12. L'aveu

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À mon réveil, il a été la première chose que je vis. Si j'en avais eu la force, je me serais levée d'un bond et l'aurais assommé après l'avoir insulté de tous les noms. Mais je me connaissais suffisamment pour savoir qu'il suffisait d'un seul pas au sol pour que je m'effondre. Et pourtant, je ne pense pas que ce soit la mort de mon père qui me mettait dans un tel état, c'était sûrement lui. Il était assis sur la chaise de mon bureau et regardait par la fenêtre. Il devrait être en cours, qu'est-ce qu'il faisait dans ma chambre ? Il violait mon intimité en étant ici, et je ne savais même pas depuis combien de temps. C'était inacceptable, on ne peut pas se permettre d'observer les gens dormir.
<< Putain, qu'est-ce que tu fous là !
Étonnement, je n'avais pas tant de mal que ça à parler. Je me frottais tout de même les yeux pour y voir plus clair car ma vision était troublée par des taches noires. Marin se retourna vers moi et pencha son corps en avant en s'accoudant sur les genoux.
- Désolé, je sais que la situation peut te paraître étrange, mais je suis arrivé il y a quelques minutes seulement.
Ca n'excusait rien. Il n'en ratait pas une pour me manipuler l'esprit.
- Ta mère à raconté à la mienne ce qu'il vous était arrivé.
''Nous'' ? C'est à mon père qu'il est arrivé quelque chose, on en subit seulement les conséquences dramatiques.
- Elle est en train de la consoler dans le salon, elles ne vont sûrement pas travailler aujourd'hui.
- Et toi, tu n'es pas au lycée ?
Et moi donc ?
- Je ne raterais pas une occasion de ne pas y aller ! Non, je déconne. Je voulais voir comment tu allais.
Heureusement qu'il se rattrapa car j'allais lui en foutre une. On ne peut par rire de ça.
- En tout cas, si tu as besoin de moi je suis là. On peut parler si tu veux, ou bien tu peux aussi me demander d'aller me faire foutre.
Il réussissait à me faire rire en ce temps de crise. Je crois même qu'il se faisait rire lui-même.
- Non, reste. J'ai besoin de ta force d'esprit, murmurais-je.
C'était vrai. Je prenais exemple sur lui lorsque j'avais besoin de faire abstraction de mes émotions pour survivre.
- Tu crois que tu pourrais t'alonger à côté de moi ? lui demandais-je a voix basse.
Il parut surpris et n'osa pas accepter tout de suite. Puis, il se rappella que j'avais besoin de lui et vient s'installer à ma gauche dans le lit. Il ne rentra pas sous la couette, fort heureusement, mais il ne garda pas de distances non plus. Je dûs tout de même lui tourner le dos pour apaiser ma conscience.
- Ducoup, tu veux parler ? Me proposa-t-il.
Il ne paraissait pas spécialement à l'aise. Pourtant, sa position m'indiquait le contraire. Il était sur le dos, les mains derrière la tête, et fixait le plafond. Je ne répondis pas tout de suite à sa question, car je ne connaissais même pas la réponse. Devrais-je me livrer, comme je le fais à chaque fois pour me soulager, ou alors devrais-je me rendormir et le laisser loin de tout ça ? J'allais improviser quelque chose entre les deux.
- Tu sais, je crois que je n'ai pas le droit de pleurer la mort de mon père, ce serait hypocrite de faire semblant.
Il chercha un moment le sens de ma phrase.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Que je n'ai pas le droit d'être triste. Pour la simple et bonne raison que ça fait déjà plusieurs jours que je suis au courant.
- Comment ça ?
Sa réaction était des plus normales. Je devais sûrement être folle pour lui en dire plus.
- C'est moi qui l'ai découvert, Marin. C'est moi qui l'ai trouvé et c'est la seule raison pour laquelle je me trouve dans ce lit actuellement.
Je ne voyais pas son visage mais j'étais sûre que j'aurais pu y lire de l'incompréhension et un grand étonnement.
- Je... Je ne suis pas sûr de comprendre.
Non, tu refuses de comprendre. Nuance.
- Je ne l'ai pas tué, si c'est ce que tu te demandes. Mais je crois que je sais qui l'a fait. Du moins, j'ai une idée assez précise, mais pas de nom. Et je ne peux rien dire parce que cela créerait des problèmes d'une ampleur incalculable. Et cela condamnerait des gens que j'aime.
Une seule personne, en réalité. Je sais qu'il n'y est pour rien, j'essaie de me le persuader chaque jour, mais ça aurait des conséquences sur lui.
- Attends...
Ça devait être étrange d'entendre une nouvelle comme celle-là. Certains secrets ne doivent pas être dévoilés car ils bouffent l'esprit des gens qui le connaissent. Je pense que ce secret en fait partie.
- Tu essaies de me dire que tu connais l'assassin mais que tu le protèges car tu l'apprécies ?
- Absolument pas ! Je le déteste, enfin c'est dur à dire car je ne le connais pas. Je soupçonne d'ailleurs qu'ils soient plusieurs.
- Mais je croyais que c'était un animal...
Oui, un loup, c'est bien ça...
- ...c'est bien ça le problème.
- Je ne comprend pas...
- Alors ne cherche pas à comprendre, je ne peux pas t'en dire plus.
Je contenais des larmes injustifiables en fermant très fort les yeux, toujours tournant le dos à Marin.
- Et tu as fuit Forks à cause de ça ? Mais qu'est ce que ça veut dire ?
Si seulement je savais...
- J'étais la prochaine sur la liste. En fait, ça aurait du être moi le cadavre dechiqueté.
J'aurais voulu voir sa tête, les émotions sur son visage, mais je ne me retournai pas. J'aimais lui parler sans le regarder, ça me donnait l'impression que ce n'était pas à lui que je m'adressais.
- Mais qui aurait voulu te faire ça ? Tu étais en danger, c'est ça ?
- Oui, et ça faisait bien longtemps.
- Mais qu'est-ce que tu avais fait ?
Je sortais avec un loup qui avait quitté sa meute pour moi, mais cela n'avait pas empêché certains autres loups d'avoir voulu se charger de nous.
- Si seulement je savais...
- Et quel est le rapport avec Jacob, dit-il sur un ton plus sec.
- Jacob ? Mais personne n'a parlé de Jacob.
Non, il ne pouvait pas me forcer à en parler à nouveau, il n'avait pas le droit
- Je croyais que c'était à cause de lui que tu étais partie.
Il avait l'air contrarié, pensant que je lui avais menti. Ce n'était pas le cas, j'avais seulement caché une grande partie de la vérité.
- C'est parce que tout ça c'était à cause de Jacob, du fait qu'on était ensemble.
- Il l'a tué ?
- Mais non !
Ce n'est pas comme s'il avait manqué de mobile...
- N'en parlons plus, c'est mieux.
- Tu te rends compte de ce que tu viens de me raconter ? Tu connais le meurtrier de ton père, et tu as d'ailleurs découvert son cadavre ! Je peux même facilement en déduire que cela fait plusieurs jours que tu fais croire à tout le monde que tout va bien, que tu caches la vérité à ta mère, que tu as laissé périr le cadavre au fond d'une maison qui devait sentir la mort à des kilomètres à la ronde ! Qu'en plus tu caches le meurtrier pour sauver ton ex qui a aussi ses responsabilités dans cette affaires, donc toi aussi par l'intermédiaire ! Hannah !
Il venait de me cracher à la gueule tout ce que je n'osais pas m'avouer depuis tout ce temps. Ça me brisa le cœur mais j'en avais sûrement besoin, seulement pas maintenant. Pourtant, les larmes ne coulèrent pas. Non, je n'avais plus la force d'être triste, ni même de ressentir des émotions.
- Tu as raison sur toute la ligne. Mais il y a d'autres secrets qui justifient tout cela et je ne peux pas te les dire. Excuse-moi. Je suis désolée que tu aies à vivre avec ça maintenant.
- Moi ça va, c'est toi qui doit être déchirée.
S'il savait à quel point ! Mais en terme de souffrance, je n'ai rien à lui apprendre. Le point positif aujourd'hui, c'est qu'il ne cherchait pas à me faire avouer des choses que je ne voulais pas. Il respectait le fait que je pouvais garder quelques parties pour moi, et c'était inédit. Je me retournai enfin pour lui faire face. Il n'avait pas bougé, il avait seulement posé ses mains sur son ventre.
- Tu crois que tu peux m'aider à guérir ?
Nos regards se croisèrent. Seuls nous savons à quel point cela nous fait du bien de plonger nos yeux au creux de ceux de l'autre.
- Viens là. >>
Il passa son bras derrière mes épaules et je me rapprochai de lui. J'osai poser ma tête sur son torse. Il ne fit aucune remarque. Je n'avais jamais été autant en contact avec son corps avant, c'était étrange. On s'était rapprochés très vite lui et moi. Peu de temps après, sa main saisit la mienne et je passai mon autre bras autour du sien. On resta très longtemps dans cette position sans rien se dire. Celui qui a dit que certains actes valent mille mots avait plus que raison. Je savais à présent que Marin serait la pour moi dans le meilleur comme dans le pire. Et c'est ce que j'avais besoin, ce que je voulais de lui.

La Fille Qui Courrait Après Les LoupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant