4. Amies sur un malentendu

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Le reste de la matinée se déroule de manière un peu étrange. Les élèves de ma classe n'arrêtent pas de me dévisager, j'entends aussi des chuchotement dans mon dos. Visiblement, l'incident du couloir avec Miléna a déjà fait le tour de la classe. Moi qui me plaignais de passer inaperçue, voilà maintenant que mon prénom est sur toutes les bouches. 

A vrai dire, j'aurais préféré rester insignifiante, car là, je passe juste pour la grosse victime de service ! Tu parles d'une popularité ! D'autant plus qu'il ne s'est rien passé du tout. Au contraire, Miléna a tenté d'être sympa avec moi. Il faut absolument que j'aille parler à la CPE pour rétablir la vérité. 

Tandis que je songe à tout ça, je sens Sarah qui me donne un coup de coude (oui, elle s'est assise à côté de moi). Elle fait glisser une feuille de papier sur laquelle est écrit en lettres roses pailletées :

S : ça va depuis tout à l'heure ?

Bien évidemment, il s'agit là d'une version édulcorée et corrigée par l'auteure, que vous devriez remercier, car sinon, ça ressemble plutôt à ça :

S : sa va depui tt a l'heur ?

Sauf que comme une telle conversation serait franchement difficile à déchiffrer, on se contentera de la version corrigée, vous êtes d'accord ? Donc bref, je me retrouve avec cette feuille de papier avec ce gribouilli illisible. Moi, je ne sais pas trop quoi faire. Je jette un coup d'oeil au prof. Je ne suis pas sûre qu'il apprécie ce petit manège. Mais d'un autre côté, il est parti dans un trip qui nous explique en long et en large je ne sais quelle partie de notre histoire (je vous avoue ne pas avoir été très attentive depuis le début de l'heure), alors je me dis que ce n'est pas trop risqué de répondre. En plus, c'est la première fois que quelqu'un cherche à discuter par mot avec moi, ce serait dommage de passer à côté ! C'est pourquoi je prends mon stylo afin de répondre :

N : oui oui... même si j'ai l'impression que tout le monde est en train de parler de moi !!

S : je crois que c'est pas qu'une impression ... l'histoire avec Miléna a fait le tour de la classe déjà

N : merde, je me serais bien passée de ça ... la honte !! je vais passer pour quoi moi ?

S : y'a pas de honte à avoir !!! tu n'y es pour rien rassure-toi ! tu sais, j'ai vécu la même chose au collège ... une bande de filles s'en prenait tout le temps à moi, dans les couloirs, sur internet... C'était horrible ! c'est pour ça que j'ai déménagé. Je sais ce que c'est de se faire harceler... le pire, c'est la solitude et l'isolement. C'est pour ça que je suis venue vers toi... Je sais qu'on s'est pas beaucoup parlé depuis le début de l'année... mais je voulais te montrer que j'étais avec toi quoiqu'il arrive !

Je reste sans voix (ou plutôt, sans encre) devant une telle révélation.C'est donc ça l'explication ? Elle est venue me parler parce qu'elle pensait qu'on était pareilles, deux victimes de harcèlement ? Sur le coup, ma fierté en prend un coup. Comment ose-t-elle nous mettre dans le même panier ? Le rouge me monte aux joues, à la fois de honte et de fureur. J'approche mon stylo de la feuille dans le but de l'envoyer bouler, pour rectifier la vérité là, immédiatement, afin qu'elle comprenne une fois pour toutes que non, on n'a absolument rien à voir toutes les deux, et que je suis loin d'être une pauvre fille qui se fait emmerder dans les couloirs.

Pourtant, quand mon stylo touche le papier, je m'arrête. Après tout, elle n'y est pour rien, Sarah, si elle s'est faîte embêtée au collège, non ? Je prends le temps de la regarder. La peau noire, un nez légèrement empâté, des yeux rieurs, de belles boucles foncées, et des sourcils parfaitement épilés. Elle a l'air plutôt gentille. Sa jolie robe-pull ainsi que ses bijoux dorés m'indiquent que, contrairement à ce que pourrait laisser penser son surpoids, Sarah semble faire très attention à son apparence. 

D'ailleurs, j'ignorais avant aujourd'hui qu'elle était aussi bavarde. Ce doit être le genre de personne réservée qui parle peu avec des inconnus, puis qui devient une vraie pipelette une fois qu'elle commence à connaître les gens. Comme moi, au fond. J'ai un sale caractère, mais la plupart des gens pensent que je suis une gentille fille un peu gourde car je suis trop timide pour dire ce que je pense. 

Sommes-nous vraiment si différentes, Sarah et moi ? D'accord, je n'ai jamais été harcelée jusqu'ici... Surtout parce que j'avais Aurore pour me protéger. Si elle n'avait pas été là, qui me dit qu'une fille comme moi aurait été épargnée ? Aujourd'hui, ce n'était qu'un malentendu, mais ça aurait très bien pu arriver en vrai.

Et c'est plutôt sympa de sa part, d'être venue me soutenir après ça, non ? C'est agréable, aussi, de ne plus être toute seule, d'avoir quelqu'un à côté de soi. C'est peut-être le début d'une amitié, qui sait ? Mais bon, les amies sont censées être sincères, alors, je devrais commencer par lui dire la vérité sur ce qu'il s'est passé entre Miléna et moi. D'un autre côté, c'est à cause de ça qu'elle est venue me parler, donc qui me dit qu'elle ne va pas me laisser tomber si elle apprend que je n'ai pas été embêtée ?

N : oh, ma pauvre... ça a dû être horrible ! je te plains. Le collège c'est un sale moment de notre vie... contente d'être enfin au lycée !

Voilà, ce n'est pas tout-à-fait mentir, après tout, pas vrai ? J'ai juste choisi ne pas dissiper le malentendu trop vite, histoire qu'on apprenne à se connaître. Je lui dirai la vérité plus tard...

S : Oui tu l'as dit... tout le monde s'est toujours moqué de moi à cause de mon physique... Je pensais qu'au lycée les mentalités changeraient un peu, mais bon, c'est pas encore ça visiblement... tant qu'il y aura des filles comme Miléna... !!

Je n'ai pas envie de dire des méchancetés sur Miléna alors qu'elle a essayé d'être sympa.

N : Je pense pas que ce soit que Miléna le problème... C'est la société toute entière ! à mort les diktats de minceur et de beauté des magazines !

S : oui, tu as raison ! ça n'a rien de sain que de mettre les filles maigres comme des clous sur un piédestal !

N : oui lol ! donnons-leur à manger et qu'on en parle plus !!!

Cette dernière phrase nous arrache un petit rire à toutes les deux, mais on se fait aussitôt réprimander par le prof.

— Mesdemoiselles ! Comme ça la seconde guerre mondiale, ça vous fait rire ? Hmm ?

— N... Non monsieur, bredouille Sarah.

Nous baissons toutes les deux la tête.

— Vous viendrez me voir à la fin de l'heure.

Mince, manquait plus que ça ! Décidément... La rencontre avec Miléna, le début d'une amitié, et maintenant, je vais me faire gronder par un prof ! Il me sera arrivé plus de péripéties en une matinée qu'en deux mois de cours... Elle fichait quoi, jusqu'à présent, l'auteure, exactement ? Elle aurait pas pu se bouger avant ?

Devant le regard sévère de Mr Leroux, ajouté aux airs inquisiteurs de mes camarades, je sens le rouge me monter aux joues. C'est comme ça à chaque fois que je dois parler en public ou que je deviens le centre de l'attention. Les larmes me montent un peu aux yeux, j'ai envie de pleurer... Puis je croise du coin de l'œil le regard de Sarah et, devant le sourire complice qu'elle me lance, je sens comme un poids s'envoler de ma poitrine. Peut-être que je me suis bel et bien fait une amie, cette fois-ci. Une vraie amie à moi ! Et, plus étonnant encore, j'y suis arrivée sans l'aide d'Aurore ... 

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Ça y est, cette chère Nathalie s'est enfin trouvée une alliée ! 🥂 Bon, même si leur amitié est un peu bancale, pour le moment... Que pensez-vous de son choix de "masquer la vérité" ?

Voici la musique que j'ai choisie pour Sarah : Lizzo — Juice.  😁 


Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant