Chapitre 29 - Partie 2

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Chapitre 29 : Les chemins d'antan ne mènent plus nulle part (partie 2) - Samedi 15 Novembre 2019 - 15h - Benjamin

Le square Louise Michel, habituellement pris d'assaut dès que les premiers rayons de soleil pointaient le bout de leur nez, était étrangement calme en ce début d'après-midi. Les quelques promeneurs qui croisaient sa route étaient respectueux du silence que cherchaient les lecteurs du week-end, plongés dans leurs univers imaginaires sur l'un des bancs du parc, ou contre le tronc d'un arbre. Aucun joggeur n'avait l'air de prendre l'espace pour une salle de sport personnelle : les quelques sportifs présents cohabitant avec les cyclistes dans le plus grand respect.

Sa promenade n'avait pas duré une demi-heure, que Benjamin avait repéré un banc libre et l'avait rejoint à petites foulées. Il s'y était installé lourdement, coupant l'herbe sous les pieds d'une jeune femme qui n'avait eu d'autre choix que de marcher lentement en sirotant son café crème, prêt à déborder.

L'inconnue le regarda de haut en bas et le jeune homme se décala pour lui laisser l'occasion de s'asseoir à côté de lui, une moue contrariée sur le visage alors qu'il ruminait sur sa vie sentimentale. Elle secoua rapidement la tête, déclinant son offre et partant à la recherche d'une autre assise. Benjamin ne pouvait pas vraiment lui en vouloir; son visage tiré par l'inquiétude n'avait rien d'engageant.

Le pompier souffla longuement, joignant ses mains en croisant ses doigts devant lui et étirant ses avant-bras avant de les laisser tomber au niveau de ses genoux.

- Qu'est-ce qui tourne pas rond chez moi ?

La question murmurée n'était adressée à personne en particulier, mais un pigeon curieux sautilla vers lui, intrigué à la vue de ce qui semblait être une miette de pain trainant près de la chaussure du jeune homme. Benjamin remonta les pieds sur le banc pour laisser le champ libre à l'animal, enroulant ses bras autour de ses genoux.

Benjamin appuya la base de sa nuque contre le dossier inconfortable qu'offrait le banc. Le soleil pointait timidement le bout de son nez au-dessus de Paris. Ignorant l'appui désagréable qui tiraillait ses cervicales, le jeune homme contempla silencieusement le jeu de lumière qu'offraient les quelques rayons.

Voyant que l'humain n'avait rien de plus intéressant à lui offrir qu'un vieux croûton de pain, l'oiseau qui lui tenait compagnie s'éloigna, laissant le rouquin seul avec ses pensées. Pour la première fois depuis le moment suspendu qu'il avait passé à attendre le retour d'Alice ce matin, il était réellement seul.

Le jeune homme ferma les yeux. Il pensa à sa fiancée, qui devait certainement être plongée dans ses révisions avec l'assiduité qui la caractérisait. Il pensa à leur relation qu'il écaillait à chaque nouveau non-dit, à chaque léger changement de narration. Inévitablement, il pensa à Arnaud, pour qui il avait accepté de s'engager sur un terrain glissant... Puis à sa propre hypocrisie. Arnaud ne l'avait en rien forcé à développer une sorte d'attachement malsain pour un parfait inconnu.

Car c'était bien ce qu'ils étaient. De parfaits inconnus, poursuivant une libération au bout des lèvres du spectre d'un homme qu'ils ne rencontrerons jamais. L'anonymat levant les inhibitions les encourageant à s'affranchir des tabous.

Benjamin grimaça en repensant à la conversation qui avait suivi, et à la facilité avec laquelle il était resté accroché aux paroles de l'autre homme malgré la gêne bien réelle qui ne manqua pas d'accompagner le triste retour à la réalité.

Le pire, c'est qu'il s'était surpris à l'imaginer, cette fois. Non content de s'accrocher à cette voix, il lui avait donné forme... Une peau mate, un regard sombre, éternellement sérieux, mis à part quand un sourire narquois éclaircissait ses traits. Lorsque le Caporal l'avait invité à explorer sa peau, il l'avait imaginée sublimée par des éclats d'encres.

L'incandescent équilibre entre nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant