28. Interfaces

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Le monde est une feuille de papier suspendue deux rêves.

Kaldor, Principes


La flotte spatiale de Lazarus existait depuis si longtemps qu'elle avait acquis une identité propre. Et si quelque chose marquait les regards des amiraux et commandants de vaisseau, c'était bien le conflit permanent entre les valeurs de la flotte spatiale et celles de la royauté lazaréenne.

Ces vampires avaient passé des années entières dans l'espace, dans ce monde de glace et de métal, d'une hostilité extrême. Ils étaient devenus étrangers aux usages de la Cour, rétifs même, et nombre d'entre eux ne rêvaient pas de retourner sur leur planète natale, mais de s'en émanciper. Ils rêvaient que la flotte s'arrache de son ancrage et s'envole au loin ; si Ivan avait été un mage d'Arcs, il aurait vu la Noosphère de la Flotte comme un bourgeon prêt à éclore, une amibe prête à se séparer de la matrice originelle.

L'aura de la reine Arcana ne portait pas jusqu'ici ; certains amiraux toisaient Ivan avec défi, voire un mépris à peine dissimulé. C'était le cas de Bokariov, cousin du ministre des finances, commandant du vaisseau amiral de la Flotte, placé en théorie sous l'autorité directe d'Ivan, et qui dès leur première entrevue, montra tous les signes d'une rébellion patente.

« C'est un honneur, Ivan De Facto. »

Faute de grade, faute de titre de noblesse, Ivan était généralissime De Facto, d'où ce sobriquet murmuré dans les couloirs de la Cour. Ivan De Facto, dont le seul fait d'armes était d'avoir tapé dans l'œil de la reine. On l'aurait respecté s'il l'avait conquise, mais Arcana ne se laissait pas séduire. Non, elle avait choisi dans la Cour comme un jardinier sélectionnant les plus belles fleurs pour s'en faire un bouquet. S'il revenait de la guerre borgne et éclopé, elle jetterait son Ivan fané et s'en trouverait un nouveau.

« L'honneur est pour moi, amiral Bokariov. »

Ils avaient tous les deux revêtu les tenues standard des vaisseaux lazaréens ; des combinaisons souples faites d'une seule pièce, conçues pour être portées plusieurs jours, sur lesquelles il suffisait de fixer un respirateur et un casque pour obtenir une tenue spatiale. Leur matériau indéchirable absorbait les chocs des micro-météorites, le fléau des sorties orbitales.

Le sas venait tout juste de s'ouvrir qu'Ivan se sentait pris au piège comme un rat. Il apportait avec lui des officiers fraîchement diplômés de l'académie, tel un ambassadeur du monde d'en bas offrant des cadeaux aux locataires de l'orbite.

« Vous n'avez jamais visité la Flotte, dit l'amiral, ce qui signifiait : vous êtes un enfant pour nous et je ne cesserai de vous considérer comme tel.

— Elle est de constitution récente, répondit Ivan, entendre : vous ne maîtrisez la navigation spatiale que depuis quelques décennies, vos palais célestes sont en contreplaqué.

— Par ici, je vous prie. Le Reine Arcana a beaucoup à vous apprendre. »

Ivan s'inclina et fit un geste sec en direction de sa domestique.

À leur dernière entrevue avant son départ pour les étoiles, Arcana avait pris la main de sa nouvelle servante et l'avait tendue vers lui.

« Elle est à toi. Elle t'accompagne. Cela te portera bonheur. »

Il ne voyait pas en quoi cette jeune femme frêle, mal nourrie durant ses années dans les steppes, et qu'ils avaient tout juste sauvée de la voracité d'une comtesse folle, pourrait lui être utile à la tête de l'Armada Magna. Mais il était courant que les officiers, avec leur mobilier personnel, emportent sur les vaisseaux leurs domestiques les plus fidèles.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant