43. Là où rien ne peut m'atteindre

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Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire, L'invitation au voyage


Lorsque Sahir termina les dernières lignes de code du contrôleur, ses doigts tremblaient.

Des figures abstraites envahirent tous les écrans. Des milliers de trajectoires rouges, vertes, clignotantes, des milliers de lueurs superposées au flou jaunâtre du nuage de poussière dans lequel évoluait l'Indra.

« Ils sont à vous, déclara l'ingénieure.

— Essayons de sortir de l'anneau. Ciblez tous les objets qui essaieraient de nous attaquer par la tangente.

— Ils se mettront dans l'angle mort, prévint le chef des artilleurs.

— Ce sera toujours ça de gagné.

— Entendu. »

Le vaisseau tremblait maintenant en continu, comme s'il grelottait ; sur l'écran du copilote, les messages d'avarie tournaient en boucle comme un interminable cahier de doléances.

« Contact dans la zone d'habitation numéro six. Nos fusiliers tiennent leur position. On a aussi subi une dépressurisation près de la batterie de tir D. Ils ont fermé et isolé les portes. D'autres impacts au niveau du ventre, rien sur le dos, rien du côté des propulseurs.

— Savez-vous où est Adrian ?

— Aucune idée. »

Sahir revint s'asseoir à côté de Garrison, rattacha les sangles et se tut. Là où le terrien observait la passerelle avec une grande attention, son regard s'était vidé de tout sentiment. Seules ses mains tremblaient encore, en opposition de phase avec les soubresauts de l'Indra. Le vaisseau appartenait désormais aux artilleurs, à Ek'tan, à Adrian, sorte de génie familier capable d'apparaître un peu partout. Elle se sentait inutile.

Elle n'était pas à la hauteur.

L'accélération les cloua dans leurs sièges. Le vaisseau entamait sa manœuvre ; des centaines de cailloux s'écrasaient au même moment sur son dos de composite blanc. Sahir sentit le sang flotter dans son crâne, puis refluer vers son visage. Enfin, seule demeura l'accélération horizontale, perpendiculaire au dossier du siège. Pour économiser son énergie, l'Indra avait coupé la gravité artificielle. Elle avait donc l'impression de tomber vers l'avant.

« Vous êtes anxieuse, dit l'ambassadeur terrien à voix basse.

— Vous êtes calme. Comment faites-vous ? »

Des tirs de thermo-cinétiques balayèrent l'espace autour de l'Indra. Chaque frappe traçait une traînée de feu, brève et évasive, car absorbée par la poussière. Des cailloux prenaient feu à son passage et gagnaient eux aussi en vitesse, si bien que l'Indra causait sa propre tempête. Des vaisseaux vampires avaient eu la même idée. Manquant de précision, leurs tirs se croisaient parfois ; plus d'une dizaine de croiseurs éclopés dérivaient dans le brouillard.

« Vous souhaitez connaître mon secret ? »

Peut-être étaient les reflets sur ses lunettes, des lumières incertaines qui leur balayaient le visage. Mais Garrison, depuis qu'elle l'avait rencontré sur Terre, semblait s'être doté d'une profondeur, comme un tableau suspendu dans un bureau présidentiel, que l'occupant aura croisé mille fois, mais dont il n'apercevra les intrigants détails qu'à la veille d'une cuisante défaite.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant