— Des lentilles ?
Ma mère en laisse tomber la cuillère avec laquelle elle servait la salade. Mon père, quant à lui, tente vainement de dissimuler sa surprise en buvant une gorgée de bière. Seul Vincent, mon petit frère, ignore royalement notre conversation, trop occupé à dévorer sa part de quiche.
Mes parents me regardent d'un air interloqué. La quarantaine passée, Jeanne et Paul Trombière ont, vous vous en doutez vu qu'ils m'ont engendrée, des physiques plus que quelconques. Les cheveux bruns, une mâchoire un peu trop large ainsi que rondouillarde, un embonpoint bien installé qu'ils m'ont généreusement transmis, le tout sublimé par des yeux marrons caca. Bref, rien de suffisamment exceptionnel pour que leur description ne dépasse un paragraphe, vous ne m'en voudrez pas.
— Je ne suis pas sûre de comprendre, dit ma mère en se rasseyant. Ça va faire quatre mois qu'on t'entend dire haut et fort que tu n'iras jamais commander tes lentilles. Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ?
— Rien de spécial, je mens en haussant les épaules. J'ai juste... changé d'avis. Tu devrais être contente, non ? Depuis que je suis revenue de l'ophtalmo, toi, tata Daphnée et Aurore n'arrêtez pas de me tanner à ce sujet. Bah voilà, je suis prête à essayer, maintenant, c'est tout. Pas de quoi en faire un fromage !
Ils échangent un regard entendu. Un sourire que je connais, à mon grand damn, trop bien, se dessine sur les lèvres de ma mère. Question intrusive dans trois, deux, un...
— Donc, fait-elle après avoir pris une bouchée de salade, tu es sûre qu'il n'y a pas une autre raison ?
— Oui, enchérit mon père, un motif particulier à ce changement de position ?
Je baisse la tête sur mon assiette avant qu'ils ne me voient rougir. Bon sang, ce qu'ils sont agaçants, quand ils veulent !
— Je vous dis que non ! je m'énerve en découpant rageusement ma quiche. Jusqu'à présent, j'avais peur... Se toucher les yeux, c'est pas naturel, j'vous signale !
— Oui, t'arrêtais pas de répéter que tu t'en fichais car tu pouvais pas te voir toi-même ! rajoute ma mère.
— C'est ça, elle racontait qu'elle voyait pas l'intérêt de souffrir pour être plus agréable aux yeux des autres, intervient Vincent.
Je le foudroie aussitôt du regard, puis lui donne un coup de pied sous la table.
— Aie ! crie-t-il. Pourquoi tu me frappes ?
— Lalie, n'embête pas ton frère ! s'interpose ma mère, toujours prompte à défendre son petit prince de fils.
Il ne pouvait pas continuer à mâchouiller son repas en silence, ce sale démon ? De même qu'Aurore, mon cadet semble appartenir à la branche familiale gâtée par les fées. Ses cheveux sont châtains clairs et, allez savoir d'où il les tient, mais il a hérité de beaux yeux verts qui illuminent son visage. Quand il sourit, ça lui donne un air charmeur capable de conquérir tous les coeurs à moins de cinq kilomètres à la ronde. Côté caractère, même là nous sommes assez différents : aussi sociable qu'extraverti, Vincent n'a aucun mal à se faire des amis, ce qui explique qu'il soit déjà devenu la coqueluche de sa classe de sixième.
C'est également l'un des seuls qui n'a pas hérité du trait génétique de l'obésité... Enfin, c'est probablement dû au fait qu'il pratique la gymnastique depuis trois ans. Il nous a d'ailleurs ramené plusieurs coupes, devenant de cette manière le petit chouchou de la famille. Bref, quand je le regarde, j'ai le vague sentiment de n'être qu'un brouillon raté.
— Moi, reprend ma génitrice, je pense qu'il y a un garçon, derrière tout ça.
Cette remarque laisse les deux autres pantois.
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Banale !
Novela JuvenilDepuis toujours, Nathalie a la sensation d'appartenir à la catégorie des "personnages secondaires". Lycéenne timide, sans saveur, aux parents et à la vie terriblement ordinaires, elle n'a rien d'une héroïne ! Plutôt que de se résigner, elle décide...