Je passe le reste de l'après-midi à me triturer les neurones en pensant au tête-à-tête qui m'attend avec Mattéo. Sarah a beau essayer de me rassurer, je me sens aussi tendue que la corde d'un pendu ! Je sais qu'elle avait de bonnes intentions, mais je lui en veux à mort, pour le moment. Je sens mes boyaux se tordre, remuer dans tous les sens, je m'arrête aux toilettes pour évacuer mon stress à chaque intercours, et ma journée se transforme en une lutte de tous les instants contre les gaz prêts à sortir bruyamment de mon corps.
Moi, seule avec un garçon que je ne connais pas ? Pas n'importe lequel en plus ! Mattéo en personne ! Je n'ai jamais, ô grand jamais, été dans une telle situation, or l'idée me semble particulièrement inconfortable ! Je regarde désespérément l'horloge, me surprenant à souhaiter que les aiguilles se déplacent plus lentement. C'est la première fois de ma vie qu'une journée de cours me parait passer si vite. L'échéance approche, inexorablement, et l'heure de ma pénitence avec elle.
Mattéo a tenté de venir m'aborder plusieurs fois déjà... Je l'ai fui systématiquement. Moi qui passais la plupart de mon temps à admirer sa pomme d'Adam ainsi que sa silhouette si parfaite, je fais à présent tout pour éviter de croiser son regard.
Même une fois que la dernière sonnerie de la journée retentit, je garde la tête baissée sur mon cahier de mathématiques, dissimulée derrière mes cheveux emmêlés, refusant de bouger. Si je reste immobile, peut-être que le temps se figera avec moi ?
— ... lie ?
Si je retiens ma respiration, peut-être que je disparaîtrais ?
— ... talie ?
Je ne fais pas un geste, rien, de peur de briser le charme. Ce cours ne doit pas se terminer, non, la journée doit continuer, car j'ai bien trop peur de me retrouver seule avec lui.
— Hého, Nathalie !
Sarah se met à me secouer un peu brusquement, me ramenant à la réalité. La classe est déserte, même le professeur est parti (il ne s'attarde jamais de toute façon, il fait partie de ces profs qui sortent quasiment avant leurs élèves).
— Tout va bien ? me demande ma nouvelle amie.
Non ! A ton avis, crétine ? C'est à cause de toi que j'ai l'impression de dépérir sur place ! Avec tout ce stress, j'ai dû perdre au moins dix kilos de sueur en une après-midi ! Même ça, je suis incapable de le dire. Je me contente de lever vers elle un regard désespéré puis d'agoniser un long et lent :
— Nohohohohon...
Je dois vraiment faire peur à voir car elle écarquille les yeux et se rassoit aussi sec en s'exclamant :
— Ben, mazette !
Je suis trop tétanisée pour faire le moindre commentaire sur cette expression plus que périmée.
— Tu es si terrifiée à l'idée de parler à Mme Moreau ? me demande-t-elle. Ne t'inquiète pas, elle fait sévère comme ça, mais elle est aussi très compréhensive...
— Non, c'est pas la CPE...
— Oh, c'est Miléna alors ? Tu as peur qu'elle s'en prenne à toi si elle l'apprend ? C'est vrai qu'elle peut être flippante... Si ça peut te rassurer, je suis sûre que le lycée fera ce qu'il faut pour te protéger. Ces histoires de harcèlement scolaire, ça commence enfin à être pris au sérieux, j'ai l'impression...
— Mais non, Sarah, t'es bête ou quoi ? je la coupe, agacée. Je m'en fiche de Miléna ! Elle ne m'a même pas embêtée en vérité !
Devant le regard qu'elle me lance, je comprends que je viens de faire une grosse boulette.
— Comment ça ? me demande-t-elle, les sourcils froncés.
Bon, je n'ai plus qu'à lui révéler le pot-aux-roses... J'aurais dû m'en douter en même temps. Les mensonges et moi, ça fait deux. J'ai beaucoup de défauts, mais être une mytho n'en fait pas partie. J'ai toujours été assez nulle dans ce domaine. Donc autant lui raconter la vérité, à présent. Je vais peut-être perdre la seule amie que j'aie réussi à me faire, sauf que, franchement... Une amitié bâtie sur un mensonge, est-ce que ça a de la valeur, au fond ?
— Bah..., je soupire. En fait...
— Nathalie ! nous interrompt une voix masculine.
Je lève la tête et sens mon cœur accélérer dans ma poitrine.
Il est là.
Il est venu me chercher.
Il m'attend.
Mattéo.
Je me sens pâlir en le voyant, et suis bien contente d'être restée assise.
— Qu'est-ce que tu fabriques ? me demande-t-il, agacé. J'ai pas que ça à faire, moi.
Il s'approche.
Oh, non, il s'approche.
Non, ne viens pas trop près, par pitié !
Encore un pas de plus...
Je me lève précipitamment, faisant tomber la chaise au passage.
J'ai envie de fuir. Partir loin, très loin d'ici, dans un autre pays ou une autre galaxie.
C'est ce que j'essaye de faire. Je fais demi-tour, mais me prends lamentablement les pieds dans la chaise avant de m'étaler de tout mon long par terre. Fichue maladresse !
— Nathalie ! s'exclame Sarah.
Elle se précipite pour m'aider à me relever et me tend une main que j'accepte maladroitement.
Sauf que ce n'est pas Sarah. C'est Mattéo.
— Oula, ça va ? me demande-t-il.
Nom de Zeus, je suis en train de tenir la main de Mattéo HIMSELF, messieurs dames !
MA. PUTAIN. DE. TEO.
— Désolé, je voulais pas te mettre la pression à ce point, dit-il d'un air embarrassé. Rien de cassé ?
Il est beaucoup trop près de moi !
— J-Je... N... N...
FATAL ERROR.
ERROR.
ERROR.
— Nathalie ? Tu vas bien ? insiste-t-il.
Sarah l'a rejoint, et tous deux me dévisagent d'un air franchement inquiet.
BRAIN DOES NOT RESPOND.
— Elle a l'air un peu sonnée, remarque Mattéo. Elle s'est cognée la tête en tombant ?
REPEAT.
— Je crois pas, non.
Et, dans un geste consciencieux, le délégué pose doucement sa main sur mon front pour prendre ma température.
BRAIN OUT OF ORDER.
BRAIN OUT OF...
BRAIN ...
Biiiiiiiiiiiiiiiiip.
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J'espère que ce chapitre vous a plu, moi j'ai bien rigolé en l'écrivant ! Il s'agit d'un de mes préférés, je crois ! 😂
Trop de pression pour cette pauvre Nathalie... Du coup la musique est toute trouvée : David Bowie ft Queen — Under Pressure !
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Banale !
Teen FictionDepuis toujours, Nathalie a la sensation d'appartenir à la catégorie des "personnages secondaires". Lycéenne timide, sans saveur, aux parents et à la vie terriblement ordinaires, elle n'a rien d'une héroïne ! Plutôt que de se résigner, elle décide...