82. Miss Everest

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J'ignore combien de temps Adam et moi sommes restés ainsi, à nous fixer en silence sur ce banc. Je sais juste qu'à ce moment-là, le monde n'était plus qu'un vague souvenir, enfoui quelque part dans les recoins de ma mémoire ; tout, absolument tout s'était volatilisé.

Les cris, rires et discussions de la foule ambiante se réduisirent à un écho lointain, jusqu'à disparaître complètement. La fraîcheur de ce mois de mars, celle-là même qui m'avait déjà provoqué deux ou trois rhumes et à qui je devais une peau sèche ainsi que rougie par les irritations, cette même fraîcheur ne me dérangeait plus.

Puis, bientôt, ce fut au tour du paysage, tout autour de nous, de s'évaporer. Tel un décor de cinéma qu'on emporte morceau par morceau une fois le tournage terminé, l'horizon se réduisit de plus en plus, effaçant les buissons qui délimitaient la cour de l'établissement, puis le terrain de basket, suivi des tables de ping-pong, puis des murs du bâtiment situé derrière nous, jusqu'à ce que le gravier sous nos pieds lui-même ne se dissipe, et que seuls subsistent le banc sur lequel nous étions assis, ainsi que l'arbre nous protégeant de ses branches.

Tout n'était plus qu'un fond blanc, un fond blanc dénué d'intérêt, éparpillé autour de la bulle dans laquelle nous nous étions réfugiés, loin, très loin du reste de l'univers.

Mais comme chacun l'apprend à ses dépens en jouant avec ses premières machines à bulles pendant l'enfance, celles-ci sont inexorablement vouées à éclater. Or, c'est ce qui finit par advenir de la notre lorsqu'une pensée parasite, aux intonations fort similaire à celles de Fiona, vient résonner à mon esprit :

"Il m'a menti, Nat. Il m'a menti pour sortir avec toi."

Je redescends aussitôt de mon nuage ; c'est d'ailleurs une bonne chose que je sois assise, car je serais probablement tombée à la renverse face à la sensation de vertige qui s'empare de moi.

Détournant la tête afin de masquer mon embarras, je me racle la gorge et demande d'un ton que je veux détaché :

— Du coup... ça s'est arrangé entre Fiona et toi ?

Visiblement, ma question semble percer sa bulle à lui aussi, car il s'empresse de rapatrier ses mains en les enfouissant dans les poches de son blouson.

— Pas vraiment, marmonne-t-il, la mine assombrie. On arrête pas de se prendre la tête ces derniers temps, nos conversations sont soit tendues, soit hyper bizarres...

Il marque une pause ; l'espace d'un instant, je suis tentée de profiter de cette ouverture pour le confronter au sujet de ce que m'a avoué Fiona il y a quelques semaines. Toutefois, il ne m'en laisse pas le temps :

— ... et là ça fait deux jours que j'ai plus de nouvelles d'elle !

— Ah... ah bon ? je m'étonne. Même pas sur WoW ou Discord ?

— Non, elle s'est pas connectée du week-end. Et puis sur Discord elle se fout toujours hors ligne, alors bon...

Je me mords la lèvre inférieure sans trop savoir quoi dire ; je ne suis pas exactement douée pour réconforter les gens dans ce genre de situation. C'est pourquoi je décide d'adopter un angle plus pragmatique :

— Du coup... c'était quand la dernière fois qu'elle t'a parlé, exactement ?

— Elle était à une soirée, samedi. Elle m'a envoyé plusieurs messages, mais je les ai pas vus tout de suite ; puis elle s'est énervée que je lui réponde pas et, vu la gueule de ses derniers SMS, je pense qu'elle était franchement bourrée. Ce qui m'inquiète un peu car crois-moi, Fiona bourrée, c'est quelque chose...

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 24, 2021 ⏰

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