58. Corvée de cunni

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Ayant elle aussi été victime de harcèlement par le passé, je pensais que Sarah serait assez réticente au plan d'Aurore, voire même que, en social justice warrior digne de ce nom, elle m'administrerait une de ces leçons de morale dont elle a le secret. Or, à ma grande surprise, il s'avère qu'elle accueille plutôt bien la nouvelle.

— Ta cousine a raison ! Il est grand temps de rendre la monnaie de sa pièce à cette pimbêche !

Je manque recracher mon Coca en entendant ça.

A cause des récents événements, il m'est de plus en plus difficile de déjeuner à la cantine ; mon coeur bat la chamade dès que j'y mets un pied, mon ventre se noue et je suis prise de nausée.

Lorsque j'ai osé en parler à Sarah, celle-ci a d'emblée compris ce que je ressentais et m'a proposé de manger à l'extérieur du lycée. C'est pourquoi, après moult négociations avec nos parents, nous nous retrouvons toutes les deux chez Subway, quand les garçons, eux, ont préféré le brouhaha et la nourriture fade du self.

Quoiqu'il en soit, c'est mieux ainsi car, même s'ils semblent m'avoir pardonnée, je ne peux m'empêcher de ressentir un certain malaise en leur présence. J'apprécie donc de me retrouver un peu seule en compagnie de celle qui fut ma première véritable amie.

— Vraiment ? je m'exclame. T'es sincère ?

Sarah hausse un sourcil.

— Bah, oui... Pourquoi ça te surprend ?

— Je sais pas... Je me disais que j'aurais encore droit à une leçon de morale bien-pensante m'expliquant que le harcèlement, c'est mal, que même une garce comme Tricia mérite pas de subir ça, et bla, bla, bla.

Elle avale une gorgée de son Sprite, semblant réfléchir quelques minutes à mes propos.

— C'est comme ça que tu me vois ? s'enquiert-elle. Comme la rabat-joie de service ?

J'hausse les épaules.

— Un peu...

— C'est vrai que j'y ai été un peu fort, la dernière fois..., admet-elle. C'était presque comme si une force supérieure s'était emparée de moi pour me dicter les mots à dire !

Sûrement une manifestation indirecte de l'auteure, ça.

— Mais bon, reprend-elle. Sache que t'étais vraiment insupportable, Nat, et le rôle d'une amie, c'est aussi de te dire quand tu dépasses les bornes.

J'hoche gravement la tête.

— Oui, je sais. T'as raison, j'ai exagéré.

Méditant sur tout cela, nous mâchons nos sandwichs respectifs en silence pendant plusieurs minutes. Chaque bouchée m'insuffle une vague de culpabilité et, si je ferme les yeux, je visualise presque le regard de jugement de Marjorie, ainsi que la mine désapprobatrice qu'elle m'administrerait si elle était là.

Je ne peux m'empêcher de ressentir un pincement au coeur en songeant à elle. Depuis notre dispute lorsque j'étais au pilori, nous ne nous sommes plus adressé la parole. Quelque chose, au fond de moi, me dit que si nous étions toujours amies, elle aurait trouvé une solution pour me débarrasser définitivement du Cerbère.

— Du coup, est-ce que t'as remarqué quelque chose d'anormal chez Tricia, quand tu traînais avec elle en début d'année ? je demande.

Sarah ne répond pas tout de suite, réfléchissant à la question.

— Hmm... Je suis pas sûre. D'après ses deux minions, elle n'était pas vraiment dans son état normal, à ce moment-là. Elle était obsédée par Morgan et ratait pas une occasion de critiquer Miléna ou de balancer des rumeurs à son sujet... Bref, un peu comme elle fait avec toi en ce moment, quoi. Du coup, elle parlait assez peu d'elle-même ou de sa famille, par exemple.

Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant