7. Le Baiser

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Les cours n'étaient pas terminés, mais aucun de nous deux n'aurait voulu y rester. Je suis toujours sur le chemin de la maison, accompagnée, ou plutôt accompagnant Marin. On se se parlait pas, on ne se regardait pas non plus. Il est certainement la personne la plus complexe que je connaisse. Impossible de comprendre ce qu'il ressent, à quoi il pense, contrairement à moi. On peut comprendre toute la mécanique de mon cerveau et de mes émotions uniquement en plongeant ses yeux dans les miens. Ils témoignent de ce que j'ai enduré et de ce que je vis. Marin le comprend très bien, et il se sert de ça. Peut-être qu'il cherche à m'aider, peut-être aussi qu'il est maladroit. Et je ne sais pas quoi en penser. Je devrais lui en vouloir, ou bien lui en être reconnaissante, mais je ne lui dis rien. Tout simplement parce que je ne sais que lui dire. Il analysera tout, cherchera les failles dans mes propos. Il est intelligent, mais il s'en sert peut-être d'une mauvaise façon.

On arriva enfin chez nous après un bon moment de marche. Ça avait été d'une génance qui en était devenue presque naturelle. On s'arrêta net devant son portail qui était déjà grand ouvert. Je vis qu'il ne savait pas s'il devait rentrer sans m'adresser un mot ou bien s'il comptait me parler avant. On attendit alors en regardant la façade de sa maison, sans pour autant dépasser la limite entre la rue et sa cour. N'importe quelle personne extérieure à notre relation nous prendrait pour deux fous qui ne se connaissent pas. C'est le cas, c'est sûr. On ne se parlait toujours pas, on attendait que quelque chose nous sépare pour ne pas qu'on ait à le faire par nous-mêmes. Après quelques minutes, Marin se tourna face à moi et me regarda enfin. Je fis de même. Maintenant qu'on était l'un en face de l'autre, tout paraissait prendre sens. Ses beaux yeux bleus étaient vides, je ne pus m'empêcher d'y plonger les miens. Je ne ressentais rien. Ce n'était évidement pas les yeux de Jacob, et je ne ressentais rien en les regardant. Pas de frisson, pas d'amour. On se fixait, et c'était tout. On n'avait rien en commun, rien ne nous rapprochait. Ce garçon n'est rien pour moi, et pourtant je l'apprécie. Je l'apprécie pour sa simplicité, et peut-être pour l'épaule qu'il représente pour moi.
<< Tu comptes me dire ce qui ne va pas ? Initia-t-il.
Et voilà, il fallait qu'il gâche tout, ou alors peut-etre qu'il a tout sauvé, je ne sais pas. Il ne pouvait s'empêcher de jouer les thérapeutes. Je n'ai pas besoin de lui pour me confier ou pour régler mes problèmes.
- Je préférais quand on ne parlait pas.
Il haussa les épaules. Pourquoi fallait-il qu'il soit si indifférent ? Pourquoi devait-il interpréter ce personnage ? Je sais que ce n'est pas lui, c'est une façade. Je commence tout juste à comprendre comment cette carapace fonctionne.
- Je vais bien, Marin.
J'avais besoin de le lui dire car je ne voulais pas qu'il insiste. Si je le connaissais un peu mieux, j'aurais su que c'était la phrase parfaite pour le faire douter et insister de plus belle. En fait, je le savais, mais je crois que c'est moi que j'essayais de convaincre.
- Est-ce-que je dois te croire ?
Je souris très légèrement. Il apprenait de ses erreurs et essayait de ne pas être trop insistant cette fois. Je ne voulais pas lui parler de quoique ce soit, et il le comprit. Je remarquai alors que c'était la deuxième fois que je l'avais appelé par son prénom, je sais pourtant qu'il le déteste. Il ne cherchait pas à me le rappeler, ça devait suffisamment le gêner.
- Et toi, comment tu vas ?
Il n'afficha pas d'émotions sur son visage, même pas d'étonnement. Je n'avais jamais cherché à savoir comment il se sentait, je crois que je ne veux même pas connaître la réponse. Je ne sais rien de lui mais tout me pousse à croire que ce garçon souffre. Il baissa les yeux puis les reposa aussitôt sur mon visage pâle. Il ne comptait pas me répondre, comme si c'était lui qui posait les questions ici. Je ne voulais pas insister de peur qu'il pense que je m'intéresse réellement à lui. Je me tus. En guise de réponse, Marin s'approcha de moi, bien trop près. Je ne bougeai pas d'un poil, je n'avais pas peur de lui, si c'était ce qu'il essayait de me faire ressentir. On respirait le même air et j'entendais très bien chacune de ses inspirations. Je sentais mon cœur battre un peu plus fort chaque fois que je le voyais cligner des yeux. Ce moment parut durer des heures, on ne bougeait pas. Lorsqu'il en eut marre de jouer le garçon mystérieux, il passa une de ses mains derrière mon cou. Je ne compris pas tout de suite pourquoi et mon corps tout entier se raidit. Un frisson parcourut mon dos de long en large et ma respiration accéléra. C'est alors que Marin vient plaquer ses lèvres contre les miennes. Je ne savais pas quoi faire, c'était absolument inattendu. Je ne connaissais pas les raisons de cet acte, et je crus même qu'il n'y en avait pas. Sur le coup, je ne cherchai pas à réfléchir, j'en profitai. C'était dur à avouer, mais en fait je prenais du plaisir à embrasser Marin. Il ne se détachait pas de moi et intensifia même notre baiser en échange longoureux. Je ne savais pas si je devais poser mes mains sur ses joues, sur son cou, ou encore derrière son dos. Je ne fis rien, mais je ne reculai pas pour autant. J'étais complètement perdue et j'aurais pu tout donner pour ouvrir les yeux et me rendre compte que le garçon que j'embrassais était Jacob. Je m'interdis immédiatement de penser ça. Non, aussi improbable que cela puisse paraître, j'étais avec Marin. C'était seulement le deuxième garçon que j'embrassais, et c'était vraiment étrange. Il me fit oublier le goût des lèvres de Jacob. Les siennes étaient pulpeuses, fraîches, presque sèches. Lorsqu'il fut satisfait, il coupa notre baiser et recula d'un pas. J'étais toujours autant choquée et je restai bouche bée devant lui. Peut-être qu'il attendait que je lui dise quelque chose, peut-être qu'il voulait que je parte, je ne sais pas. Il n'affichait pas plus d'émotions que précédemment. Je ne savais pas quoi penser de lui à présent. J'aurais voulu lui prendre la main ou bien lui caresser l'épaule. Je n'avais plus le courage de me montrer affective, j'avais été détruite. Je vis qu'il essaya de bouger ses lèvres, sûrement pour me parler ou alors simplement pour sourire, mais il ne le fit pas. Il se retourna immédiatement, m'obligeant à sortir mes yeux des siens, et entra dans sa cour. Sans m'adresser un seul mot, il me laissa plantée ici. Je n'avais pas eu le temps de comprendre ce qu'il venait de se passer, j'avais l'impression d'avoir vécu les minutes précédantes à l'extérieur de mon corps. Ce n'est pas moi qui fus absorbée par les yeux bleus de Marin, pas moi qui me laissai embrassée par ce garçon que je n'aimais pas plus que ça, pas moi qui fus laissée seule après un moment si perturbant. Par contre, c'était bien lui qui m'avait fait subir tout ça sans se justifier. Je le vis entrer dans sa maison, aussi normalement que si rien de tout ça ne s'était passé. Je le détestais pour ce qu'il venait de faire car il savait pertinement les effets que ça allait avoir sur moi. Ça y est, je replonge. Et Jacob me manque.

La Fille Qui Courrait Après Les LoupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant