23. Aspiration de glotte

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Depuis mon tout premier jour d'école à la maternelle, j'ai toujours été la fille timide qui ne se fait pas remarquer, participant très peu en classe et obéissant aveuglément au règlement, tremblante de peur à l'idée de me faire punir. Donc autant vous dire qu'être collée est une expérience totalement nouvelle.

A Charles de Secondat, les retenues ont lieu le mercredi après-midi (sinon ce ne serait pas drôle). Sauf que ce jour-là, il n'y a pas de cantine. Ce qui explique pourquoi je me retrouve debout devant le portail de l'établissement, à me dandiner sur place en tenant le billet de vingt euros que ma mère m'a donné, sans savoir où déjeuner. J'habite trop loin pour rentrer chez moi ; mais l'idée de manger toute seule en ville me terrifie.

Bien sûr, Sarah aurait très certainement accepté de m'accompagner si je le lui avais demandé, sauf que je n'ai pas eu envie de lui imposer ça. Décision que je regrette amèrement à présent, tant je me sens stupide, à attendre ainsi dans l'appréhension la plus totale. C'est ce moment que choisit mon téléphone pour vibrer, interrompant mes sombres réflexions.

Marjorie :
Tu m'expliques pourquoi tu poireautes devant le lycée alors que ça a sonné depuis 15 bonne minutes ?

Je jette des regards alentours et aperçois la harpie de l'autre côté de la rue, assise sur le muret. Quand elle voit que j'ai remarqué sa présence, elle se lève de mauvaise grâce puis se dirige vers moi à grandes enjambées.

— T'es vraiment chelou, des fois, comme fille, tu sais ? me lance-t-elle en guise de salutations.

La harpie plisse les yeux avant d'ajouter :

— Enfin, au moins tu portes pas un jogging démodé, aujourd'hui... Ta gro... hum, grande copine Sarah est pas là ?

— Non... Elle est rentrée chez elle.

— Parfait ! T'es libre, donc tu vas pouvoir déjeuner avec nous.

— Nous ? je demande, intriguée.

— Etant donné qu'on est plusieurs à avoir été collés cet aprem, on a décidé d'aller manger tous ensemble avant notre pénitence. Et la réponse à ta question muette est "oui", Mattéo fait partie du lot.

Elle a ajouté ça avec un sourire malicieux puis se met à hausser plusieurs fois ses sourcils d'un air de conspiratrice.

Manger en compagnie de Mattéo ?

En dehors du lycée ?

Mon coeur bat un peu plus vite que la normale à cette pensée.

Et puis, je resonge à son air dépité lors du Club Presse ainsi qu'à son air interloqué après l'épisode des vestiaires... Ce n'est peut-être pas une si bonne idée que ça, finalement. Mattéo m'a évitée ces deux derniers jours ; il n'a probablement pas envie de me voir, et encore moins de déjeuner à mes côtés !

— Euh..., je balbutie. Je sais pas si...

— Fais pas l'idiote ! me coupe aussitôt Marjorie. Ne songe même pas à refuser ! Une invitation pareille, ça s'accepte immédiatement.

Ne me laissant pas le temps d'émettre la moindre objection, elle m'attrape le bras puis m'entraîne d'un pas si rapide que je suis obligée de trottiner.

— D'ailleurs, débite-t-elle sans paraître ne serait-ce qu'un petit peu essoufflée, c'est l'occasion rêvée de vous réconcilier, Miléna et toi.

Je suis bien trop concentrée à essayer de suivre sa cadence pour réaliser ce que ces paroles impliquent. Nous tournons au coin d'une rue où la harpie s'arrête net. J'entendrais presque mes poumons bénir cette pause tant je suis à bout de souffle. Et puis je réalise que devant nous se tient le couple le plus canon du lycée, lancés dans ce qui ressemble grandement à une tentative d'aspiration mutuelle de glotte.

Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant