Éviter Marin commençait à devenir une routine. Ça n'avait pas été difficile ces derniers jours, je m'étais isolée dans ma chambre, le volet fermé. Je n'étais pas allée au lycée vendredi car j'avais fait croire à ma mère que j'étais malade. Elle était bêtement tombée dans le panneau mais avait insisté pour rester à la maison avec moi. Ça ne m'avait pas dérangé, il était vrai qu'avoir de la compagnie me faisait plaisir. De plus, ma relation avec ma mère s'améliorait depuis que j'étais ici et ça m'apportait du bonheur. On n'était pas très proche mais on arrivait à entretenir une conversation normale comme une famille normale. Je ne pouvais pas demander plus. Cela me faisait presque oublier que mon père lui n'était plus là. Oui, presque.
Ce dimanche après-midi était déjà bien entamé et je l'avais principalement passé sur un transat dans mon jardin. Le temps était étonnement beau pour une fin de mois de novembre. J'étais au soleil, allongée au bord de la piscine que je n'avais pas encore eu le temps d'inaugurer, et je ne comptais pas le faire. Voir mon corps en maillot de bain était bien la dernière chose que je souhaitais, enfin plus ou moins. Ma mère m'avait prêté des lunettes de soleil et des magazines pour tuer le temps. J'étais le vrai cliché de l'ado riche de Miami, il ne manquait plus que le cocktail. Ce petit moment de calme me faisait du bien, je ne pensais plus à tous mes soucis. J'avais l'impression de régénérer, comme un soin miraculeux.
C'est alors que mon téléphone, qui était posé sur la petite table à côté de moi, vibra. Mon cœur se mit à battre bien trop vite. Depuis l'épisode de la dernière fois, recevoir un appel devenait effrayant. Non, ça ne pouvait pas être lui. Je retournai l'appareil et vit s'afficher un numéro inconnu. J'hésitai un peu mais décrochai tout de même, on ne sait jamais. La voix qui me parla immédiatement me confirmait que ce n'était pas Jacob, c'était une femme.
<< Bonjour, suis-je bien en contact avec Hannah Steal ?
- Oui, c'est moi.
Je ne connaissais pas cette voix. Mon cœur ne cessait d'accélérer.
- Très bien. Je me présente, je suis le général Grenier, je travaille à la gendarmerie de Forks.
Je me redressai d'un seul coup sur mon transat. Je retirai très doucement mes lunettes de soleil de devant mes yeux et les cala sur ma tête, dans mes cheveux. Je savais très bien de quoi elle allait me parler et je n'étais pas capable d'aborder ce sujet. Je n'allais pas réussir à mentir.
- J'ai tout d'abord besoin de savoir où tu te trouves actuellement, je veux dire en ce moment.
Je devrais répondre que je suis loin car j'ai voulu fuir ce qu'il s'était passé à Forks, et que je suis déjà au courant de tout. Mais je ne dois pas. Et pourtant, le fait que je quitte Washington juste après la mort de mon père devrait être un indice suffisant pour comprendre que je sais tout et que peut-être je suis responsable. Oui, c'est à cause du fait que j'ai rencontré Jacob et que nous avons été ensemble que c'est arrivé.
- Je...je suis chez ma mère. Pourquoi ?
Je devais sortir mon meilleur jeu d'actrice ou Jacob et moi étions cuits.
- J'ai quelque chose de difficile à t'annoncer alors je vais te demander de rester calme et de répondre à mes questions le plus précisément possible.
Comme si je ne savais rien...
- J'écoute...
Je ne suis pourtant pas prête à l'entendre. Jusqu'à présent, je n'arrivais pas vraiment à réaliser ce qu'il s'était passé, mais bientôt ça me rongera.
- Le corps de ton père a été découvert aujourd'hui à son domicile après que des collèges à lui nous aient averti que cela faisait plus d'une semaine qu'il n'était pas venu travailler. Je te fais part de mes plus sincères condoléances, mais nous devons vite avancer dans l'enquête.
- Qu'est-ce que vous voulez dire par ''a été découvert'' ?
- Il était inerte dans la cour.
La cour ?! Il n'était pas là quand je l'ai trouvé, il était dans sa chambre ! Je ne peux pas leur dire, mais je devrais. Que faire ?
- Il a clairement été attaqué par une bête, mais nous avons dû mal à en déterminer la nature. On a retrouvé des traces de pas et ses blessures sont principalement des morsures et des déchictures. Je sais que ça doit être dur d'entendre ça alors que tu es si loin, mais je suis obligée de t'interroger car il nous a été rapporté que tu te trouvais encore sur les lieux du crime il y a deux semaines de cela.
Comment le savent-ils ? Je ne peux pas leur demander où ça paraîtra suspect. Ont-ils aussi interrogé les voisins, comme Jacob ? C'est plus que probable.
- Je...
Je devais dire quelque chose, sauver l'honneur de mon père, et ma vie au passage. Mais rien ne sortait.
- Premièrement, il faudrait que toi et ta mère reveniez au plus vite à Forks. Pour régler tout ça, voir le corps de ton père, et puis organiser l'enterrement un fois tout ça fini, tu sais.
Non, jamais ! Je ne retournerais pas à Forks, et même pour mon père, je n'en serais pas capable. Je ne veux pas avoir à l'enterrer et prendre le risque de recroiser Jacob.
- Ce ne sera pas possible, dis-je sur un ton bien trop sec.
- Je ne souhaite pas insister sur ce point, c'est vous qui voyez. Mais ce serait bien pour lui.
Il est mort, il ne ressent plus rien. J'aurais trop de mal à justifier que je refuse d'assister à l'enterrement.
- À vrai dire, continua-t-elle, je pense que l'étude du corps prendra du temps, vu l'état dans lequel il est.
Je sais bien. J'ai encore cette image glauque en tête. Elle me hante.
- Poursuivons, si tu le veux bien, Hannah.
Non. Si j'en avais la force je raccrocherais.
- Je suis toujours à l'écoute.
Si j'avais été cette gendarme, j'aurais immédiatement suspecté mon manque de tristesse et d'incompréhension face à la situation tragique qui se présentait à moi.
- Quand et pourquoi es-tu partie vivre avec ta mère ? Je veux dire, il y a quelques jours à peine tu étais encore avec ton père. Je ne te soupçonne absolument pas, Hannah, j'ai juste besoin d'informations, et peut-être que tu peux m'éclairer.
Ça y est, je paniquais. Ma respiration s'intensifiait et mon cœur allait se détacher de ma poitrine. Je devais mentir.
- C'était prévu comme ça, c'est tout.
Ma voix ne traduisait aucune émotion. C'est là que je compris que j'étais capable, tout comme Marin, de cacher mes émotions lorsqu'il y en a vraiment besoin. Je peux aussi me montrer insensible. Malheureusement, dans ce cas là, je devrais plutôt être en larmes.
- En fait, poursuivais-je, je m'étais rendue compte plus tôt que la vie à Forks ne me correspondait pas. C'est à Miami que je me sens le mieux. Et puis, mes études se déroulaient mal à Forks, j'étais harcelée. J'avais besoin de l'air de l'est, ça me manquait.
Je ne mentais qu'à moitié, ma conscience s'appaisait. Mon cœur aussi, j'arrivais à contrôler ma tension. J'entendais à l'autre bout du téléphone que mon interlocutrice prenait des notes. Le son du crayon sur le papier me donnait des frissons.
- Aviez-vous, toi et ton père, rencontré des problèmes dans la forêt ? Des problèmes de types animalier, dangereux ?
Si on omet le fait que des loups-garous y vivent, non.
- Oui... Oui, il y a des ours.
Quelle connerie ! J'étais incapable de mentir tout en restant sensée.
- Des ours ? Tu as dit des ours ?
- Je crois...
Ma voix commençait à trembler.
- Hannah, il n'y a pas d'ours à Forks.
Mon cœur repris son rythme accéléré de plus belle. Je le savais, je suis stupide. Je ne sais pas mentir, on va me cramer.
- Oui, c'est vrai. Excusez-moi, je suis perturbée par la nouvelle que vous m'avez annoncée. C'est terrible, je suis effondrée !
Je commençai à simuler des pleurs. Je n'arrivais même pas à en produire des vraies. J'étais la pire des acctirces. Si cette historie avait été un film, on ne m'aurait même pas créditée au générique. J'aurais aussi reçu l'oscar de la pire actrice dans un second rôle.
- Je comprends. Je prendrais cette information en compte. Souhaitez-vous que je vous rappelle plus tard ?
Non, jamais ! Qu'on en finisse et qu'on en parle plus jamais.
- Avez-vous encore beaucoup de questions ?
Elle prit un peu de temps avant de répondre.
- Je ne pense pas que vous me serez d'une grande aide. Si j'ai besoin de vous je vous rappellerais.
Dieu merci, c'était fini !
- Très bien. Merci.
- Juste une dernière question : es-tu partie car tu te sentais menacée, de quelconque façon ?
Oui. La mort me menaçait. Elle m'attendait au bout de la rue, alors j'ai du faire demi-tour et quitter tout ce que j'aimais.
