47. Le dieu-soleil

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Au centre du cratère qu'il venait d'imprimer sur la surface de la planète, alors qu'un déluge de vapeurs toxiques et de roches en fusion dégringolait sur tout l'hémisphère, Hélios reprit forme humaine. Il flottait au-dessus du lac de magma, sur lequel poussaient des fleurs de cendre. La lave se refroidissait au contact de l'air vicié et se craquelait sans cesse, parsemée de mouvements de convection spontanée.

Le Dragon avait agi indépendamment de Zara, en toute connaissance de cause, fidèle à son plan secret. Un être aussi imbu de sa force qu'Hélios ne pouvait pas refuser le combat.

Autour du cratère fumant, des crevasses se creusèrent sur des kilomètres. Les cavernes des samekhs s'effondraient, les volcans nucléaires implosaient, fauchant dans leur furie ce peuple souterrain et aveugle qui avait survécu durant des millénaires.

Zara se forçait à regarder ces vies perdues, ces âmes qui s'envolaient autour d'elle, invisibles dans l'univers matériel. Des filaments d'Arcs évanescents remontaient du sol et s'en détachaient, comme un lâcher de ballons. Des milliers de lumières encerclaient Realis, qui s'éloignaient inexorablement du monde, laissant seuls les deux lutteurs.

Le Dragon remonta du magma ; constitué lui-même de cette matière malléable et rayonnante, où surnageaient des cristaux de diamant inexpugnable, il avait la forme d'un poisson volant. Ses nageoires s'étendirent en ailes vastes d'une centaine de mètres, dont les commissures déchirées brûlaient comme des torchères.

Le Dragon était un marionnettiste de matière ; Hélios un accumulateur d'énergie. Aucun des deux n'employait la magie d'Arcs sous sa forme la plus abstraite. Ils étaient comme deux épéistes qui, bien qu'ayant appris des coups remarquables, se contentent d'employer toujours la même contre de quarte, la même frappe au poignet.

Hélios remonta de quelques kilomètres. Des ailes prirent naissance dans son dos ; ce fut le premier signe d'une mutation de son corps. Sa tête humaine se déforma en profil aviaire, sans bec, couverte de la même patine dorée. Ses bras changèrent d'aspect, se raffermirent et se dotèrent de griffes.

Le Dragon prit son envol. Des langues de feu se détachaient derrière lui du cratère, comme si Realis accompagnait sa course. Ils se heurtèrent, formant une seule boule de feu l'espace d'une seconde, se détachant de nouveau sans que nul n'ait pris l'avantage. Les griffes d'Hélios, faites de plasma peu dense, mais très énergétique, traversaient et vaporisaient toute matière ; le Dragon souffrait de ces entailles, mais reformait aussitôt sa chair empruntée.

La croûte de Realis, prise de vibrations, se soulevait en vagues monstrueuses ; on aurait dit un océan couvert de débris flottants. Des rochers de dizaines de tonnes oscillaient dans le ciel au gré de ces secousses sismiques, traversés par des épées de magma brûlant. L'armée des enfers frappait aux portes du ciel. Hélios écarta plusieurs de ces projectiles, qui échappaient à la gravité de Realis. Il jetait sur eux des souffles de lumière blanche ; le fer et l'arsenic s'évanouissaient en vapeur, dont les bouffées secouaient l'atmosphère de la planète. Les nuages rouges descendaient vers eux en maelström céleste.

Le Dragon tendit une de ses mains vers ces cieux grondants ; en réalité, son principe s'était déjà infiltré dans les masses de mercure, de méthane et d'hélium liquide en suspension dans les airs. Il écrasa le poing ; les gaz sous pression se condensèrent en gouttelettes, puis en grêlons, qui s'accumulèrent en blocs de glace striée de cendre.

Ces blocs tombèrent sous l'effet de leur propre poids ; reflétant la lumière d'Hélios, ils ressemblaient à des éclats de miroirs. Le dieu-soleil fut déchiré par ces chocs répétés. Sa forme délicate se dissolvait au contact de cette matière triviale, mais trop dense et trop lourde pour lui. Les nuages s'évasèrent en un œil d'ouragan, symétrique du cratère, comme si d'autres dieux, plus anciens et plus discrets qu'eux, s'inquiétaient de l'issue du duel.

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant