36. Lazarus

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Le Grand Ivan baignait dans un état d'esprit diamétralement opposé au défaitisme rampant des remsiens ; il emmenait toute la flotte vampire dans cet état de grâce.

Après l'acquisition de Mjöllnir, la flotte avait passé son temps en exercices de manœuvre, afin de se familiariser aux lois de son fonctionnement. À l'intérieur d'une Interface Mentale, l'humain placé aux commandes n'avait aucun contact avec l'extérieur ; il fallait donc décider des stratégies à l'avance, prévoir les grands cas de figure et, en cas de catastrophe imprévue, débrancher le pilote en urgence pour le remplacer par un autre. Cette dernière opération pouvait engendrer des dommages cérébraux irréversibles. Chaque vaisseau de la flotte disposait donc d'une réserve d'une douzaine de pilotes.

Il était impensable qu'un pilote pût se retourner contre les vampires, car ils étaient sélectionnés pour leur docilité. Mais, en retour, ils manquaient cruellement d'initiative. Toutes les réunions stratégiques des vampires consistaient donc à lister des éventualités, à préparer des ordres précis en essayant de ne rien laisser au hasard, ni à l'improvisation.

Adrian von Zögarn, Histoire de la guerre d'Hélios et du rôle mineur que j'y ai joué


Il fallut un peu plus d'un mois, soit le temps du trajet entre la Terre et le système Lazarus, pour que Garrison s'installe dans l'Indra.

Tel un chat prenant possession d'un appartement, il était toujours présent quand on tournait la tête, jamais quand on le cherchait. Avec ses lunettes et son costume trois-pièces, il sortait du lot ; pourtant, une aura de discrétion l'entourait, semblable à celle d'Adrian lors de ses premiers jours, capable de le rendre invisible, tel un figurant de l'arrière-plan dont les gestes futiles passent inaperçus au spectateur inattentif.

À l'inverse d'Adrian, Garrison parlait peu. Il faut dire qu'à ses débuts, il ne maîtrisait par le latin remsien. En revanche, il écoutait avec attention. Il suffisait qu'il s'approche de vous, la tête légèrement penchée, ses lunettes en équilibre sur son nez court, le visage toujours rasé de près, pour qu'on lui confie ses doutes, ses espoirs, ses humeurs du moment, pour qu'on lui raconte ses histoires de pêche et ses souvenirs d'enfance.

Garrison écoutait. À d'autres moments, seul, assis sur un des bancs soudés au sol d'une salle de réunion, ou adossé à une cloison lumineuse, il notait sur son carnet. Sa mémoire semblait infinie, capable d'enregistrer aussi bien les sons d'une langue étrangère, que la structure précise d'un réacteur non-standard, dont il faisait les croquis au crayon.

Plus rarement, l'ambassadeur terrien s'enfermait dans sa cabine et encodait des messages chiffrés à destination du BTS, transmis par les stations-relais que l'Indra disséminait sur sa course. Il ne pouvait recevoir de réponse avant une journée entière, temps de transmission des ondes électromagnétiques, et se contentait donc sans doute de longs rapports sur les plans de l'amirale Ek'tan et de descriptions fidèles de la vie à bord du vaisseau.

À mesure qu'il se familiarisait avec le latin, Garrison muta de journaliste en diplomate. Admis tardivement dans les réunions des officiers, il se contenta d'abord d'écouter, puis émit de brèves remarques, dans une langue approximative, mêlée d'espagnol, de français et d'italien. Les officiers n'y accordaient guère d'attention, mais Sahir commençait à saisir sa capacité d'influence. Garrison arrivait avant tout le monde, laissait une idée traîner sur la table et attendait, une fois la discussion bien entamée, qu'un capitaine s'en saisisse, la prenne et la défende, tel cette hirondelle qui adopte les oisillons trouvés dans son nid.

Au bout d'un mois d'immersion, Garrison savait parler latin. Sahir s'en rendit compte le jour de la réunion hebdomadaire ; arrivée en avance, elle l'avait trouvé déjà attablé, le regard dans le vide, comme si la réunion avait déjà commencé pour lui.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant