Retour de la Terre. Avons ramené deux tonnes d'eau, dix tonnes de vivres et soixante kilos de diplomate.
Adrian von Zögarn, Dans le journal de vol de l'Indra
L'avion flottait au-dessus d'une mer de nuages. En-dessous se trouvait l'Océan Atlantique, au-dessus la haute atmosphère et l'espace, de sorte que la Terre s'approximait en un empilement de sphères célestes lisses et parfaites comme le plan d'un démiurge.
Tous ceux qui louent un créateur, et ils sont nombreux, rêvent de son retour, songea Sahir. Et peut-être que tous ces créateurs sont des avatars d'Hélios, le dieu unique, prophétisé voici quelques millénaires. Mais Kaldor ne reviendra pas pour nous ; il est mort et demeurera à jamais le dieu vaincu.
Le téléphone satellite de l'habitacle sonna. Adrian, qui paraissait somnoler, et Garrison, qui lisait un livre, s'interrogèrent pour savoir qui devrait le décrocher. L'alchimiste gagna – ou perdit. Rien de tout ceci n'intéressait l'ingénieure-major, qui approcha son nez du hublot, jusqu'à voir apparaître les contours de son visage. Au dehors, une marée de lumière descendait sur les nuages, qui se condensait en une myriade e gouttelettes dorées. Elle imagina des discours hypothétiques, par lesquels l'amirale Ek'tan pourrait remettre d'aplomb le moral de la flotte ; mais peut-être était-ce impossible. Peut-être l'Armada Magna devait-elle cheminer dans l'ombre, dans l'incertitude, jusqu'à ce que leur ennemi ultime dévoile son manteau d'or, jusqu'à ce que les forges des gouffres célestes ne s'allument et que la terre ne s'ouvre sous leurs pieds.
Elle suivit ces gouttes du regard ; un éclair traversa le ciel et la silhouette de Lilith se découpa, noire sur noire, car elle absorbait toute lumière et ne se révélait que par son absence insurmontable. Il lui vint à l'esprit qu'Adrian se trompait peut-être à son encontre. Si Lilith occupait ce ciel, Hélios, lui, en était absent ; peut-être que la Lune noire était l'ange protecteur de ce monde ; un monstre ambigu, aussi cruel avec ses ennemis que bienveillant envers ses enfants.
« Ingénieure-major ?
— Je réfléchissais à quelque chose, Adrian. Deux mondes qui se rencontrent pour la première fois ne peuvent pas s'entendre. Ils savent qu'il est impossible de décider assez vite si les intentions de l'autre sont amicales ou mauvaises, et la seule décision rationnelle est d'oblitérer leurs voisins.
— Tous les peuples de l'Omnimonde sont déjà liés. Tous les mondes font déjà partie d'une même toile d'Arcs.
— Rien n'unit mieux les mondes qu'un ennemi commun. Les bénéfices de leur collaboration dépassent ceux de leur opposition. Si Hélios n'existait pas, l'Omnimonde plongerait déjà dans le chaos. Vous le saviez, n'est-ce pas, Adrian ?
— Je le sais, et l'amirale Ek'tan également. Il est possible que le retour d'Hélios ait été une nécessité prévue par Kaldor.
— Sans lui, les peuples que nous espérons allier aujourd'hui auraient basculé dans la guerre stellaire.
— Ingénieure-major, ce n'est pas notre problème principal à l'heure actuelle. Denrey vient d'appeler. »
Sahir se situait trop loin de lui. Elle pensait à Hélios.
Chaque chose dans cet univers possède un dual. La réunion des dualités engendre ou bien l'anéantissement mutuel, ou bien la création d'une chose nouvelle. Ainsi, l'ère des dieux de l'Omnimonde, qui touchait à sa fin, avait gagné un répit par le biais de la symbiose entre l'almain le divin. L'almain disposait de capacités finies et d'une volonté inépuisable ; le divin d'une puissance illimitée et d'une volonté fragile.
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Nolim II : Le dévoreur d'étoiles
FantasiKaldor est vaincu. Le dévoreur d'étoiles est libre. Sorti de sa prison céleste, il ne lui reste plus que quelques années de voyage avant d'atteindre les premiers systèmes stellaires de l'Omnimonde. Kaldor avait un plan pour le vaincre. Mais ce plan...