48. Avis de tempête

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Je mets bien quelques secondes à réaliser ce qui est en train de se passer, et encore davantage à réagir.

Dans mes rêves, mon premier baiser était doux, romantique, attentionné. Bien entendu, il y avait un coucher de soleil au bord de la mer — maintenant que j'y pense, ce fantasme était ridicule vu qu'il n'y a pas de mer à Lille.

Surtout, cela se passait en compagnie d'un garçon que j'aimais passionnément... et qui m'aimait en retour.

Je m'imaginais qu'à l'intérieur de mon organisme, ce serait un véritable feu d'artifice, un tourbillon d'émotions, de papillons virevoltant à tout va au sein de mon bas-ventre. Au lieu de ça, je ne ressens ni ne pense à rien. Dans mon cerveau, c'est le vide intersidéral.

Soudain, sûrement encouragé par mon absence de réaction, Raphaël essaye d'introduire sa langue entre mes lèvres... Et c'est ce qui me rappelle à moi. Sans attendre, je le repousse avec fermeté en m'écriant :

— Ça va pas la tête !

En un geste frénétique, j'essuie ma bouche afin d'effacer ce baiser qui n'aurait jamais dû se produire, mais rien n'y fait, la sensation refuse de me quitter ! 

Ma réaction déclenche un long éclat de rire chez l'autre goujat. Cet enfoiré m'a volé mon premier baiser et il est littéralement en train de se foutre de ma gueule !

— Tu te crois malin ? je m'insurge. J'avais jamais... embrassé personne ! T'avais pas le droit de faire ça !

— Ah ouais, quand même ! Je me doutais que t'étais vierge, mais je pensais que t'avais au moins passé cette étape...

Partagée entre la colère et la honte, je me sens mal : mon coeur bat à cent à l'heure à l'intérieur de ma poitrine, le sang bat contre mes tempes, mes joues me brûlent, je suis en proie à un léger vertige... Au fond de moi, j'éprouve la terrible certitude d'avoir subi une injustice. 

La sensation d'avoir ainsi été forcée, même pendant un court instant, de subir un acte d'habitude romantique, m'est intolérable. Durant ce bref laps de temps, j'ai été complètement impuissante et soumise à la volonté d'un autre, et ce sentiment me donne la nausée.

— Ça n'a absolument rien de drôle ! je fulmine. C'aurait dû être un moment intime et romantique ! J'aurais dû vivre ça avec un mec qui m'aime ! Un mec comme, comme...

Tandis que je cherche mes mots, il complète ma phrase d'un air narquois :

— ... Mattéo ? T'espérais que ce soit lui, ton premier baiser, je me trompe ?

Le simple rougissement de mes joues suffit pour qu'il comprenne la réponse à sa question. 

Raphaël rit de plus belle puis, une fois qu'il a retrouvé son calme, s'accoude nonchalamment au dossier du banc. La joue appuyée contre son poing, il me jauge un moment avant de poursuivre d'un ton moqueur :

— Bah tu devrais me remercier, du coup ; grâce à moi, tu viens de l'embrasser indirectement.

A ces mots, sans que je ne me l'explique tout-à-fait, un long frisson me parcourt l'échine. 

— Q-Qu'est-ce que t'entends par là ?

Il hausse les épaules, comme si ce qu'il venait de déclarer lui paraissait évident.

— Bah ouais, j'ai fait l'intermédiaire, quoi. J'ai embrassé Mattéo, puis je t'ai embrassée, toi. Du coup, on peut presque affirmer que vous avez échangé un baiser à travers moi, tu vois ? Donc d'une certaine manière, ton voeu a été exaucé.

Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant