20. Neredia

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La première chose que vit Adrian en entrant dans la salle de réunion fut l'image affichée sur tout la largeur de la table. Un grand lac bleu, de teintes variables, parsemé de points verdâtres, strié de traînées nuageuses, qui originaient de deux grands ouragans.

« Ah, Neredia ! J'y ai passé des moments sympathiques. »

Adrian avait trafiqué les murs de la salle de réunion des officiers pour qu'ils affichent, au lieu du noir sans nuance de l'espace sidéral, une prise de vue champêtre. Une forêt boréale de Rems, le sol jonché d'aiguilles de pins, sur lequel couraient des écureuils et des oiseaux. Depuis, les entrevues avaient gagné en efficacité et en harmonie.

Parallèles aux arbres, les lieutenants du vaisseau se levèrent, les regards convergèrent vers lui, comme s'il venait de faire une blague particulièrement consternante. Il fit mine de chercher quelque chose dans sa poche, se lissa la moustache. Des applaudissements partirent de la droite.

Ils ont raison, se dit l'alchimiste, l'amirale fait un excellent travail. Il se joignit à eux quelques secondes, puis alla s'asseoir.

« Parlez-nous un peu de cette planète, l'encouragea Ek'tan.

— Neredia, peuplée d'humains. Elle est dans la moyenne des anciennes planètes de l'Imperium Justitiae, en retard technologique par rapport à des mondes isolés comme la Terre ou Daln. Ils ont inventé la navigation à voile, la machine à vapeur, la distillation, et grâce au passage récent de votre serviteur, le téléphone. Ils se lavent les mains et se vaccinent contre la fièvre pustuleuse. D'ailleurs, personne ne descend avant d'avoir reçu sa petite injection. Je ferai en sorte de vous ramener quelque doses. »

Adrian s'étira et mit les pieds sur la table. On le laissa faire. Après tout, les autres mondes de l'Armada auraient aussi des manières fort différentes de Rems, et l'alchimiste n'était peut-être pas le plus incongru qu'ils croiseraient sur leur route.

« Ils ont un fruit sur cette planète qui se nomme le Kochi. C'est une sorte de citron plein d'antioxydants, dont le jus est un antiseptique naturel, qui se conserve plusieurs mois dans une cave bien fraîche. Il faudra qu'on pense à en ramener. Ils disent que si vous mangez un Kochi tous les jours, vous vivrez cent ans.

— Combien d'années vivent-ils en moyenne ?

— Soixante-cinq ans, mais c'est en progrès. C'est aussi sur Neredia que j'ai mangé la deuxième meilleure tourte au fromage de l'univers. La meilleure étant...

— Vous vous égarez, Adrian.

— Hum, oui, mais comme dit le proverbe, c'est en s'égarant qu'on trouve de nouveaux coins à champignons. Neredia comporte environ cent millions d'habitants, à majorité encore rurale. Le territoire est structuré autour de quelques cités-états indépendantes, où vivent les trente millions d'urbains. Il y a quinze ans, la planète était en guerre contre le Neo-Imperium ; l'empire n'est pas passé ; aujourd'hui, si tout se passe bien, l'homme dont nous avons besoin est un certain capitaine Reg, qui dirige la cité d'Amor. C'est un gars taiseux et solitaire, un ancien capitaine de navire amputé de la main gauche suite à une mésaventure...

— Vous le connaissez ?

— On s'est croisés lors de mon procès. »

Adrian n'aurait su dire si Ek'tan était amusée ou ennuyée. Dans le doute, il se rassit convenablement et arrêta de jouer avec sa moustache.

« Oui, hum, ils ont essayé de me pendre pour avoir vacciné des gens contre la fièvre pustuleuse. À leur décharge, c'est vrai que ça n'avait pas l'air net ; de toute façon, la corde s'est cassée.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant