10. La Conversation

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On était devant la porte de sa maison. Comme à chaque fois, le trajet s'était passé dans un silence mortel. Marin et moi ne sommes pas amis, ce n'est pas possible. Des amis ont toujours quelque chose à raconter et ils ne se font pas du mal. Peut-être que l'amitié entre moi et Marin est simplement toxique, comme chaque relation que je peux entretenir avec un garçon...

On entra dans son salon. Il était vide. Dans un premier temps car ses parents n'étaient pas là, mais également parce qu'il était démesurément grand. Le grand nombre de meubles ne pouvait pas le combler, et je suis sûre que même lorsque les Jones ont des invités ou bien que tout le monde parle fort, on ne cesse jamais d'entendre l'écho de nos voix creuses. Je n'osais pas complimenter sa maison par politesse car j'étais persuadée que Marin ne l'aimait pas. Je sais qu'il est très différent de sa mère et à mon avis vivre dans ce luxe ne lui plaît pas.

J'enlevai mes chaussures à l'entrée, chose que Marin ne fit pas. On monta l'escalier qui menait à sa chambre. Sur ce point, sa maison paraissait ressembler à la mienne. Un fois à l'intérieur, je posai mon sac à côté du lit et m'y assis. Lui resta debout en face de moi et ferma la porte à moitié. Il sa cala contre un mur, les mains dans le dos.
<< Je t'écoute.
Je ne savais pas quoi lui dire, je voudrais juste en finir.
- On en était où déjà ?
Je faisais semblant d'avoir oublié. J'étais trop gênée de me retrouver dans sa chambre, c'était trop intime et ce n'était absolument pas ce dont j'avais besoin en ce moment.
- Je crois que tu me disais à quel point je suis un connard avec toi.
- Ah oui...
C'était exactement ça, et ça me tuait qu'il ne s'en rende pas compte. Peut-être faisait-il semblant pour mieux me manipuler. Je ne sais vraiment pas quoi penser de lui.
- Tu pourrais développer ?
J'avais du mal à lui parler, je ne savais pas par où commencer. Il m'intimidait et la pièce dans laquelle on se trouvait n'arrangeait rien. On aurait pu rester dans son salon. On aurait dû.
- À quoi bon, qu'est-ce que ça changerait ? Si c'est ton caractère d'être comme ça et de traiter les gens comme de la merde, tu ne pourras pas le changer.
Il parut étonné et haussa les sourcils.
- Je sais qui je suis, je sais que je peux paraître hautain ou bien insolent. Mais avec toi j'ai essayé de bien agir. Et si j'ai raté dis-moi pourquoi.
Je n'avais encore jamais rencontré cette aspect attendri de sa personnalité. C'était très déstabilisant et j'avais l'impression de ne pas être devant le même Marin qui s'amuse à me torturer l'esprit.
- Il t'arrive trop souvent de...
Je cherchais les bons mots afin d'être claire et de ne pas avoir à répéter plusieurs fois la même chose. Je voulais sortir d'ici.
- ...j'ai l'impression que tu essaies de me faire du mal. Tu te mêles de mes affaires et lorsque tu n'obtiens pas les réponses qui te conviennent tu te vexes, ou alors tu fais semblant de t'en foutre. Ou alors tu fais semblant de t'intéresser à moi. Je ne sais pas, tu ne paraîs pas m'apprécier, et je peux le comprendre, mais alors pourquoi m'avoir embrassée ? Et cet autre jour où...
- Waouh.
Je m'emportais. Sans même m'en être rendue compte, j'avais évoqué notre baiser alors que c'était le sujet que je comptais éviter à tout prix. Marin paraissait abasourdi et je crois même l'avoir vexé. Je pouvais enfin percer ses émotions, qui étaient étrangement aveuglante.
- Je suis désolée, je ne voulais pas...
Il croisa les bras et son regard se fronça.
- C'est juste que je t'avais déjà parlé de mon ex-copain avec lequel ça c'est mal terminé, et tu n'aurais pas dû... balbutinais-je.
Je n'arrivais pas à finir mes phrases avec Marin me fixant de la sorte. Je détournai le regard et eut envie de me cacher très loin pour fuir la honte qui me dévorait.
- J'avais bien cru comprendre que c'était ça qui t'avais dérangé, lorsque je t'ai embrassée.
L'entendre prononcer ce mot me faisait ressentir mes papillons dans le ventre. Je ne devais pas.
- Non, ce n'est pas ça...
Bien sûr que c'est ça.
- Mais si ! Je pensais que c'était ce qu'on attendait tous les deux, et j'avais oublié cette histoire avec ce gars.
- Je peux te dire que moi je m'en rappelle très bien...
Oh que oui !
- ...mais bref, on avait dit qu'on faisait comme si rien ne s'était passé.
C'est ce que j'aurais voulu, mais ça reste encré dans ma tête et je ne peux m'en détacher.
- Non, Hannah, on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé ! Ce n'était pas rien !
Il paraissait presque énervé. Ce genre de crises était devenu tellement normal pour moi que j'en oubliais que ça avait pu paraître brutal pour Marin.
- Je n'ai pas vraiment envie de revenir là dessus.
- Pourtant, si tu voulais bien tout me raconter, alors peut-être que je comprendrais qu'elle est cette peine que tu contiens.
Je ne pourrais jamais tout lui dire. Je ne pourrais jamais lui parler de mon père, de Jacob qui est un loup, de Forks...
- C'est passé, c'est tout.
Son regard insista.
- Pourquoi tu ne commencerais pas ? lui proposais-je.
- Pardon ?
C'est vrai, je le sens chaque fois que je le vois. Marin aussi souffre de quelque chose, et je refuse de me confier à lui s'il ne fait pas de même.
- Pourquoi est-ce-que tu es comme ça ? Si indifférent, si perplexe... D'où est-ce-que ça vient ?
Découvrir le mystère derrière ce personnage était devenu une fascination.
- C'est ma personnalité, comme tu l'as dit.
Il essayais de m'avoir. Plus on souffre, plus on arrive à détecter la souffrance chez les autres.
- Je le vois bien, Marin...
Son visage se crispa à l'entente de son prénom. Il réfléchissait. Peut-être que j'allais gagner cette fois.
- Alors on fait un marché ? Je te dis tout et tu me dis tout.
Non, pas tout.
- Ok.
Je vis qu'il hésita avant de se lancer. Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre venant de lui. Sûrement au pire.
- C'était il y a peut-être une année ou deux de cela. J'étais en couple avec une fille.
Mon cœur se bloqua. Comme une pointe de jalousie injustifiée. Je n'arrivais pas à croire que Marin ait pu être en couple avant. Ce n'était pas non plus irréaliste, il est plutôt séduisant.
- Je sais, ça peut paraître bizarre, ria-t-il nerveusement.
Il n'était pas à l'aise et je le percevais. C'était trop étrange de pouvoir sentir ses émotions.
- Et il se trouve que...
Lui aussi ne voulait pas se confier à moi, c'est dur ce genre de chose.
- ...c'était vraiment bien entre nous. Je veux dire que je me voyais finir avec elle, et je suis sûr qu'elle aussi.
Je me mis à serrer les dents pour ne pas intervenir. J'aurais voulu lui demander pourquoi m'avait-il alors embrassée sachant qu'il pense encore à elle, ça se voit. Ou alors peut-être que j'aimerais qu'il pense ça de moi. Non.
- Mais un jour, j'ai décidé de me livrer à elle et je lui ai révélé un secret sur moi qu'elle n'a pas su endurer. Elle a pris la fuite car elle a eu peur. Sûrement que ce n'était qu'un prétexte, mais je pense qu'elle savait qu'elle allait devoir faire des efforts de plus pour notre couple et ça c'était trop pour elle.
Quel secret ferait fuir une fille réellement amoureuse ? Je n'ai pas fuit Jacob lorsque j'ai appris que c'était un loup.
- C'était quoi ce secret ?
Je n'aime pas les secrets. Ça rend fou et ça gâche tout.
- Je suis malade.
Je ne compris pas tout de suite ce qu'il voulu dire alors je ne réagis pas. Cela ne le choqua pas, ce qui est normal sachant qu'il est lui-même insensible.
- Mais la maladie n'importe pas, moi je m'en fou. Elle a sûrement dû flipper que je puisse mourir et la laisser seule alors elle est partie avant que ça n'arrive.
J'étais immobile, je ne savais pas quoi dire. Je ne pouvais pas imaginer que Marin endurait tant de choses. C'est peut-être pour ça qu'il fume, parce qu'il estime que sa vie prendra bientôt fin.
- Je... Je suis désolée pour...
- Ce n'est rien, me coupa-t-il.
Il avait pris son air tragique qui me faisait de l'effet. Si ça avait été quelqu'un d'autre que lui, je l'aurais pris dans mes bras frêles et aurait même pleuré. Mais c'est Marin, alors je ne peux pas. Pourtant je voudrais lui dire quelque chose, mais quoi ? Il prendrait tout mal.
- Je te rassure, je vais bien. J'oublie même cette fille, et tu m'aides. Mais ça a été dur d'être abandonné comme ça.
Je l'aide ? Comme lui m'aide à oublier Jacob ? Non, je ne peux pas me servir de lui comme d'un pansement sentimental, c'est injuste !
- À toi, dis-moi tout.
Non, non je ne peux pas. Le fait que je doive prononcer le nom de Jacob a voix haute m'effraie. Ma respiration s'accélère et je salive.
- C'est trop dur, murmurais-je entre deux expirations.
Son regard croisa le mien et me donna un semblant de courage.
- C'est vraiment rien à côté de ton histoire...
Je fermai les yeux un instant pour essayer de m'imaginer ce que j'allais lui raconter. Évidement, je ne pouvais pas tout révéler. De plus, ce qu'il venait de me raconter perturbait mon esprit qui n'arrivait pas à réfléchir.
- Il y avait ce gars, Jacob...
Je mordis ma lèvre inférieure presque jusqu'au sang. Marin le remarqua et caressa ma jambe avec son pied, tout en restant suffisement loin de moi. C'était lui qui me forçait à raconter tout ça, je ne le voulais pas. Ou alors peut-être que si ? Peut-être que me livrer me permettrait de me soulager. Autant essayer.
- ...on était fous amoureux l'un de l'autre.
Aucune émotion ne paraissait sur son visage. Il n'était pas jaloux, et donc pas attaché à moi. Ouf.
- Et comme tu le sais déjà, je suis venue ici après l'avoir quitté.
Que dire d'autre ? Je ne peux pas me lancer sur le sujet de mon père.
- Si je ne le quittais pas, je crois que j'en serais morte.
Marin ne disait rien, il écoutait attentivement le peu de mots que j'arrivais à prononcer.
- On vivait une relation toxique et il refusait de l'admettre. Je ne pouvais pas vivre avec lui parce qu'on était trop différents. Il m'aimait trop, et c'en était effrayant parce que je savais pertinemment que je ne pourrais jamais l'aimer autant. Et puis, il y a eu d'autres incidents que je n'ai pas besoin de te raconter.
Il en attendait encore, il n'était pas satisfait. Pourtant, j'avais l'impression d'avoir vomi une bonne partie de la peine qui me rongeait depuis tout ce temps.
- Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on aurait vraiment pu être heureux si on avait été égaux. On peut dire que lui aussi avait une sorte de maladie qui le rendait... Je ne saurais même pas te dire.
J'en disais déjà trop. Un peu plus et je révélais sa vraie nature.
- Et j'ai merdé, mais je ne le regrette pas. Le truc c'est que je sais que ça le tue, qu'il n'est pas bien là-bas à Forks, qu'il ne survivra pas sans moi...
Les larmes coincées aux coins de mes yeux essayaient déjà de se frayer un chemin pour glisser le long de mes joues. Je vins cacher mon visage entre mes mains, accoudée sur mes genoux.
- Et je n'arrive pas à l'oublier ! Alors même qu'on est resté ensemble seulement un petit mois ! Mais on a vécu des choses tellement fortes...
Je relevai mon visage pour oser affronter le regard de Marin. Il paraissait adoussi, je devais sûrement faire de la peine.
- Tu vois ce n'est rien à côté de toi.
Il ne dit rien. Il n'avait jamais rien à dire après tout. Mais il pourrait au moins me remercier de lui avoir enfin dit tout ça, même si ce n'est qu'une partie infime de l'histoire.
- Mais ce n'est pas pour autant que tu devais me forcer pour que je te dévoile ça !
C'est vrai, j'avais l'impression d'avoir été forcée. Je ne lui aurais jamais dit tout ça sinon, et je n'en avais jamais eu envie. C'est sûr que ça m'a fait du bien, mais je me serais passée de pleurer une nouvelle fois devant lui.
- Ne dis pas ça, je suis sûr que tu te sens soulagée.
Encore une fois et comme toujours, il croyait tout savoir de moi, savoir ce que je ressentais. Ce n'était pas le cas. Il se rapprocha un peu de moi.
- On pourrait s'aider à avancer ensemble, dit-il un peu hésitant.
Non, c'est mal.
- Et se servir l'un de l'autre comme d'un médicament ? Sérieusement ?!
- Peut-être que tu le vois comme ça mais pas moi. Je peux même faire des efforts pour paraître plus sympathique.
- Seulement paraître ?
C'est comme ça avec lui, il ne montre pas ses émotions et intériorise. Ce qu'il montre à l'extérieur ce n'est pas lui, il n'est pas comme ça. Il répondit à ma question par un simple sourire qui vient m'apaiser. J'essuyai mes larmes avec la manche de mon pull et essayai de sourire moi aussi.
- Je ferais mieux de rentrer chez moi maintenant, on n'a plus rien à se dire.
- Tu rigoles ?! On a encore plus à se dire que jamais ! Pour une fois...
C'était sûrement vrai, mais je ne voulais pas. Je ne me sentais toujours pas en confiance en sa seule présence.
- Un autre jour si tu veux, je vais y aller là. Ma mère est sûrement partie au travail maintenant.
Je me levai sans trop de mal, récupérai mon sac et m'approchai de la porte. Malheureusement, il en était bien plus proche que moi et me bloqua le passage en fermant la porte.
- Je ne veux absolument pas que tu te sentes forcée ou quoi que se soit. Mais tu peux rester ici dans le doute.
J'essayai de le pousser pour pouvoir passer ou bien attraper la poignée, mais je n'y arrivai pas. Les hommes ont trop souvent tendance à être insistants.
- Laisse-moi partir, on a assez parlé pour aujourd'hui.
Nos yeux se fixaient. Ses beaux yeux bleus auraient voulu discuter de longues heures avec les miens s'ils avaient pu. Alors, Marin m'attrapa par les hanches et échangea nos places en me mettant dos à la porte. Ses mains froides étaient passées sous mon pull court pour se loger sur ma peau. Cela me fit frissonner. Et il m'embrassa. Je lui avait pourtant dit seulement quelques minutes plus tôt que je ne voulais pas de ça entre nous, que je n'étais pas prête. Je mis alors immédiatement mes mains contre son torse pour le repousser. Ce n'était pas le torse musclé de Jacob, c'était le torse faible et amaigri de Marin. Je décollai très vite mes lèvres des siennes. On mit un peu de temps à comprendre ce qui venait de se passer et on resta dans cette même position sans bouger. Mes mains sur sa poitrine, les siennes sous ma taille. Mon dos contre la porte en bois et la poignée qui s'incrustait dans mon dos. Je pointai alors un doigt vers son visage.
- Tu n'as pas le droit de faire ça ! Je t'ai dit que je n'étais pas prête et que je ne voulais pas de ça !
- Désolé.
Il ne paraissait pas désolé, plutôt déçu.
- Je ne dis pas que ça ne m'avait pas plus la première fois, seulement que tu ne peux pas te permettre de partir sans rien dire juste après et de me laisser seule. J'ai été très déçue.
- Désolé à nouveau. J'avais cru comprendre que tu n'avais pas aimé. Mais apparemment c'était faux... >>
Cette phrase en disait long sur ce qu'il pensait et était pleine de sous-entendus auxquels je refusais d'accorder de l'attention. Je ne voulais pas allonger la conversation et posai alors mes lèvres sur les siennes, sans aucune raison apparente. Il fut très surpris car je sentis ses mains se raidir contre moi. Ça ne dura pas longtemps, juste assez pour avoir le goût de ses lèvres imprégnées sur ma bouche. Lorsque j'ouvris les yeux, les siens étaient écarquillés. Évidemment, il ne s'y attendait pas, et moi non plus d'ailleurs. Je ne comprenais même pas pourquoi j'avais fait ça. J'en profitai pour ouvrir la porte et me retourner pour vite sortir. J'étais stupide de lui avoir reproché d'avoir fuit lors de notre premier baiser alors que j'étais en train de faire pareil. Je sentis qu'il essaya d'attraper ma main mais je partis tout de même. Il ne dit rien et moi non plus. Ça, ça ne changera jamais.

La Fille Qui Courrait Après Les LoupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant