Chapitre 49 - Part 1 : Lorsque l'heure sonne au cadran de ton cœur - Lundi 2 Décembre 2019 - Benjamin
Le réveil aux aurores qu'il avait programmé sans y réfléchir avant de s'endormir fut particulièrement difficile. Sa tête le lançait et Benjamin avait envie de jeter son téléphone par la fenêtre pour faire taire son réveil qui ne semblait pas décidé à arrêter de sonner, s'acharnant à le tirer de ses songes et à agresser ses tympans. Le rouquin passa une main sur l'écran, coupant une nouvelle fois la sonnerie, et se recoucha en grommelant.
Sa nuit avait été courte, entrecoupée de pensées envahissantes et d'idées totalement délirantes, allant d'une pulsion terrifiante l'invitant à appeler Mathias jusqu'à ce qu'il décroche pour le confronter à sa découverte, ici et maintenant, au besoin de l'appeler pour savoir ce qui l'avait poussé à raccrocher si brusquement, si tout allait bien. Était-il au courant ? Avait-il tout fichu en l'air ?
Apparemment pas, car Benjamin n'avait pas attendu longtemps pour reprendre contact avec Mathias. Veillant à bien mettre de côté le téléphone que lui avait confié Arnaud, il s'était évertué à répondre soigneusement aux messages auto dépréciatifs laissés par l'avocat, justifiant son absence de réponse par un grand coup de fatigue qui l'avait vu s'endormir sans qu'il le réalise. Un mensonge innocent, que Mathias lui pardonnera certainement lorsque la situation entre eux sera plus claire.
Le plus âgé, pour sa part, lui avait répondu quelques heures plus tard, comme si de rien était, comme si Benjamin n'avait fait que rêver les dernières heures.
Son réveil s'activa à nouveau et Benjamin attrapa son téléphone une nouvelle fois en si peu de minutes. Décidément, combien de rappels d'alarme avait-il programmés ? La photo d'Arnaud s'affichait en grand sur son écran. Plissant les yeux, le rouquin inspecta l'écran et réalisa, groggy, qu'il s'agissait d'un appel. Uh. Il devrait peut-être choisir une autre tonalité pour différencier les différentes notifications de son téléphone. D'un glissement de doigt, il accepta l'appel.
— Qu'est-ce que t'as FICHU hier soir ?
La voix d'Arnaud résonna dans la pièce, même sans que le haut-parleur ne soit activé. Benjamin grimaça et marmonna à son ami de baisser d'un ton. Une supplication clairement tombée dans l'oreille d'un sourd, car l'étudiant reprit sur le même ton.
— Sérieusement, c'est quoi ça ?!
— De quoi est-ce que tu parles Nono ? marmonna Benjamin platement.
— Des huit-cents euros virés sur mon compte ce matin ! Accompagné d'une note disant « Pour un upgrade. — C. » ? Lapin, est-ce que je dois m'inquiéter ?
Ah. Il est vrai que Mathias avait eu l'air personnellement insulté par l'ancienneté du téléphone qu'employait Dicky et avait promis de résoudre ce problème. La nuit d'hier n'avait donc pas été un rêve fiévreux. Une bouffée d'embarras le saisit.
— C'est rien. Je t'expliquerai plus tard.
— C'est RIEN ? Répéta Arnaud, une octave plus haute qu'à l'habitude, Benji, c'est plus d'argent que j'en ai jamais eu sur mon compte ! Ma banque va penser que je deal de la drogue avec de tels virements !
Le rouquin sourit en coin.
— Je t'expliquerai tout ce soir, d'accord ? J'ai... des choses à faire, pour le moment.
— Promets-moi juste que je suis pas en train de devenir ton mac sans le savoir ? J'ai pas une tête à chapeau et les colliers de chaine en or, ça clasherait vraiment trop avec mon style.
— Ce soir, Nono. Répéta Benjamin, d'accord ?
— Tu me promets que ça va ? Questionna Arnaud avant de soupirer lorsque Benjamin lui affirma une énième fois que tout allait bien, d'accord. D'accord, je te crois. Je passe à dix-neuf heures.
— C'est noté patron.
