Chapitre 24

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Ce matin je suis contrainte de renter à la maison. Je n'ai pas envie de laisser Alex ici mais je suis obligée pour que Sophie ne se doute de rien. Je me lève donc le cœur serré. Il dort toujours, ses yeux bougent sous ses paupières endormies, les rideaux filtrent la lumière du jour mais un petit rayon de soleil arrive à s'en échapper, il illumine son corps au niveau de ses blessures sur son torse. De gros hématomes ornent son flanc droit. Chris n'y est pas allé de main morte, je ne sais pas comment je vais réussir à le regarder dans les yeux ce soir. Je ne sais tout simplement pas comment je vais faire pour rester loin d'Alex.

J'allais sortir de la chambre une fois prête, j'avais même laissé les clefs et un petit mot sur la table de chevet pour qu'il ne les loupe pas. Mais c'est comme si un aimant m'attirait à lui. Je m'approche une dernière fois de son corps endormi et lui dépose un bref baiser sur la joue. Une fois cette tâche accomplie, je me force à sortir de la chambre.

A l'extérieur l'air est glacial, le vent transperce mes vêtements, j'ai l'impression que l'on m'enfonce mes milliers d'aiguilles dans tout mon corps. Je prends donc la décision de courir jusqu'au métro pour me réchauffer. A l'arrêt se trouvent deux autres personnes, une vieille femme aux cheveux mauves, une punk, avec sa veste en cuir et ses boots grunge. Elle m'amuse.

A l'opposé un homme se trouve de dos, je ne peux pas voir ses cheveux dissimulés sous un vieux chapeau mais sa carrure me renvoie une image familière.

Je place mes écouteurs sur mes oreilles. La musique m'emporte et me fait patienter les quelques minutes avant l'arrivée du prochain train. Je sors mon téléphone, et je commence à discuter avec Marie. Il est encore tôt, mais je sais que c'est une lève tôt.

moi : coucou! Je suis en route pour le studio... encore désolée et merci pour hier soir, tu penses qu'on peut s'appeler ? J'ai besoin de me changer les idées.

Quelques secondes après mon message mon téléphone vibre.

Qu'est-ce que j'aime les amis réactifs comme elle.

-Allooooooooooooo !

Elle hurle dans le combiné comme à son habitude.

-Hey !

-Dis-moi tu as une petite voix.

-J'ai trop peu dormi.

En prononçant ses mots je me mets à bailler.

-Houlà, ça promet la petite mine tout ça ! Bref je veux tout savoir, il s'est passé quoi après ton départ et ton texto ? Vous vous êtes embrassés ?

Je lui raconte comment a fini notre nuit. Je sens que ma voix se fait niaise et je déteste ça.

-Tu es amoureuse Els.

Bien sûr que oui, mais ça je ne l'avouerais pas. Face à mon silence elle rétorque :

-Bon. Charline est en train de se lever. Je vais devoir te laisser.

-Mmmmh...

A l'évocation du nom de ma meilleure amie je palis.

-Elle arrivera à passer au-dessus, me murmure Marie.

-J'ai l'impression de la trahir alors que ce n'est pas le cas.

-Vous aurez une conversation en temps et en heure. Ne t'inquiète pas.

Impossible. J'ai trop peur de la perdre.

Pendant qu'elle m'annonce que son copain va passer la journée avec elle mon train arrive. Je monte à l'intérieur, la mamie punk s'assied à côté de moi quand l'homme étrange lui se place juste en face, j'écoute toujours Marie tout en regardant mes chaussures, les vieilles converses de ma mère.

-Je peux passer te voir ce soir ? Pour te raconter.

-Pas de soucis, ça m'arrange même je n'ai pas vraiment envie d'être seule avec les Bess, vraiment.

-Super je t'envoie un texto quand je pars de chez moi !

-Pas de soucis. Bisous à toute.

-Je t'adore !

-Moi encore plus.

Et elle raccroche.

Je lève enfin les yeux vers l'homme mystérieux. Tout d'abord vers ses chaussures, vieilles, poussiéreuses, en cuir marron sale. Son pantalon beige troué par l'usure et mangé par des mythes. Sa chemise mal boutonnée, dans sa main il tient une bouteille de whisky.

Pauvre homme, il n'est que 7h30.

Puis la nausée me saisit quand je croise ses yeux, ils sont injectés de sang, ses cernes montrent bien son état, des rides les décorent. Mais ils sont toujours aussi gris, aussi bleus, aussi froids, aussi vides que la dernière fois que je les ai vu. Parce que c'est ceux de mon géniteur, celui qui a préféré l'alcool à sa propre fille, celui qui a préféré me laisser à des inconnus parce qu'il était incapable de ne pas me cogner dessus.

Je revois mon père après des années sans nouvelles. Je vois dans son regard qu'il essaie de me remettre, il me reconnait mais pas assez pour se rappeler que je suis sa propre fille. C'est pitoyable. De tout manière il l'a toujours été, pitoyable. Quand ses yeux se posent sur mon cou, une lumière allume ses yeux lourds. Il reconnait mon médaillon ou plutôt celui de ma mère. Il arrive à se souvenir d'un collier mais pas du visage de sa propre fille. Les larmes me montent aux yeux, je vais exploser et vomir. Je ne peux pas supporter son regard encore une seconde de plus. Je prends mon sac et pars à l'autre bout du véhicule. J'ai sérieusement envie de vomir alors que je n'ai rien dans l'estomac. L'arrêt suivant est le mien. Dieu merci !

Quand je sors du train, mon estomac se soulage quand même, seulement de la bile sors, c'est répugnant. Les larmes se mettent à couler, tout remonte : mon enfance, mon père, la mort de la mère, Valérie, les familles, la maltraitance, les lames de rasoir.

Je cours jusqu'à chez moi, désespérée. Tant pis pour la danse ! Ma vie était un putain de chaos. Je ne sais même pas ce que je fais encore sur cette putain de planète. Plus rien ne va.

Quand j'entre dans la maison je vois un mot posé sur la table de l'entrée.

Elsa, nous sommes partis au travail, nous revenons en fin d'après-midi. Je t'ai laissé un repas dans le frigo. Je t'embrasse, Sophie.

Lire cela me soulage, je vais pourvoir retomber dans mes vieux travers sans avoir à me soucier de qui est ici. Je ne suis pas fière ce que je vais faire, mais j'en ai besoin, j'ai besoin de me faire du mal, pour me rappeler que je ne mérite pas d'être sur cette terre. Mon existence n'est que tracas.

Je monte dans la salle de bain d'Alex, trouve une boite de lame de rasoir. Je prends soin de les désinfecter, je fais de même pour ma peau. Je me regarde dans le miroir et je vois le néant dans mes yeux à cause cet homme.

J'oublie toute la joie de cette nuit passée dans les bras d'Alexander. Et je regarde juste le sang couler le long de mon bras gauche, puis couler dans le lavabo, comme les larmes sur mes joues.

Until the last petal falls (terminé) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant