66. Let it go, Mattéo

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La soirée avançant et l'alcool aidant, nous nous retrouvons rapidement, en bon groupe d'otakus que nous sommes, à lancer des génériques d'animés sur la télévision du salon afin de les chanter à tue-tête. Sauf qu'aucun de nous ne connaissant les paroles, cela donne quelque chose de grotesque comme suit :

We are fighting dreamers ! (tous ensemble)

Nanananana j'parle pas japonais ! (Fiona)

Fighting dreamers ! (tous ensemble)

Moi non plus grosse j'chante en ikéa ! (Ilyès)

Oli Oli Oli Oh ! Just go my waaaay ! (tous ensemble)

La seule à ne pas participer à notre délire du fait de son inculture en matière d'animés est Sarah, laquelle se contente de grignoter des maltesers avec un sourire poli tout en nous prenant très probablement pour des dégénérés. Afin qu'elle cesse de se sentir exclue, j'émets alors ce que je pense être l'idée du siècle :

— Oh, les filles ! Si on mettait des Disney, maintenant ? Histoire que Sarah puisse chanter, elle aussi !

— Trop carrément de ouf ! me répond Fiona, des étoiles dans les yeux.

— Là je dis oui ! s'exclame la principale intéressée, déjà sur ses pieds.

Nous nous mettons derechef à chercher des chansons sur YouTube tandis que les garçons s'assoient sur le canapé, dépités.

— Comptez pas sur moi là-dessus ! grogne Adam.

— Bah, faut bien que Sarah s'amuse aussi, concède Mattéo. La pauvre, on a dû la saouler avec tous nos openings, là.

— Et puis une petite pause fera pas de mal à mes cordes vocales ! enchérit Ilyès. D'ailleurs, je vais les apaiser en m'hydratant, ouais !

Joignant le geste à la parole, celui-ci décapsule une énième bière, arrachant un soupir d'exaspération à son petit-ami.

— Tu t'hydrates avec de la bière, toi ? ironise-t-il.

Néanmoins, le bouclé balaye sa remarque d'un revers de main sans répondre.

— On commence par quoi ? je m'enquiers en regardant Fiona faire défiler les propositions sur la télévision.

La reine des neiges, of course ! me répond Sarah.

Soudain, la blonde se retourne et braque la télécommande en direction du délégué.

— Mattéo ! l'apostrophe-t-elle, les pupilles enflammées. Ramène ton cul et viens chanter !

Celui-ci se gratte l'arrière du crâne, gêné.

— Pourquoi moi ?

— Parce qu'il est temps que tu libères le gay qui sommeille en toi !

Vexé, le concerné fronce les sourcils.

— Tous les gays sont pas fans de mode ou de comédie musicale, hein, stop aux clichés !

Cependant Fiona, intraitable, se met à secouer vigoureusement la tête.

— Ta, ta, ta ! Je veux rien entendre ! Mon père a refoulé son homosexualité toute sa vie, pour au final plaquer sa famille à quarante piges... Et maintenant il est en train de rattraper toute la culture gay qu'il a négligée jusqu'à présent ! Or qui est-ce qui en souffre le plus, Mattéo ? Tu veux savoir ? C'est nous, sa progéniture, qui en souffrons le plus ! Parce que c'est nous qui subissons ses comédies musicales et autres à longueur de temps ! C'est comme ça que tu veux finir plus tard ? Hein, dis ? C'est comme ça que tu veux finir ?

Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant