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La première semaine de reprise est écoulée, la chaleur commence lentement à revenir en ce milieu de mars et les journées de cours me semblent toutes interminables. J'en ai déjà assez de ce mardi alors qu'il vient à peine de commencer. Je monte jusqu'à notre première salle, laisse mon sac à mes pieds et m'adosse au mur avec mon téléphone sans avoir, aujourd'hui encore et pour la première fois sur une durée aussi longue, ma veste rouge. Ma mère commence d'ailleurs à se demander où elle est passée ne la voyant ni sur moi, ni dans les vêtements qu'elle lave.

Bien évidemment depuis la fin des vacances, j'ai repoussé Iagan à chaque fois qu'il a essayé de venir me parler et c'est depuis hier seulement qu'il a cessé d'insister. Pour la gothique, c'est elle qui n'a pas tenté de m'approcher une seule fois et avec l'état d'esprit dans lequel j'étais, je n'en avais strictement rien à faire. Il n'y a qu'à Ylan a qui j'ai accepté d'adresser la parole et, même s'il a bien compris que je n'étais pas d'humeur pour les discussions trop longues, il était content que je l'autorise à me recontacter par mon numéro de téléphone et que je ne le repousse pas quand il se rapprochait physiquement de moi.

Plus que les deux heures de sport. La sonnerie vient de retentir et nous voyons la professeur avancer vers nous pour nous ouvrir le gymnase et les vestiaires. Le troupeau d'élèves s'engouffre dans le bâtiment, je fais un pas pour passer à mon tour, mais une autre personne qui faisait la même chose et moi nous bousculons.

"Vas-y." Me laisse passer devant Iagan.

Je m'exécute le regardant à peine puis commence à me changer dans mon coin habituel du vestiaire tandis que des discussions sur divers sujets autour se poursuivent. Même sans y accorder beaucoup d'importance, je repère que certains demandent des informations au binoclard sur la fête qu'il organise ce week-end. De ce que j'entends, j'apprends que ce sera pour son anniversaire.

Ils lui demandent surtout s'il y aura telle ou telle boisson, s'il pourra s'arranger pour faire passer telle ou telle musique ou encore s'ils peuvent venir accompagnés d'une personne que ne connaît pas forcément l'adolescent aux cheveux quasiment noirs. Ce dernier acquiesce mollement à presque toutes les demandes et je me force à retenir mes remarques internes sur le sujet pendant que j'enfile mon jogging de sport.

Après déjà plusieurs minutes sans qu'il ne se passe rien, je pensais que l'impatience à l'idée de cette soirée allait m'épargner des remarques, jusqu'à ce qu'un idiot se souvienne de ma présence.

"Au fait suce-bite, on le voit plus depuis hier ton mec. Il t'a déjà largué ? " Questionne t-il légèrement moqueur.

En effet, Ylan m'a envoyé un message ce matin pour me dire qu'il était malade encore aujourd'hui.

"Pourquoi ? T'as envie de le remplacer ? C'est au lit qu'il me manque le plus si ça t'intéresse." Je ne prends même pas la peine de me tourner pour voir à qui je parle.

C'est heureusement sorti par automatisme, sinon je ne suis même pas sûr que j'aurais cherché quelque chose à répondre. La seconde après la fin de ma phrase, toutes les têtes se tournent vers la porte des vestiaires par laquelle vient de brusquement sortir le binoclard. Alors que celle-ci se referme sans que personne ne la touche, je l'aperçois enfiler rageusement un t-shirt clair sur son trajet.

"Bordel, mais il a quoi encore à péter un câble sans prévenir ? " S'interroge un membre de sa bande.

Un autre conseille au premier de ne pas trop réfléchir, que ça finira bien par lui passer. Je profite que plus personne ne fasse attention à moi pour vite enfiler mon t-shirt, lacer mes chaussures puis emprunte le même chemin que mon camarade jusqu'à la piste d'athlétisme.

Tout le monde prêt et échauffé, nous devons rejoindre notre binôme. Lors de la séance de la semaine dernière, nos échanges avec Lorelei s'étaient limités strictement au demi-fond, mais une partie de moi, maintenant que je suis un peu plus calme par rapport à tout ce qui s'était passé avant les vacances, espère que ce sera différent aujourd'hui.

"Je cours le premier ou c'est toi ? " Je l'interroge essayant d'être peut-être moins froid que ce que j'ai pu l'être la dernière fois.

Elle ne semble cependant pas avoir perçu beaucoup de différence, puisqu'elle m'indique qu'elle va y aller la première s'avançant déjà vers la ligne de départ sans un mot de plus. Je vais donc prendre un chronomètre et me prépare à l'observer. Elle se place sur la piste non loin du binoclard et mon regard ne peut pas s'empêcher de s'attarder sur lui, comportement que je rectifiais toujours vivement ces derniers jours. Il s'échauffe encore un peu les genoux et les chevilles tandis que deux autres élèves lui parlent. Il leur répond, mais son regard reste rivé vers le sol, dans le vague. Haut clair, jogging gris avec le logo de la marque sur l'un des côté, de l'anti-cernes derrière ses lunettes et des baskets de sport grises et rouges dont les semelles ne sont plus blanches depuis longtemps.

Je reviens à la réalité lorsque l'adulte demande si tout le monde est en place. Je me reconcentre sur la gothique me répétant que c'est juste ma veste, qu'il portait toujours quand je l'ai mis dehors, qui me manque. C'était un cadeau de ma mère, ce qui m'embête encore plus. Ça ne m'étonnerait cependant pas qu'elle soit dans une benne à ordures à l'heure qu'il est.

Le coup de sifflet final de la course de six minutes retentit enfin. Je ralentis, vais boire puis retourne voir Lorelei reprenant petit à petit ma respiration. Elle me laisse le chronomètre et avance pour se positionner avant le début des dernières courses. Je l'interpelle me décollant du mur frais et fais quelques pas pour m'approcher d'elle.

"Pour avant les vacances...

- Oui ? "

J'hésite un peu ne sachant pas si ce sera suffisant, ni ce que je pourrais faire de plus si ça ne l'est pas.

"Je suis désolé."

Elle croise ses bras sur sa poitrine et regarde le sol ayant l'air de réfléchir à mes excuses. Elle reprend la parole après quelques longues secondes :

"Tu m'as fait la gueule pendant plus de deux semaines, si on compte pas les vacances, et maintenant tu t'excuses, résume t-elle. Et après ? "

Elle relève les yeux vers moi. Son air impassible ne me donne pas beaucoup d'espoir.

"Qui me dit que tu me referas pas la gueule le jour où je te redirais un truc qui te plaît pas ? Je veux demander à personne de changer, mais j'ai pas non plus envie d'entrer encore dans un attachement instable. C'est peut-être pas définitif, mais en attendant, désolée." Termine t-elle.

Le message n'a pas trop de mal à être reçu. Je lui dis que je comprends, n'ayant pas beaucoup d'autres options de toute façon, et la laisse aller se mettre en place. De mon côté, je prépare le chronomètre avant le coup de sifflet.

Je sors de la salle de bain en boxer, laissant celle-ci en vrac derrière moi, et m'affale sur mon lit sans mettre de musique par le haut-parleur. Habituellement, j'aurais aussi fait un tour sur l'application, mais depuis la découverte sur Nagai, je ne me suis pas reconnecté une seule fois. Je me relève pour aller prendre mon ordinateur sur mon bureau et cherche la suite de la série que j'ai commencée hier. Je fais défiler les épisodes jusqu'à ce que ma mère, que je n'ai pas entendu rentrer ni m'appeler pour le dîner, entre dans la chambre après avoir donné deux coups sur la porte. Elle me prévient que le repas est prêt et me demande si je descends. Je mets donc sur pause tandis qu'elle remarque quelque chose sur le parquet.

"Comment ça se fait que ton requin jaune est par terre ? "

Je lève la tête vers la direction qu'elle indique. J'avais presque oublié l'existence de ce stupide poisson qui traîne sur le sol depuis que je l'ai jeté. Ma mère avance pour aller le ramasser puis me le tend afin que je le récupère.

"Fous-le à la poubelle. Je le veux plus." Je lâche me levant.

J'ajoute juste ensuite que, finalement, je n'ai pas faim et me rassois pour reprendre mon épisode.

"Theo' tu...

- J'ai pas faim je t'ai dit." Je coupe l'adulte.

Elle laisse la peluche sur mon bureau et quitte ma chambre refermant derrière elle. Je me relève moins de quelques secondes après, récupère le requin et le lance sans états d'âme dans ma corbeille. Je ne fais que regarder deux épisodes supplémentaires avant de tout éteindre, plonger la pièce dans le noir et me coucher alors qu'il n'est même pas encore vingt heures trente. Si cet abruti de binoclard n'existait pas, tout se serait mieux passé.

Derrière Les FaçadesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant