50

3.2K 310 52
                                    

Kris

Les mains tremblantes, j'actionne le clignotant et tourne sur le parking de l'institut. Je gare la voiture de Jake et me tourne vers lui. Il est aussi blanc qu'un mort, les yeux rivés sur le parking qui s'étend devant lui. Je quitte la voiture et la contourne pour faire sortir mon homme qui ne bouge pas. C'est comme s'il était anesthésié, déconnecté. Il est incapable de bouger par lui-même.

Nous avons quittés la maternité peu de temps après qu'il se soit effondré dans mes bras, en pleurs. Le voir ainsi m'a déchiré le bide, mais j'ai dû me ressaisir, pour lui. J'ai rapidement expliqué la situation à Quinn, insisté pour qu'il reste à la maternité avec les autres pour soutenir Stacy et Spin et j'ai embarqué mon mec dans sa voiture.

Le trajet s'est effectué en silence, un horrible silence de mort, seulement comblé par les hoquets de Jake qui retenait ses pleurs.

J'ouvre la portière, me penche, détache la ceinture qui l'entoure et lui agrippe le coude pour qu'il sorte. Jake évite mon regard, je crois qu'il n'assume pas de se voir dans cet état, bien qu'il ne puisse rien y faire. Il est beaucoup trop boulversé par la nouvelle qu'il vient d'apprendre.

Nous traversons le parking et pénétrons dans l'institut, Jake à enfoncé les mains dans ses poches, comme s'il voulait créer une barrière entre nous, qu'il ne voulait pas que je le touche. Je déglutit, ce constat me ramène quelques mois en arrière, au temps où il ne pouvait pas me voir pour je ne sais quelle raison.

Une infirmière de vie nous repère aussitôt et nous fait signe de la suivre. L'ascenseur s'ouvre sur l'étage où se trouve Lucy, cela me rappelle quand j'ai forcé Jake à venir, et que Matysse était là. Lucy m'avait demandé de prendre soin de sa fille, d'être sa maman à sa place.

Putain... Cette fois, Matysse n'a réellement plus de maman... Jake a perdu son premier amour et moi, je me retrouve à devoir gérer toute cette merde ! Je ne sais pas si je vais avoir la force de tout gérer, Jake et sa façon de me repousser, Matysse et sa tristesse...

— Ses parents sont là, je vais les prévenir de ton arrivée, lance l'infirmière à Jake.

Il souffle, comme agacé par la présence des parents de Lucy, et je comprends pourquoi. A chaque fois qu'ils venaient la voir, elle faisait une crise de panique, et seul lui pouvait la calmer.

Deux silhouettes se dessinent dans l'encadrement de la porte de la chambre de Lucy, Jake à mes côtés se crispe avant de se lever et de les toiser d'un regard méfiant.

La femme baisse les yeux et se mouche tandis que l'homme ne laisse paraître aucune émotion, les yeux rivés sur Jake.
Un duel de regard commence et aucun des deux hommes ne semblent vouloir lâcher les armes. Lentement, avec précaution, je glisse mes doigts sur le bras de Jake et lui souffle :

— Viens, il faut que tu ailles la voir.

Il hoche la tête, fronce les sourcils pour accentuer son regard noir et avance vers la chambre sans quitter le père des yeux. Au moment où Jake s'apprête à passer le seuil, le père ouvre la bouche.

— Alors, c'est avec cette fille que tu as remplacée la mienne.

Ce n'est pas une question, mais un constat. Et au vu du ton employé, je dirais qu'il n'approuve pas du tout. Et, lorsque le père baisse les yeux sur moi pour me détailler de la tête aux pieds, cela me donne raison. Son visage se contracte et il remonte son regard sur mon visage.

— Vous devriez faire attention à vous, jeune fille.

— Et vous devriez la fermer, je réplique en fronçant les sourcils.

— Je vous demande pardon ?

— Elle a dit, fermez là. Lance Jake, en serrant les poings. Personne n'a à me juger sur mes choix de vie, vous encore moins.

— Quand on vous où vos choix ont menés ma fille, on se demande ! Réplique le père.

— Vous...

— Allez vous faire voir, je lance en coupant la parole à Jake. Lucy a finit dans cet institut à cause de vous. Si vous n'aviez pas empêché Jake et elle de vivre leur histoire, rien de tout ça ne serait arrivé.

— Vous ne savez pas de quoi vous parlez, mademoiselle !

Je relève le nez et le défie du regard.

— Ah bon ? Vous n'avez pas interdit à Jake de revoir Lucy ? Vous n'avez pas envoyé votre fille dans un couvent pour qu'elle mette au monde sa fille et qu'elle ne l'a revoit jamais ? Vous n'avez jamais soudoyé Jake pour qu'il quitte votre fille ? Réfléchissez un peu, tout ça c'est de votre faute. Uniquement de votre faute.

Je pousse Jake et le fait entrer dans la chambre de Lucy puis claque doucement la porte derrière notre passage. Je me tourne vers lui, il me regarde comme si j'avais décroché la lune pour lui... puis, il se tourne et son expression change du tout au tout.

Je porte mon regard vers la direction qu'il fixe et ferme les yeux un bref instant. Elle est là, allongée sur son lit, ses cheveux dorés encadrant son beau visage.

Elle est belle, comme une princesse endormie. Sauf qu'elle ne se réveillera jamais. Lentement, Jake s'approche et moi, je ne bouge pas. Je reste contre la porte, incapable de le suivre, incapable de sortir de cette pièce.

Il s'assoit dans le fauteuil près du lit et observe le visage de celle qu'il a tant aimé, les sourcils froncés. Puis, il attrape sa main entre ses doigts tatoués et se penche pour embrasser ses phalanges.

Je détourne le regard, observe la pièce dans laquelle on se trouve. C'est une chambre de taille correct, avec un lit simple équipé de tout un tas de truc médical pour Lucy, notamment des aides pour les infirmières quand il fallait lever Lucy le matin pour la mettre dans son fauteuil.

Il y a des dessins accrochés aux murs, sur certains, je reconnais la façon de dessiner de Matysse. Sur d'autres, je remarque le prénom de Lucy écrit de manière enfantine. Je ferme les yeux, l'envie de pleurer me serre la gorge mais je me dois de ne pas craquer. Pas maintenant, pas ici, pas devant Jake qui peine à rester stoïque.

Il se lève enfin, caresse une dernière fois le visage de Lucy et quitte la pièce sans un mot, sans un regard pour moi.

Je m'approche alors à mon tour du lit et attrape la main de Lucy avant de me pencher vers elle.

— Ne t'inquiètes pas, je ne le laisserai jamais tomber. Je serais là pour lui, et pour veiller sur ta fille.

Je serre ses doigts frêles avant de reposer doucement sa main sur l'édredon puis de quitter la chambre à mon tour.

Jake n'est pas là, il ne m'attends pas dans l'espace de vie comme je m'y attendais. Je fronce les sourcils, le cherche des yeux mais ne le trouve nulle part. J'interpelle une infirmière et elle me dit que Jake est partit.

— Putain de merde...

Je délaisse l'ascenseur et dévale les trois étages sans perdre de temps. Je le sens pas, je le sens pas du tout bordel...

Je cours à travers le hall d'entrée, traverse le parking en piquant le meilleur sprint de ma vie et m'arrête net. Il est là, assit sur le trottoir près de la voiture. Une clope entre les mains, le visage inondé des larmes  qu'il avaient retenues dans la chambre.

UTOPIA PRKWY - Terminée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant