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Après mes affaires dans le seau et la douche à l'eau sale de mon camarade, l'atmosphère autour de moi dans la classe a été très tendue. J'ai pu remettre mes baskets montantes blanches le dernier jour de cours, je portais une seconde paire de secours entre temps, tout le reste a également été lavé et nous sommes à présent le vingt-quatre décembre, au milieu de la première semaine de vacances.

Ma mère et moi avons ressorti le sapin en plastique acheté l'année de ma naissance et l'avons décoré avec seulement une petite dizaine de guirlandes et quelques boules. L'adulte étant fille unique et mes grands-parents de son côté décédés il y a quelques années, les réunions de familles seront plus que limitées. Avant que mon père ne parte, c'était ses parents à lui que nous invitions, mais je n'ai plus entendu parler d'eux depuis le départ soudain de leur fils. Comme tous les ans, aucun grand dîner exceptionnel pensé des jours à l'avance n'est prévu, mais ça m'a toujours convenu.

J'ai un peu aidé ma mère à préparer le gratin dauphinois pour tout à l'heure puis elle n'a plus eu besoin de mon aide et m'a presque mis à la porte de la cuisine. Je suis donc maintenant dans ma chambre à jouer à la console et avec la musique diffusée par le haut-parleur de mon téléphone, attendant qu'elle m'appelle afin que nous allions choisir un dessert à l'extérieur avant que nous ne mangions. C'est une sorte de petit rituel que nous avons mis en place depuis que nous passons cette période de l'année rien que tous les deux.

Justement, au bout d'une dizaine de minutes, vers vingt heures, elle me demande de descendre. J'enfile un gros sweat par-dessus mon t-shirt, laisse pour une fois ma veste sur ma chaise de bureau puis vais mettre mes chaussures. Quasiment à deux rues de chez nous nous avons une sorte de petit parc, de quelques dizaines de mètres carrés, qu'il nous suffit de traverser grâce à un chemin en gravillons pour arriver rapidement à pied devant un magasin d'alimentation ouvert tous les jours de l'année jusqu'à très tard.

Après avoir payé, retrouver la température extérieure me fait regretter de ne pas avoir pris mon vêtement préféré tandis que ma mère s'emmitoufle dans son manteau. Sous la lumière des lampadaires et des décorations de Noël plus énergivores qu'utiles, nous croisons peu de passants et je discute avec ma génitrice transportant la bûche glacée sur laquelle nous avons mis du temps à nous mettre d'accord. Au milieu de l'une de ses histoires de patients hystériques qui lui crient dessus réclamant le médecin, je remarque quelqu'un qui m'est familier assis sur un banc au milieu du parc que nous traversons de nouveau. Il est immobile, les mains dans les poches de sa parka noire, le dos appuyé contre le dossier et la tête en arrière avec ses yeux vers le ciel noir. Qu'est-ce qu'il fiche ici ?

"Theo' ? Qu'est-ce qu'il y a ? "

Elle suit mon regard devinant que la réponse ne viendra pas.

"Coup de foudre ? " Me taquine t-elle discrètement.

Je me tourne brusquement vers elle. Surtout pas avec ce binoclard !

"Non. C'est juste un mec de ma classe."

Ma mère le détaille une seconde puis commence elle aussi à s'interroger sur la raison pour laquelle il est seul sur un banc un soir de réveillon et non avec ses proches. Je comprends trop tard ce qu'elle compte faire et n'ai pas le temps de la retenir, ni de l'en dissuader. Je reste à l'écart et soupire alors qu'elle s'approche et interpelle mon camarade :

"Excuse-moi, tu es dans la classe de Theoden ? "

Le garçon aux cheveux quasiment noirs se redresse sorti de ses pensées, s'aperçoit de ma présence et acquiesce. Je reste planté là souhaitant que leur petite discussion se termine vite. L'adulte lui demande ce qu'il fait ici et pourquoi il n'est pas chez lui, s'excusant pour son indiscrétion.

Derrière Les FaçadesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant