Chapitre 53

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Harry émerge à nouveau de ce sommeil qui n'en est pas un. Plutôt une sorte de néant où ses pensées obscures ne peuvent l'atteindre, anéanties par l'immensité du vide.

Cela fait maintenant trois jours. Trois jours que l'horreur a brisé la carrure frêle de ses épaules. Trois jours que sa vie est un tourbillon de noirceur, l'entraînant irrémédiablement vers les limbes profondes. Trois jours qu'il baigne dans une vie dénuée de repaires où jour et nuit se fondent et se confondent dans la danse de la douleur. Trois jours que ses pensées divaguent dans un océan sombre, se noyant dans des vagues de dégoût, de culpabilité, de peine, de haine, d'amertume. Trois jours que le vide est omniprésent dans ses pensées avides de plénitude. Trois jours que son esprit s'enlise toujours plus dans les brumes de la folie. Trois jours que son cur gît par miettes cristallines au pied de son amour meurtri. Trois jours que l'enfer vivant s'est introduit dans le quotidien confortable de sa vie. Trois jours qu'il veut s'arracher le coeur de ses propres mains, seul organe insufflant la vie par vagues fades dans les veines de son corps démoli. Trois jour que Le Maître de la Mort n'est plus. Trois jours que Severus n'est plus. Trois jours que Harry n'est pas plus vivant qu'eux.

De nombreux éclats de verre jonchent le sol sur lequel il est pitoyablement étendu. Une quinte de toux secoue son corps avachit, se muant peu à peu en un rire sec et dénué de la moindre once de joie. Les morceaux tranchants lui rentrent dans la peau et l'écorche à travers ses vêtements. Mais la douleur n'atteint même plus son cerveau immunisé à ce mal superficiel.

Harry ferme ses paupières, le chagrin qui le submerge se ressentant dans chacun de ses gestes, même les plus infimes. Malgré qu'il ait l'impression que la moindre essence de vie a été arraché loin de son âme vide, cette pression est toujours là, alors même qu'il n'y a plus rien à écraser. Harry se demande quand elle partira enfin. Son esprit ne semble pas un prix suffisant à ce néant avare de la moindre once de vie.

Secrètement il sait ce qui lui reste à faire. Offrir son corps au vide. Étreindre les étoiles avec la folie de son désespoir. Embraser les cieux d'un amour consumé.

Harry se lève avec difficulté, un sourire glacial sur son visage vide. Il avance à travers la demeure, une marche funèbre guidant ses pas vacillants.

Il traverse le jardins aux tapis de feuilles de sang, mortes sur le sol. Le déclin de la nature arrive à son paroxysme. Une année qui meurt dans les méandres du temps.

Harry transplane, sans un regard en arrière pour la maison aux parois blanches comme la nacre.

OoOoOoO

Harry contemple les vagues qui s'éclatent avec la rage de vivre sur les rochers escarpés. L'écume vient lécher sa peau de ses gouttelettes amères de haine.

Derrière lui, se découpe une petite maisonnette de forme carrée, cette même maison où sa vie s'est effondrée trois jours auparavant.

C'est la fin. Le dernier chapitre d'un livre consumé, prêt à partir dans les archives poussiéreuses du néant des vies passées. Un ouvrage de plus dans la grande bibliothèque de la Mort.

Harry enregistre la sensation du vent fouettant sa peau, tentant vainement d'insuffler la vie à deux joyaux dont l'éclat s'est terni. Harry s'autorise un dernier soupir pour sa Terre-mère. Il approche ses pieds du vide qui l'attire inexorablement. Et, avec une dernière bouffé d'air piquant sau-

« HARRY ! »

La voix désespérée de Hermione cingle ses tympans, portée par les mugissements du vent. Un instant, tout s'arrête et il se fige au bord du vide si tentant. Il voit les vagues le suppliant de leur danse hypnotique. Les battements insupportables de son cœur qui le narguent.

Une main se presse avec fermeté sur ses épaules, le reculant imperceptiblement du moment fatidique.

« Harry... »

Hermione entremêle ses doigts à ceux de son meilleur ami. Elle contemple elle aussi cette mer aux flots déchaînés.

« Si tu sautes, nous sautons ensemble. Je t'ai toujours suivi. Et je le ferai toujours. Jusqu'au bout.

- Mione...

- Chut. Je sais... Alors, est-ce qu'on saute... ? »

Harry observe un instant son amie. Tel un miroir, Harry contemple sur ce visage connu tout ce que lui a pu ressentir.

En effet, même si Hermione semblait s'être remise de manière assez bancale de la mort de son mari, ce n'était que dans l'expectative d'arrêter ce qu'elle voulait se persuader être un méchant tout ciblé sur lequel chacun pourrait cracher sans remords. Seulement la réalité est tout autre. Et la vérité d'une vie cruelle pèse désormais sur sa conscience brisée par la tristesse.

Hermione sourit doucement à son ami, d'un sourire qui n'atteint pas ses yeux. Et à cet instant, Harry comprend que ce n'est pas là une tentative de dissuasion de la part de Hermione mais une affirmation sérieuse.

Harry lui rend son sourire qui n'en est pas un et opine avec douceur. Leur mains se serrent un peu plus et tous deux posent leurs yeux sur l'horizon. Et, d'une même impulsion, les deux sorciers s'élancent dans le vide.

Leurs corps chutent avec lenteur dans les limbes de l'infini. Un ultime vol vers les cieux. L'enveloppe qui leur sert de peau se fait avaler par les flots enragés. L'écume des jours emportent leurs cadavres en son sein tandis que leurs âmes brisées se noient dans l'éternel, libérées de leur poids mortel.

Et c'est ainsi que la bougie de leurs vies rend sa dernière flamme. Main dans la main, l'esprit fondu dans le néant disloqué des êtres aimés.

Ils ont sauté sans regarder en arrière. Sans penser aux proches qu'ils laissaient, aux orphelins qu'ils créaient. Sans penser à la vie qui allait continuer sans eux. Parce que la leur s'achève ici. Et le reste ne les concerne plus. La Mort couronne son chef d'oeuvre en mettant un point final à l'encre de leurs jours.

La Mort s'éveille, l'histoire se termine.

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Rendez-vous à l'épilogue.

L'éveil de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant