L'intérieur du Reine Arcana n'était pas plus esthétique que l'extérieur. La porte du sas ne s'ouvrit pas automatiquement et il fallut qu'Ek'tan et Adrian s'y mettent à deux pour déverrouiller l'écoutille. Sahir examinait les équipements.
« C'est étonnant, avec un si faible niveau d'électronique, d'être parvenu à construire de tels vaisseaux. Ils ont dû faire des sacrifices considérables.
— Je penche pour une autocratie » indiqua Garrison en se débarrassant de sa combinaison.
Ce sas avait été modifié spécialement pour leur passage. Des soudures fraîches indiquaient les emplacements des portes condamnées ; il ne restait qu'un couloir, fermé par une vitre, derrière laquelle attendrait la délégation vampire. Ils avaient exigé que la rencontre ait lieu de visu, mais dans deux atmosphères séparées, afin d'éviter les risques de contamination.
Alors que l'Indra avait une atmosphère stérile, ne transportant aucun virus, ce ne devait pas être le cas du Reine Arcana ; il faudrait quelques jours au moins avant que les biologistes des deux bords élaborent les cocktails de vaccins nécessaires à assouplir le choc de deux environnements microbiens différents.
« Allons-y » dit Ek'tan.
Elle rajusta le col de sa veste, imitée par Sahir ; Adrian lissa sa moustache et Garrison décoinça son nœud de cravate. L'autre côté de la vitre était une salle vide, éclairée par quelques néons grossiers. Adrian vérifia l'étanchéité des joints en attendant leurs hôtes. Puis, une écoutille grinça, la lourde porte blindée fut poussée sur ses gonds et la délégation vampire entra à son tour.
Ils portaient tous une combinaison noire d'une seule pièce, sans doute la base de leurs tenues spatiales, par-dessus laquelle s'enfilaient leurs uniformes. Cette surface mate, couleur d'encre, contrastait avec leurs peaux blanches, presque translucides. Ek'tan reconnut sans peine Ivan, chef de la Flotte, officier dans sa prime jeunesse, à l'assurance inébranlable. À ses côtés, un énorme vampire, chauve, sans doute l'amiral Bokariov. Son rôle restait à déterminer, mais elle était sûre d'une chose : si Ivan n'avait pas été là, il aurait dirigé la Flotte de Lazarus à sa place ; voilà qui suffisait à le définir. Des officiers subalternes suivaient. Ils ne seraient sans doute pas même présentés. En revanche, Ek'tan fut surprise d'apercevoir une humaine, une maigre jeune fille qui venait juste après Ivan et se cachait derrière sa silhouette rayonnante.
Mais la surprise des vampires fut bien plus grande et Ek'tan devina sans peine qu'ils n'avaient pas compris, dans les messages échangés, avoir affaire à des humains. Le visage du grand Ivan se décomposa soudain ; il se retint de dire quelque chose à Bokariov, qui était pris d'un tic, comme s'il venait de faire un accident vasculaire.
Qui parlerait le premier ?
La figure tutélaire de Kaldor et le nom de l'Armada formaient tout le cadre de leur rencontre. Ek'tan songea que des races issues de deux galaxies différentes, sans aucune relation de parenté, sans aucune histoire commune, n'auraient jamais une telle chance. Ce serait comme tendre la main dans le noir, sans savoir si l'on fait face à un enfant ou à un fauve.
Ivan avança jusqu'à la vitre, regarda Adrian dans les yeux et fit un salut de la main.
« Amiral Ek'tan, je vous souhaite la bienvenue sur le Reine Arcana. »
L'alchimiste fit un geste du menton en direction d'Ek'tan, sans effet, car Ivan semblait attendre sa réponse avec insistance. Paniqué, Adrian fit un pas en arrière pour se placer dans l'ombre des trois autres représentants.
« Je suis l'amirale Ek'tan. »
Le latin écrit de Rems avait perdu la notion de genre et les vampires avaient sans doute tranché par défaut. Leur panel d'officiers, tous des hommes, allait dans le sens de Garrison : une société autocratique, conservatrice et patriarcale, y compris dans ses cercles aristocratiques, et à l'exception de la Reine Arcana éponyme, exemptée par son sang royal.
Ivan fut forcé de reconnaître qu'elle avait plus de barrettes et d'insignes qu'Adrian, qui laissait un tournevis et un tube de résine dépasser d'une des nouvelles poches taillées dans sa veste.
« Merci de nous recevoir.
— Nous allons devoir travailler ensemble, lâcha Bokariov d'un air attristé.
— J'espère que cette collaboration se passera au mieux, assura Ek'tan.
— Mais où sont passées mes manières ? s'exclama Ivan. Je vous présente l'amiral Bokariov, mon tacticien et commandant du Reine Arcana. »
Ek'tan hocha la tête.
« Voici Adrian von Zögarn, alchimiste et conseiller scientifique ; l'ingénieure-major Sahir, conseillère technique, monsieur Garrison, ambassadeur et fonctionnaire de liaison terrien, conseiller diplomatique.
— Enchanté.
— Je vais être brève et aller droit au but. Nous sommes deux sociétés différentes, avec nos propres traditions, nos valeurs, nos cultures et nos chaînes de commandement. Nous ne devons pas essayer de nous influencer mutuellement. Nous devons collaborer en vue d'un objectif commun, qui est la défaite d'Hélios et la préservation de l'Omnimonde.
— Cela me paraît évident.
— Monsieur Garrison a préparé une version préliminaire d'un accord de principe, que la Reine Arcana pourra signer avec nous.
— Ce ne sera pas nécessaire, dit Ivan, qui parut inquiet de cette proposition. Je ne dois pas rentrer sur Lazarus avant la fin de la guerre. Arcana ne peut quitter le sol de la planète. J'ai tous les pouvoirs ici, ce sera à moi d'accepter votre accord.
— Entendu.
— Moi aussi, je vais être bref : c'est à moi qu'il reviendra de commander l'Armada Secunda. »
Garrison fronça les sourcils. On ne peut faire confiance à un chef autoproclamé, surtout pas en ces termes. Mais le moment de surprise étant passé, Ivan avait décidé de se moquer de Rems. L'amirale vit dans ces yeux l'éclair vert du fauve, celui qui fait comme il lui semble, qui marche dans une allée dégagée par la peur qu'il inspire. Mais elle traversait l'univers depuis des mois ; elle avait déjà perdu des soldats au cours de ce périple ; elle incarnait l'espoir de Rems, et elle ne connaissait pas ce genre de peur.
« Pourquoi ? »
La petite humaine qui se tenait derrière lui pencha la tête sur le côté, curieuse sans doute de voir quelqu'un tenir tête au grand chef de la Flotte.
« Cent mille tonnes sous vos pieds, lança le vampire en crispant la mâchoire, révélant les pointes de ses canines de carnivore. Cent fois plus dans notre flotte. Votre croiseur interstellaire est une feuille de papier de dix mille tonnes. Vous n'êtes pas une Armada. Nous sommes l'Armada, et vous n'êtes que des contributeurs avares ou fauchés.
— Tous les dix jours, une autre feuille de papier sort des chantiers de Rems, intervint Adrian. Rems n'a pas à rougir de votre tonnage total. Du reste, comme disait le grand Socrate, ce n'est pas le poids qui compte. Si c'était le cas, il suffirait d'aller chercher un gros astéroïde et de mettre un réacteur dessus !
— En tout cas, ces vaisseaux ne sont pas là, cracha Ivan. Je perds mon temps avec vous. Nous devons nous rendre à Stella Realis ; c'est là qu'aura lieu la grande bataille. C'est là que nous défendrons l'Omnimonde, au nom de Kaldor, au nom de la Reine Arcana.
— Vous ne gagnerez pas ce combat seuls, protesta Garrison.
— Suivez-nous et vous en serez témoins.
— Cette guerre est imprévisible par nature, dit le terrien. Tant que vous ignorez ce qui vous attend à Realis, l'ennemi, qu'il s'agisse d'Hélios ou de ses séides, dispose d'un avantage stratégique. Votre seule chance de contrebalancer ce déséquilibre d'information est de faire appel à un panel de stratèges d'horizons multiples, mieux à même de prévoir et d'innover. Voici ce que doit être l'Armada. Une armée faite de plusieurs armées, plus forte et plus résiliente.
— Nous sommes déjà suffisamment forts. »
Ivan fit signe aux gardes qui encadraient la porte.
« Vous allez droit dans le mur ! » lança Garrison, mais sa phrase s'écrasa contre la vitre.
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Nolim II : Le dévoreur d'étoiles
FantastikKaldor est vaincu. Le dévoreur d'étoiles est libre. Sorti de sa prison céleste, il ne lui reste plus que quelques années de voyage avant d'atteindre les premiers systèmes stellaires de l'Omnimonde. Kaldor avait un plan pour le vaincre. Mais ce plan...