Le pompier raccrocha avant qu'Arnaud ne puisse renier son nouveau statut. Il n'avait pas menti, il avait pas mal de choses à faire ce jour, à commencer par prendre un cachet d'aspirine contre la migraine qui pointait le bout de son nez, et se rendre présentable pour l'arrivée de sa famille, prévue... dans une petite heure à peine, à en juger par son smartphone. Le rouquin grimaça. Il avait complètement oublié de programmer un réveil, résultant en une grasse matinée dont il aurait préféré se passer. D'habitude, il se réveillait de bonne heure. Être toujours au lit alors qu'il était déjà dix heures n'annonçait rien de bon. Il avait passé tant de temps à courir après le sommeil qu'il avait fini par s'épuiser, ne s'endormant qu'au petit matin.
Benjamin grommela en se levant, prenant lentement appui sur sa main blessée. Son poignet fragilisé se renforçait de jour en jour, mais il le traitait toujours avec prudence.
Trainant les pieds jusqu'à la cuisine après avoir avalé un cachet et s'être habillé, il s'occupa de chouchouter Pinpon puis attrapa un paquet de gâteaux qu'il grignota en mettant un peu d'ordre dans l'appartement, salissant certainement davantage l'espace en fichant des miettes partout où il passait. Satisfait de son rangement sommaire, il profita du peu de temps qu'il lui restait avant la visite de sa famille pour récupérer le courrier au rez-de-chaussée. Seul un petit colis était déposé nonchalamment au fond de la boite, incitant Benjamin à marquer un temps de pause. Il n'avait rien commandé depuis des lustres.
Le paquet était adressé à Alice. Évidemment. Les commandes que la jeune femme avait passées dans le mois allaient forcément atterrir à l'appartement. Il plaça le paquet sous son bras et entama la longue ascension vers son appartement dans un silence songeur. Qui sait ce qu'Alice avait bien pu commander. Elle en avait peut-être besoin pour l'un de ses cours ? Il ne pouvait pas simplement l'ignorer, mais il ne souhaitait pas particulièrement inviter la jeune femme à venir le récupérer, pas après leur dernier échange tendu.
Arrivé chez lui, il déposa le colis sur le coin de la table basse du salon. Il le confiera à Louise pour qu'elle lui transmette. Les deux jeunes filles étaient amies et Benjamin se souvenait vaguement avoir entendu sa sœur dire qu'elles prévoyaient de se voir.
Benjamin ne perdit pas de temps à poser la question à sa sœur lorsqu'elle débarqua une petite demi-heure plus tard en compagnie de ses parents. La rouquine arqua un sourcil à sa demande.
— Tu peux pas lui donner toi-même ? Tu peux quand même lui adresser la parole, non ? T'as pas cinq ans.
— Chérie, l'interrompit leur mère avec un sourire léger, mais un air sérieux, tu vois Alice cette après-midi, non ? Elle recevra sa commande plus vide comme ça.
Louise soupira lourdement, mais la logique de sa mère était imparable. Grommelant qu'elle comptait devenir infirmière puéricultrice et pas facteur, elle fourra le colis dans son sac. Sa mauvaise humeur incita Benjamin à la titiller, en bon grand frère attentionné qu'il était.
— Te lance pas trop de fleurs, tout au plus t'es un pigeon voyageur.
En guise de réponse, Louise lui jeta le coussin qui reposait sur ses genoux.
La suite de l'après-midi se passa sans anicroche. Louise la première, sur les coups de quinze heures, ayant prévu de rejoindre Alice à une bonne heure de trajet. Ludovic proposa de l'accompagner, ce que la jeune fille accepta, et Benjamin resta deux petites heures en compagnie de sa mère avant que cette dernière ne décide de retourner à l'hôtel, à présent qu'elle était certaine que son fils allait un peu mieux chaque jour qui passait, et qu'il ne risquait pas de s'effondrer à son départ. Elle n'avait pas réellement d'autre choix que de se faire à l'idée de laisser Benjamin à nouveau seul. Après tout, la visite familiale prenait fin demain, le couple n'ayant obtenu que quelques jours de congés, et Louise devant reprendre les cours.
Après une étreinte pleine d'émotions, une liste longue comme le bras de recommandations et un baiser sur la joue de son fils, la mère de famille s'éclipsa.
Benjamin, à nouveau seul, poussa un soupire à mi-chemin entre le soulagement et la fatigue. Arnaud avait prévu de passer dans quelques heures à peine et le rouquin n'était pas sûr d'être prêt à l'accueillir... Ou du moins, il ne voyait pas encore comment tout lui expliquer. Lui-même n'était pas sûr de tout comprendre à ce qui se passait, et son manque de sommeil ne l'aidait en rien. Honnêtement, une petite sieste d'une heure lui ferait le plus grand bien.
Prêt à mettre son plan à exécution, le rouquin s'allongea sur le canapé et ferma les yeux.
Son repos fut de courte durée, la sonnerie de son téléphone résonnant une énième fois dans ses oreilles. Il allait vraiment finir par mettre l'appareil sur silencieux. Il attrapa son smartphone et décrocha sans prêter attention au contact qui s'affichait à l'écran.
— Oui ?
— Ben ! Je suis à l'appart. Tu peux m'ouvrir s'il te plait ?
La voix d'Alice le surprit et le rouquin se leva d'un bond. Que faisait-elle ici ?
— Tu as toujours les clés. Répondit-il, bêtement, pris de court.
— Je peux rentrer, alors ?
La jeune femme était clairement hésitante. Benjamin passa une main sur son visage fatigué. Ils avaient promis de se tenir éloignés l'un de l'autre pendant un mois, mais quelque chose dans le ton de la voix de l'étudiante le poussait à l'écouter. Il marmonna son approbation et entendit le bruit caractéristique d'une serrure qu'on déverrouillait. Pinpon fila entre ses jambes pour aller accueillir la nouvelle venue.
Alice se pencha et attrapa le lapin dans ses bras, rejoignant Benjamin au salon. Elle était toujours aussi belle qu'à son habitude, malgré l'anxiété qui marquait ses traits. D'un pas nerveux, elle le rejoint et s'installa en face de lui, sur le fauteuil. Ses mains serraient Pinpon contre elle alors qu'elle évitait son regard.
— J'ai fait une connerie. Ben, je suis désolée.
La voix d'Alice était blanche.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?, Demanda-t-il calmement, cliniquement, Est-ce que tout va bien ?
— J'ai vu Louise. Elle m'a donné mon colis. On. On a discuté de nous deux. Pas nous deux, Louise et moi. Nous deux, toi et moi.
Benjamin hocha la tête en signe d'encouragement.
— Elle m'a demandé pourquoi on s'est séparé. On fait une pause. Pourquoi on est pas ensemble, Expliqua Alice avec difficulté, ses paroles fusant plus vite que sa pensée, alors je lui ai dit ? Je lui ai dit que tu... Que tu aimais quelqu'un d'autre maintenant ! Quand elle m'a dit que tu étais stupide d'aimer une autre fille que moi, j'ai répondu que c'était ça le problème justement. Que c'était pas une fille ! J'ai dit à Lou' que... Que tu avais sans doute un mec en vue ! Je. Je suis désolée, j'ai pas réfléchi ! J'ai oublié. Je pensais pas...
Une sensation de froid envahit la poitrine du pompier à mesure qu'il déchiffrait les paroles confuses de la demoiselle.
— Hey, hey, hey, rassura-t-il doucement, ça va aller.
— Elle. Elle m'a crié dessus, Ben. Elle m'a dit que c'était pas parce que tu m'as largué que je pouvais dire des horreurs sur toi.
Le sang du rouquin se glaça. Il resta silencieux un moment, hésitant entre réconforter l'étudiante paniquée et laisser s'exprimer la colère naissante qui accélérait son rythme cardiaque et lui soufflait qu'Alice l'avait fait exprès. Il souffla longuement par le nez, chassant ses pensées les plus sombres au profit d'une réponse autant destinée à le rassurer, lui, qu'à rassurer Alice.
— Louise est sanguine, tu la connais... Elle a juste mal réagi à la forme de l'annonce, pas au fond. Je suis sûr que c'est rien.
Benjamin n'en était malheureusement pas si certain. Il connaissait bien sa sœur. Elle avait un tempérament explosif, pareil au sien dans ses grands jours, mais il était rare qu'elle saute de ses gonds sans bonne raison. Il n'y avait pourtant là aucune explication à son énervement... Ou du moins aucune en laquelle il voulait croire.
— Je suis désolée. Murmura Alice à nouveau, J'ai pas réfléchi.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce qui a amené le sujet ? Questionna Benjamin en guise de réponse, il me semble pas t'avoir parlé de qui que ce soit.
La jeune femme serra Pinpon contre sa poitrine, enfouissant son menton dans la fourrure du rongeur qui n'avait pas l'air de comprendre la gravité de la situation.
— Je suis pas complètement stupide, tu sais. Quand tu étais à l'hôpital, j'ai voulu faire du rangement, et je suis tombée sur ton téléphone. Ton autre téléphone, je veux dire.
Eh merde.
— C'est pour ça que tu as besoin d'espace, non ? Demanda Alice, pour savoir si tu l'aimes vraiment.
Entre l'annonce de son coming-out non consentie à sa petite sœur, les sollicitations presque tendres d'Alice et son propre manque flagrant de sommeil, Benjamin nageait dans la confusion. Un besoin viscéral de s'enfuir le prenait aux tripes. Seulement, il n'avait nulle part où aller.
— Cette personne... Tu l'aimes vraiment, pas vrai ? murmura la jeune femme.
— Oui.
La réponse était évidente. Aussi sincère que blessante. Les yeux d'Alice le quittèrent pour observer à la place Pinpon, étalé, bienheureux, sur ses cuisses.
— Ah, je. Se ravisa Benjamin, je voulais pas...
— Non. Je m'en doute. Coupa-t-elle avec un sourire, on ne choisit pas de tomber amoureux, pas vrai ?
Sa moue était triste, mais une étincelle familière brillait dans ses yeux noisette. Elle lui avait posé une question dont elle connaissait déjà la réponse.
— Non. Approuva-t-il sans insister davantage.
Alice hocha la tête et s'éclaircit la gorge. Il était évident qu'elle faisait son possible pour s'empêcher de pleurer, et que le moindre mouvement en sa direction de la part de Benjamin me servirait qu'à faire couler les larmes qu'elle se retenait de lâcher. Pour occuper ses mains maintenant que Pinpon en avait eu assez de servir de couverture de sécurité et s'était éclipsé pour les laisser tous les deux, elle farfouilla dans son sac à main. Elle referma les doigts sur le colis que lui avait confié Louise plus tôt dans la journée et le tendit à Benjamin qui l'attrapa, l'air interrogateur.
— C'est... C'est un cadeau d'anniversaire. Pour toi.
Elle secoua la tête face à son air gêné.
— Garde-le. Tu l'ouvriras avec les autres, pendant la fête. C'est mieux si je viens pas, pas vrai ?
— Je pense, oui.
Son anniversaire tombait ce vendredi et Benjamin avait invité quelques-uns de ses proches amis à passer la soirée chez lui pour célébrer une année de plus sur cette terre. Vu la situation actuelle, s'il n'avait pas prévenu ses amis il y a un mois de cela, et que certains d'entre eux lui rendaient expressément visite de Toulouse, il aurait annulé l'évènement.
La jeune femme hocha la tête une nouvelle fois.
— Tu comptes lui en parler prochainement ?, demanda-t-elle soudain, de tes sentiments pour lui ?
— Lili, c'est compliqué.
— Pour moi aussi !, le coupa-t-elle sèchement, avant de se ressaisir, penaude, j'essaie simplement de comprendre pourquoi tu...
Elle secoua la tête.
— Est-ce que la prochaine fois qu'on se verra, tu auras une explication à me donner ?
— Je te le promets.
Benjamin faisait beaucoup de promesses, à beaucoup de monde, ces derniers temps. Il espérait être en mesure de pouvoir toutes les tenir. La jeune femme détourna le regard, passant rapidement la tranche de sa main sur le coin de ses yeux pour chasser les larmes qui s'y formaient.
— D'accord.
Trois coups rapides donnés à la porte d'entrée interrompirent leur conversation, freinant Benjamin dans toute tentative qu'il aurait pu avoir de réconforter la jeune femme.
— Désolée. Je savais pas que tu attendais quelqu'un. Je vais y aller. Marmonna Alice en rassemblant ses affaires, Pour Louise, je suis désolée. Encore.
Elle offrit un sourire au rouquin et s'engagea dans l'entrée, s'arrêtant net en voyant le visage souriant d'Arnaud sur le palier.
— Alice ! Qu'est-ce que tu fais là ?
— Officiellement, j'habite encore là. Répondit l'étudiante en fronçant les sourcils.
Arnaud cligna des yeux, ne sachant quoi répondre au commentaire froid de son amie.
— C'est pas...
— Laisse tomber, Arnaud. Soupira-t-elle.
Les yeux de la jeune fille se plissèrent et elle se mordit l'intérieur de la lèvre, ravalant les accusations qui naissaient dans sa gorge. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Elle se demanda vaguement comment les choses auraient tourné si elle n'avait jamais pris l'initiative de proposer son amitié au jeune homme confus qui cherchait son regard. Si elle n'avait jamais fait l'effort de devenir son ami, il n'aurait jamais pu voler le cœur de son fiancé. Quelle idiote elle était.
— Benji. Salua Alice, à bientôt ?
Le rouquin opina de la tête et la jeune femme lui rendit la pareille avant de s'éclipser.
— Je croyais que vous ne deviez pas vous voir avant le 23 ? S'étonna Arnaud.
— C'était pas prévu, crois-moi. Louise a appris, pour moi.
Arnaud ne fit aucun commentaire, laissant Benjamin préciser sa pensée.
— Maman et Ludo ne sont pas au courant que je suis bi. Louise non plus.
— Ah merde. Tu veux en parler ?
Benjamin haussa les épaules.
— Pas vraiment. C'est avec Louise que je dois discuter. Déclara le rouquin en se poussant pour laisser entrer Arnaud et le conduire jusqu'au salon, enfin bref. T'es pas venu pour ça.
Le jeune homme eut l'air de vouloir protester, mais il se ravisa et attrapa son téléphone pour montrer à Benjamin une capture d'écran réalisée plus tôt.
— De quel upgrade il parle, au juste ?
Benjamin se laissa tomber lourdement sur le canapé à côté d'Arnaud et se tourna vers son ami. Plutôt que de lui répondre, il lui posa à son tour une question.
— Est-ce que tu crois au destin ?
— C'est quoi cette question ?
Benjamin pencha la tête en arrière pour la reposer contre le dossier du canapé. Il ferma les yeux et entama la pénible tâche visant à décrire les derniers évènements qui étaient venus chambouler sa vie toute tracée. Pendant de longues minutes, seules les exclamations dubitatives d'Arnaud ponctuèrent son récit. Lorsqu'il eut terminé de tout expliquer à son ami, de sa rencontre fortuite avec Mathias à leurs rendez-vous purement platoniques qui n'avaient fait qu'accentuer l'attirance qu'il éprouvait pour l'autre homme, à la découverte presque délirante du lien secret qui les unissait depuis avant même leur rencontre — les fantasmes ciblés de Mathias et les similitudes entre l'homme de ses désirs et le jeune pompier dont il était devenu l'ami — Arnaud qui avait été silencieux jusqu'à lors, laissa échapper un « Tu déconnes ?! » venant du cœur.
— C'est pas le destin à ce niveau, Lapin, c'est un glitch dans la Matrix ! T'es sûr de toi ?
Pour toute réponse, Benjamin tendit à son ami les deux téléphones, lui présenta le message similaire en tout point, puis la photo plus qu'incriminante du Caporal, de Mathias, et de ses tatouages reconnaissables entre mille.
— Bordel de merde. Souffla Arnaud. Ma poule aux œufs d'or et ton désastre ambulant sont la même personne.
Et vraiment, si ce n'était pas le parfait sentiment pour décrire ce que traversait le rouquin en ce moment.
— Oh mon Dieu, et s'il t'avait retrouvé après vos premiers appels et te traquait ?, S'inquiéta Arnaud, Ben, t'es sûr qu'il est bien qui il dit être ?
— C'est pas un tueur en série, Nono, détends-toi.
Arnaud plissa les yeux, pas entièrement convaincu.
— Si c'est bien lui et que vous vous connaissez si bien, comment ça se fait qu'il ne t'a pas reconnu ?
Benjamin s'éclaircit la gorge et, l'air parfaitement sérieux, répondit en poussant son accent Toulousain à remonter à la surface comme il le faisait d'habitude uniquement en présence de sa famille proche. On n'oubliait jamais vraiment les inflexions de son patois d'enfance, et Benjamin ne faisait pas exception à la règle.
— Peut-être parce que je parle pas comme ça dans la vie de tous les jours, té ! A m'en donner, on s'adapte aux Parigos.
L'accent chantant pris Arnaud de cours. Le jeune homme rit doucement.
— Ok, ok. Je vois.
Pour toute réponse, Benjamin se contenta de sourire nerveusement.
— Tu comptes faire quoi, du coup ? Sans vouloir te dire quoi faire... C'est un peu bizarre de... Tu sais. Avec un ami. Qui ne le sait pas.
— Je sais. Soupira Benjamin, C'est bien ça, le problème. J'ai voulu lui dire hier, mais...
— Mais vous étiez trop occupés à vous toucher la bite pour avoir une conversation sérieuse.
Le rouge monta aux oreilles du pompier qui tapa légèrement sur l'avant-bras de son ami.
— Avoue que c'est particulier, comme situation. Contra platement Arnaud.
— C'est pour ça que je vais tout lui dire ce week-end.
— Ben. Tu es sûr que c'est une bonne idée ?, Souffla Arnaud, Tu sais... Les gens qui passent par ce genre de service, qui sont prêts à payer si cher pour assouvir leurs fantasmes... Ne sont pas toujours les plus stables.
— Mathias n'est pas un sociopathe.
Benjamin était clairement sur la défensive, aussi Arnaud précisa sa pensée.
— J'ai pas dit ça. Je sais que tu penses que ce qu'il y a entre vous pourrait être tout ce que tu désires, mais Ben... Ce n'est pas si simple. Pour commencer, il est beaucoup plus âgé que toi.
— Sébastien est plus âgé que Matt, ça t'empêche pas d'avoir des vues sur lui.
A en juger par l'expression fermée de l'étudiant, son commentaire l'avait blessé. Arnaud ne se laissa pas impressionner par l'humeur massacrante du rouquin, arquant un sourcil inquisiteur.
— La différence étant que je sais faire la différence entre un fantasme et la réalité. C'est divertissant d'imaginer mille et une façons de séduire ton adonis de collègue — et ne fait pas cette tête, c'est toi qui a lancé le sujet, et c'est un bel homme ! —, mais toi et moi savons qu'il est hétéro au point de perdre ses moyens devant une paire de seins plus rebondis que la moyenne. Qu'est-ce que je gagnerais avec de faux espoirs ?
— Sauf que pour Matt...
— Pour le Caporal, tu corresponds à un fantasme. Rien de plus. Admettons que Mathias ne se referme pas comme une huitre en apprenant que tu le connais plus intimement qu'il ne le pense. Est-ce qu'il t'a seulement une fois dit qu'il pourrait être intéressé par les hommes ?
L'assurance de Benjamin s'étiolait à mesure qu'Arnaud parlait.
— C'est un père célibataire, qui couche avec sa secrétaire... Énuméra Arnaud.
— Son ex-stagiaire.
— Tu as conscience que c'est pire ? répliqua le jeune homme en haussant un sourcil, enfin. Qui couche avec son ex-stagiaire a vécu une expérience traumatique il n'y a pas si longtemps, qui déteste son ex-femme...
— Je sais tout ça !, Coupa Benjamin avec un air de finalité, tout ça. Ce... ça n'a pas d'importance.
Arnaud posa une main sur le bras de son ami. Ah. Benjamin n'avait pas réalisé qu'il tremblait.
— J'ai besoin de savoir. Il... Il m'obsède, Nono. Pas juste son corps, ses faits et gestes... Lui tout entier. Ses mimiques lorsqu'il pense que personne ne fait attention à lui, la ride du lion qui apparait lorsqu'il réfléchit à quelque chose qui l'inquiète, son foutu savoir encyclopédique à propos de sujets que j'ignore et la patience dont il fait preuve pour me les expliquer, son sens de l'humour proche du mauvais goût, sa maladresse maladive qui n'enlève rien à sa suffisance, et la douceur dont il fait pourtant preuve à mon égard. L'amour infini qu'il porte à Maël. Murmura doucement Benjamin, Tu as déjà été amoureux, réellement amoureux ?
Arnaud ferma les yeux, l'air songeur.
— Une fois seulement.
Quelque chose dans la tonalité de la confession d'Arnaud, dit à Benjamin qu'il y avait plus derrière ces quelques mots qu'une simple amourette de passage.
— Alors tu sais. Je me sens... plus vivant, à ses côtés. C'est comme si, en sa présence, les couleurs étaient un peu plus vives. Comme si je retrouvais quelque chose qui me manquait sans que je le sache. J'ai besoin de savoir. Et j'ai surtout besoin de lui dire la vérité.
Arnaud lâcha sa prise sur le bras de son ami, s'éloignant juste assez pour regarder le rouquin dans les yeux. Il sembla y trouver ce qu'il cherchait, car il soupira, vaincu.
— Très bien... Je vais acheter un pot de glace et une boite de mouchoirs avec le pourboire de ton dernier appel, dans ce cas. Au cas où j'ai raison et où tu finis par te blesser.
Benjamin rit malgré lui.
— J'espère me tromper, Lapin. J'espère vraiment.
— Une seule façon de le savoir. Je lui en parlerai ce week-end. On fête mon anniversaire ensemble, tous les deux. C'est l'occasion de jouer cartes sur table.
— Et après c'est moi qui suis dramatique. Marmonna Arnaud.
Les deux amis échangèrent quelques plaisanteries qui tombèrent à plat, avant que l'étudiant ne se décide à prendre congé, laissant Benjamin seul avec ses pensées.
Le pompier s'abandonna dans la routine de fin de journée qu'il appliquait sans même y penser. Repas léger, prise de médicaments qu'il fit descendre avec un grand verre d'eau, une heure à se perdre sur YouTube pour survoler le contenu de ses créateurs préférés, une douche éclair et il était prêt à se laisser aller dans les bras de Morphée.
Semblable à la nuit passée, le sommeil lui échappa de longues heures durant. Cinq petits jours étaient tout ce qu'il avait à patienter. Cinq petits jours et il serait fixé.
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Chapitre écrit par Sinsiliniai
Hello vous tous !
Ce chapitre vous est présenté par 10h de sommeil en 3 jours, un ordi à l'article du décès, une perte de la moitié du chapitre dans les limbes, une co-autrice à deux doigts de m'en coller une à cause de mon retard chronique (quand MIRU commence à planifier des chapitres, vous savez que c'est la fin) et une auteure qui carbure à l'expresso et qui se demande si elle va pas reregarder l'intégralité de la série qu'elle vient tout juste de finir de bingewatcher (HIStory 3 : Prisonnier. Mon gros, GROS coup de cœur du moment. Pitié dites-moi que je suis pas la seule à aimer d'amour ce drama).Autant vous dire que son écriture fut chaotique. J'espère que ça ne se ressent pas trop à la lecture haha.
Vous êtes bientôt 100 à nous suivre ! :D
C'est dingue à quel point ça me fait plaisir de savoir que notre petite histoire a retenu l'attention d'autant de personnes. C'est un honneur que vous nous faites ! MERCI.
Dans le chapitre suivant, retrouvez notre cher Mathias, à qui la vérité échappe encore pour le moment. Heureusement que Benjamin a un plan, ou on ne serait de loin pas sortis de l'auberge !
On vous revoit tout prochainement~
Prenez soin de vous !
- Sins' (et Miru)
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L'incandescent équilibre entre nous
RomanceBenjamin a tout pour être heureux : un métier de rêve, une fiancée aimante et un avenir tout tracé dans sa brigade de sapeurs-pompiers. Mathias, lui, s'est résigné à ne rien attendre de l'avenir : sa vie bien rangée a fait son succès, et c'est très...