- Je crois que oui.
Mentir, Hannah, tu dois mentir !
- Enfin, comme tout le monde. On peut s'attendre à tout. On est en Amérique.
Si elle ne me prenait pas encore pour une folle, ça allait bientôt arriver.
- Très bien, merci Hannah. Prends soin de toi.
- Aurevoir. >>
Elle raccrocha sur le champ. Et maintenant, étais-je sensée annoncer la nouvelle à ma mère ? Devais-je en parler à quelqu'un ? Non, je devais faire comme si je ne savais rien. Je devais faire ça pour moi et pour Jacob.J'étais restée sur mon transat jusqu'à l'heure de dîner. Je n'avais pas réussi à me lever, mon cerveau était devenu incompétent. Je ne cessais de revoir en boucle l'image du cadavre de mon père sur le plancher de ma maison, ma vraie maison. Je voyais aussi le visage de Jacob lorsque je l'avais quitté. Et aussi tout mon trajet de Forks jusqu'à l'aéroport. Et des tas d'images qui blessent. Les images ont tendance à plus blesser que les mots qui blessent. Et je suis blessée.
Lorsque ma mère m'appela pour manger, je mis assez longtemps à percuter que je devais me lever et à le faire. Je tremblais inlassablement. J'arrivai péniblement jusqu'à la porte d'entrée où je dûs me tenir fermement au mur pour ne pas m'effondrer au sol. J'étais à nouveau au plus mal. Je pénétrai ensuite dans le salon, puis dans la cuisine avec un peu plus de peine. Ma mère était déjà installée et m'attendait. Lorsqu'elle me vit débarquer, elle comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas.
<< Hannah, tout va bien ?
Je hochai la tête et elle écarquilla les yeux. Elle hésita à se lever pour m'accouder mais ne le fit pas. Je m'avachis sur la table, ne réussissant plus à tenir debout. C'est là que les premières larmes coulèrent.
- Hannah, il t'est arrivé quelque chose ?
Elle tendit sa main et la posa sur la mienne. Elle réagissait plutôt mal pour une mère.
- C'est... C'est...
Je n'arrivais pas à parler, des sanglots me coupaient. Elle méritait de savoir que papa était mort, je ne pourrais pas le cacher éternellement. Je tendis mon téléphone vers elle pour qu'elle comprenne mieux.
- C'est papa...
Elle fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas.
- Il t'a appelé ? Tu as de ses nouvelles ? Est-ce qu'il va bien ?
Elle se mit à paniquer, comme moi, et c'était normal. Je devais lui dire. Je devais. Mais rien ne sortait, c'était trop dur d'annoncer ça. La gendarme l'avait fait tellement machinalement.
- Il est mort, maman, on l'a tué !
Je pleurais à chaudes larmes. Ma mère resta figée un instant, le temps de digérer la nouvelle. Elle retira sa main de la mienne.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
Elle allait pleurer aussi, je le sentais dans sa voix. Je m'agenouillai au sol, je ne tenais plus debout. La seule chose que me mère devait voir c'était mes mains encore posées sur la table, tenant très fort le téléphone.
- Il est mort ! criais-je de toutes mes forces. Il est mort et il ne reviendra pas ! Regarde les infos, on doit en parler...
Je ne sais même pas si elle m'entendait car je ne m'entendais pas moi-même. Ma vision et mon ouïe étaient brouillés. Ma voix était faible et je craignais une nouvelle crise. Je devais être forte pour elle.
- Je...
Elle ne savait pas quoi dire non plus. On n'entend pas ce genre d'info tous les jours, fort heureusement.
- Je reviens. >>
Elle se retenait de craquer devant moi. C'était elle la femme forte entre nous deux. Elle quitta la cuisine et je ne tentai pas de la retenir. J'enfouis ma tête entre mes mains. Je devais pleurer pour tout évacuer. Je devais extraire cette peine qui allait finir par me tuer. Elle me tuait déjà. Je restai là plusieurs heures, je m'endormis même. Je me réveillai ensuite en plein milieu de la nuit et réussis à rejoindre mon lit. Je voulais y rester des jours, des années même. Je devais me protéger du monde extérieur qui m'affaiblissait.
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La Fille Qui Courrait Après Les Loups
Werewolf- Tu es prête, Hannah ? C'est sûr ? Je n'ai jamais été aussi prête. - Oui, je t'assure. - Tu me promets de ne pas fuir ? - Ne t'inquiète pas, Jacob. Il pose ses mains sur mes joues, s'approche de moi et m'embrasse. Je n'avais jamais embrassé quelqu...