7. La Reine des monstres

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« Vous avez manqué de discrétion » gronda aussitôt la comtesse à l'attention de ses domestiques.

Le majordome, un scalpel dans une main, fit un pas menaçant. L'autre laissa retomber un bras de l'humaine endormie – la même jeune fille qui les avait accueillis à l'entrée du manoir.

« Ne vous méprenez pas, comtesse, intervint Arcana sans perdre son sourire. Ivan et moi avons le sommeil léger. Nous sommes tous les deux habitués aux complots et aux intrigues. Ils nous suffit de tendre l'oreille, les murs et les portes nous parlent avec zèle.

— Dans ce cas, je suppose que vous avez compris.

— C'était écrit dans les notes de feu votre époux, poursuivit la reine incognito, comme si c'était elle, et non Ivan, qui en avait lu les détails. La transmission de jeunesse par le sang est un tropisme habituel chez les occultistes kaldoriens.

— S'abreuver de sang en quantité suffisante est un gage de longévité pour les vampires, mais au long terme, cela ne suffit pas. Le temps nous rattrape toujours.

— Si cela n'est pas indiscret, madame, quel âge avez-vous ?

— Oh, cela doit faire... cent trente ans. »

La comtesse perçut l'étonnement chez Ivan ; son regard alla ensuite jusqu'à ses deux hommes armés, pour signifier sa position de force.

« Dites-le, jeune vampire : à cet âge, je devrais être momifiée, mais je vous parais encore très attirante. Dites-le. Je veux vous l'entendre dire.

— Vous êtes...

— Ravissante, compléta Arcana. Mais Ivan m'appartient et il n'y a qu'à moi qu'il a le droit de faire des compliments.

— Vous m'avez caché vos noms, jeune damoiselle, mais vous semblez en savoir beaucoup sur l'alchimie que nous pratiquons encore ici. Je serais curieuse d'en apprendre plus.

— Il n'y a rien de plus à dire, tenta Ivan en entamant un mouvement de recul. Nous n'avons que trop tardé ; nous allons partir d'ici et vous laisser en paix.

— Je n'ignore pas que la loi royale prohibe le fait de s'alimenter sur des humains. Cette loi a été édictée par des vampires faibles, qui auraient voulu que nous soyons tous faibles comme eux ; mais vous savez peut-être, mes enfants, que si les humains sont nos serviteurs naturels, ils peuvent nous servir de fort nombreuses manières. »

La comtesse désigna la jeune fille inconsciente d'une main ; la manche glissa le long de son bras, révélant une peau sans tache et sans ride, peut-être trop fine, laissant voir tout le réseau des veines, comme les rainures d'un végétal.

« Mon époux me disait que cet univers était dérangé. C'est ce pourquoi nous subissons l'outrage du temps. La beauté n'est qu'éphémère. Vous qui êtes tous deux dans vos jeunes années, vous vous moquez encore de cela ; mais vous comprendrez bien vite. L'harmonie de notre corps et de notre esprit est ce que nous avons de plus précieux. Il nous faut lutter sans relâche pour la préserver, ne reculer devant rien ; les travaux de mon mari ont permis de franchir de grandes étapes dans cette lutte.

— Il a lu les mêmes romans que tout le monde, balaya Arcana. Vous prétendez qu'il a inventé le concept du bain sulfaté, dans lequel vous essayez de diluer un sang jeune. Mais c'était un alchimiste de pacotille. J'en ai vu passer des dizaines à la Cour, et les bourreaux ont eu fort à faire à une époque.

— Pourtant, les faits sont là. Regardez-moi !

— Oh, oui, je vous regarde. Vous n'avez pas cent trente ans. Quarante tout au plus. Votre remède de sorcière ne fait rien. Ce n'est pas comme cela qu'on absorbe la force vitale et qu'on s'en nourrit. Vous ne savez pas le faire – plus personne ne sait faire cela aujourd'hui sur Lazarus et c'est pour le mieux. La magie est le secret des dieux et de ceux qui parlent en leur nom.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant