin avec Lenny. Mais cette fois-ci, nous nous installons à l'intérieur. Mon amie se débarrasse de son manteau, puis son air songeur m'interpelle.

— Quelque chose te tracasse ?

— C'est Hugo, avoue-t-elle.

La particularité de Cathy, c'est qu'il n'y a pas besoin de la cuisiner pour savoir ce qui la travaille. Elle déballe tout sans y aller par quatre chemins. Hugo est son professeur de théâtre et elle a craqué sur lui, seule ombre au tableau, il ne la remarque pas. Il la considère comme une simple élève et d'après ce qu'elle m'en dit, il l'ignore la plupart du temps lors des répétitions.

— Que s'est-il passé ?

— Il m'a carrément mise sur la touche. C'est pour ça que je suis là, il m'a virée de son cours !

— Quoi ? Mais pour quelle raison ?

Elle se mord la lèvre et fuit mon regard, la connaissant elle a dû encore se fourrer dans le pétrin. Cathy est incorrigible, combien de fois l'ai-je tiré d'affaire de ses plans foireux ? Beaucoup de fois !

— Et bien, je l'ai peut-être un peu énervé.

— Et comment ?

Je m'écarte de la table tandis que le serveur nous dépose nos consommations. Je le remercie et offre un regard assassin à ma meilleure amie.

— Rien de bien méchant, je lui ai juste dit que par moment il était tellement rigide qu'on pouvait voir le balai coincé dans son cul ressortir.

Je prends un air offusqué, mais je ne tiens pas longtemps et explose de rire. Elle est unique et cela lui jouera des tours d'avoir autant de franchise.

— Cathy, tu ne peux pas dire ça à ton prof.

— Oui, mais au moins il m'a remarquée cette fois, rétorque-t-elle tout sourire.

— Pas de la façon dont tu l'espérais.

— Pas grave, il sait que j'existe maintenant.

Elle hausse les épaules avec une petite moue attendrissante. Puis nous discutons de choses et d'autres. Elle me promet qu'elle sera là pour me soutenir à l'exposition et que si aucun de ces hommes guindés ne voit la véritable artiste que je suis, c'est qu'ils n'ont rien compris. Elle me remonte le moral en disant que je suis la meilleure et que je percerai dans ce domaine. Je me force à la croire, rien n'est joué tant que ce n'est pas passé.

Après une heure de papotage intensive avec Cathy, je retrouve mon appartement. J'amorce un fond de musique et me dandine jusqu'à la cuisine. Je vais préparer le repas en attendant l'arrivée de Lenny qui ne devrait plus tarder. Je m'affaire à ma tâche avec envie, l'omelette aux pommes de terre et lardons est un des plats simples que mon petit ami apprécie. Je coupe le feu au moment où la sonnette retentit. Je me précipite vers l'entrée, Lenny se trouve juste derrière un bouquet. Je me saisis de celui-ci en souriant.

— Pour m'excuser de ne pas avoir pu être là.

Je pose les fleurs sur la console et l'embrasse. Il me rend mon baiser avec un peu plus d'ardeur. Je me laisse faire et alors qu'il claque la porte, je me retrouve plaqué contre celle-ci. Ses doigts glissent sous mon pull et je ne peux m'empêcher de gémir, son bassin se colle au mien et son envie pour moi est plus que présente.

— Je n'ai pensé qu'à ça toute la journée, murmure-t-il.

Il attrape ma main et m'entraîne avec lui dans ma chambre. À peine avons-nous franchi le seuil qu'il me déleste de mes vêtements avec rapidités, puis il fait de même avec les siens. Nous nous retrouvons sur le lit et ses caresses précipitées m'annoncent la couleur. Lenny ne me laisse pas le temps de réagir qu'il est déjà en moi, ses hanches claquant contre les miennes. Son souffle saccadé contre mon oreille m'indique qu'encore une fois, je n'atteindrai pas le nirvana. C'est sans doute la seule chose que je puisse lui reprocher dans notre couple. Il ne tient pas compte de mes envies, les préliminaires sont pour lui inutiles quand on aime la personne. Et faire l'amour ailleurs que dans un lit n'est pas envisageable non plus. Je ne lui dis plus rien à ce sujet, entraînant souvent une discussion à sens unique, il a d'autres qualités alors je ne m'en formalise pas plus que ça.

Quinze minutes plus tard, nous sommes installés devant les infos tout en dégustant l'omelette qui n'a pas eu le temps de refroidir complètement. C'est ça aussi les parties de jambes en l'air avec Lenny, elles sont très courtes, intenses pour lui, mais pas pour moi. Je reste silencieuse et il ne remarque pas ma frustration, bien trop focalisé sur ce qu'il se déroule sur l'écran.

Sombre DériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant