Je ne peux garantir la victoire. Je ne peux même pas garantir notre survie.
Ne pas renoncer, c'est la seule sagesse.
Attribué à Aléane
« Mes hommages, amirale.
— Respects. On dit « respects ».
— Je ne suis pas un militaire de carrière, vous vous contenterez donc de mes hommages. Vous n'aimez pas mes hommages ? Avouez-le, les hommages d'un von Zögarn valent les respects de n'importe qui, ils font très bien le job et on n'a jamais à se plaindre d'eux. »
Adrian fit le tour du bureau en faisant résonner chacun des murs, réflexe d'un alchimiste habitué des passages secrets et autres trésors dissimulées derrière des tapisseries. L'Indra n'avait rien de tout cela. Le vaisseau avait été construit d'un bloc, en une année, sur des plans précis ; malgré sa taille, il était cartographié au centimètre près.
« Il semble que l'équipage ait bien pris votre nomination en tant que conseiller technique.
— Oh, c'est normal. Tout le monde aime mon sens de l'humour. En prévision de ce voyage, j'ai compilé plus d'un millier de blagues provenant de cent mondes différents. Par exemple, savez-vous quel est la différence entre un Drom et une gerbille ? Eh bien, le Drom est venimeux ! Ha ha, c'est excellent. Peut-être, hum, mal traduit.
— Pourquoi êtes-vous venu me voir ?
— Nous serons autour de Nemus dans une semaine. Les opérateurs sont en train de fouiller le spectre électromagnétique pour voir ce qui nous attend, mais les locaux sont avares de signaux radio. Par ailleurs... Naranda s'est réveillée. Ils ont examiné sa commotion cérébrale, et elle devrait survivre, figurez-vous.
— Parfait. Allons la voir.
— Vous êtes sûre ? »
Son départ donna lieu de réponse ; Adrian la suivit le long de la coursive éclairée de ce blanc uniforme, qui rendait floues les limites exactes du corridor.
« Est-ce que vous connaissez bien Nemus ?
— Euh, pas trop. Je ne m'y suis pas rendu depuis un siècle environ. »
Ek'tan l'examina de biais. Il avait refusé l'uniforme et portait toujours son costume, malgré une manche en moins, prétendant qu'il lui portait bonheur.
« Vous me devez un grand nombre d'explications.
— Eh bien, figurez-vous que... pas du tout. Je repartirai un jour comme je suis venu, c'est-à-dire, en toute discrétion. Si je disparaissais demain, vous n'auriez aucun mal à m'oublier. »
Ils entrèrent dans le centre médical, profondément enfoui dans le vaisseau. On avait déjà endormi les deux acolytes de Naranda et placé ceux-ci dans un module de sommeil ; leur interrogatoire n'avait rien donné. Un médecin était en train de lui poser une perfusion à pompe lorsqu'Ek'tan entra dans sa chambre.
Elle avisa les sangles et ordonna qu'on les laisse seules.
Des pansements régénérants couvraient le nez gonflé de Naranda ; son crâne avait été à demi rasé pour y faire plusieurs points de suture. Il s'agissait de sa seconde, elles avaient travaillé ensemble plusieurs mois, pourtant Ek'tan devait apprendre à tourner la page. Chacun des éléments humains de la Flotte était faillible, soumis à une certaine probabilité de trahison.
« Parlez-moi.
— Je suis désolée, amirale. »
Elle avait l'air sincère. Naranda n'était donc pas un simple pantin sans libre arbitre ; dans l'après-coup de son attentat, son cœur était aussi tuméfié que son visage.
« S'il n'avait pas été là, nous serions tous morts écrasés sur le pont d'Arcs.
— Je suis un élément essentiel, confirma Adrian, considérant que tout compliment est bon à prendre.
— Pourquoi ?
— Oh, nous aurions aimé être comme vous. Sûrs de notre victoire. Mais nous avons pris la mesure de ce que nous allons affronter. Stella Rems entre dans un conflit stellaire. Un conflit de puissances divines. Et nous sommes seuls face à Hélios. Comment ne pas prendre peur de la défaite ?
— Vous pensez que je ne doute pas, moi aussi, que je n'ai jamais peur ?
— J'ai vécu, contre mon gré, des dizaines de batailles, renchérit Adrian, et que ma moustache soit rôtie si j'ai jamais été certain du résultat ! »
Naranda pâlit, battit des paupières – ses yeux tremblaient.
« Le seul moyen de l'éviter, c'est que Rems reste en dehors du confit. Ce dieu de la légende, Kaldor, a déjà perdu sa guerre. Nous ne pouvons pas la mener à sa place.
— Elle marque un point » nota Adrian en se lissant la moustache.
Pour Naranda, tous les chemins menaient à la chute de Stella Rems ; il était donc nécessaire que l'envol de la Flotte fût stoppé, que l'Armada Secunda ne vît jamais le jour.
Ce défaitisme était une maladie dormante chez la plupart des soldats de Rems, qui pouvait se déclarer à tout moment ; lors d'une bataille, comme lors d'une conversation quotidienne, le matin en se peignant les cheveux, le soir en révisant la trajectoire du vaisseau. Ou bien la nuit, entre deux rêves.
Elle y était elle-même exposée.
« Adrian, si jamais vous voyez apparaître les premiers signes chez moi... remplacez-moi. Je ne dois pas seulement être apte à commander. Je dois être apte à mener Rems à la victoire. Je dois donc garder la foi.
— C'est dangereux, la foi, quand on est militaire.
— Alors, que faire contre le défaitisme ? Que faire contre l'angoisse qui nous menace tous ?
— Eh bien, on croit souvent qu'il faut montrer une certitude inflexible, mais cela conduit les gouvernants à mentir, donc à perdre la confiance que leur accorde les gouvernés. Ne cachez pas vos doutes. N'essayez pas d'être un mur de marbre. Les murs ont tous des trous. Beaucoup attendent la première défaite pour s'effondrer. Et vous connaîtrez de terribles défaites ! Essayez d'être résiliente. Montrez-leur comment faire preuve de la même résilience ; ils continueront de croire en vous.
— Vous avez l'air si sûr de ce que vous dites.
— Tout ce que je sais, c'est que rien ne se passe jamais comme prévu. J'ai fait ma paix avec cette loi fondamentale de l'univers. Depuis, tout le monde me prend pour un vieux sage. Allez comprendre... »
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Nolim II : Le dévoreur d'étoiles
FantasiKaldor est vaincu. Le dévoreur d'étoiles est libre. Sorti de sa prison céleste, il ne lui reste plus que quelques années de voyage avant d'atteindre les premiers systèmes stellaires de l'Omnimonde. Kaldor avait un plan pour le vaincre. Mais ce plan...