50. Au pilori !

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Le pire lorsque l'on est convoqué chez la proviseure, ce n'est non pas l'entrevue avec cette dernière, mais bel et bien l'attente qui la précède. J'ignore si les personnels de direction suivent des cours de torture psychologique avant d'être nommés, ceci dit, en ce qui me concerne, ça fonctionne à merveille.

Le fait de devoir poireauter sur les chaises rouges pétantes donnant sur le bureau de Pinochette, rongé par l'angoisse en appréhendant le sale moment que l'on s'apprête à vivre, c'est déjà pénible en soit... Mais ce qui rend cette situation vraiment inconfortable, c'est surtout qu'elle se déroule au sein du couloir le plus passant de l'établissement !

A tel point qu'en à peine une heure, vous pouvez être certains que la quasi-totalité des élèves qui vont ont vus se sont empressés de faire passer le mot à leurs camarades, de sorte qu'eux aussi trouvent un prétexte de venir se foutre effrontément de votre gueule.

Bref, autrement dit, cela équivaut à une version lycéenne et modernisée du pilori moyen-âgeux.

— Hé, t'as vu ? C'est la meuf qu'a pété un plomb en cours de sport...

— Quoi, celle qu'a frappé le mec qui l'a largué ?

— Il l'a largué, t'es sûr ? Moi, j'ai cru comprendre qu'elle s'était pris un râteau...

Les yeux rivés sur mes chaussures, je feins de ne pas entendre leurs messes-basses, tâchant plutôt de me concentrer afin de mettre de l'ordre dans mes pensées.

Il faut dire que depuis la révélation de Raphaël, je n'ai pas vraiment pris le temps de me poser pour réfléchir. Dominée par la colère, mon esprit était bien trop embrouillé, animé par la soif de vengeance.

A présent que je suis livrée à moi-même, seule avec mes pensées, je n'ai rien de mieux à faire que de ruminer les récents événements.

Est-ce que je m'en veux de m'être emportée et d'avoir frappé Mattéo ? Oui, je l'admets. Après la douche froide forcée de M. Robert, et le temps de me changer ou de me sécher les cheveux, j'ai réalisé à quel point ma réaction était aussi puérile que disproportionnée. Mais que voulez-vous ? Ça fait partie de mon caractère ! J'ai toujours eu le sang-chaud...

Et puis, j'estime ma colère quelque peu justifiée. Pourquoi ne m'a-t-il pas dit qu'il était homo ? J'ai beau retourner la question dans ma tête, j'ai du mal à lui trouver une raison valable...

Maintenant que j'y repense, j'ai conscience que c'est à coup sûr ce qu'il a essayé de me dire le soir du nouvel an, après m'avoir mis un râteau, lorsque je m'en allais... Cependant, même s'il me l'avait dit ce soir-là, c'était déjà trop tard ! Le mal était fait !

On se fréquente depuis un mois, donc n'allez pas me faire croire qu'il n'a pas tilté, à un seul moment, que je craquais pour lui ! Ce n'est pas comme si j'étais la reine de la discrétion en la matière... Il a eu plus d'une occasion de me révéler la vérité au cours de ces dernières semaines.

Or s'il l'avait fait, cela nous aurait évité à tous les deux bien des tourments : je n'aurais jamais eu à subir l'humiliation d'un râteau, tout d'abord, quant à lui, il n'aurait pas eu à me repousser ! D'ailleurs, je suis persuadée que c'est précisément la raison pour laquelle il n'a rien dit.

Soyons honnêtes : s'il m'avait révélé son secret dès le chapitre trois, c'aurait ôté pas mal de rebondissements à l'intrigue et l'autrice n'aurait pas pu laisser libre-cours à ses penchants sadiques... Mais je m'en tamponne, de l'intrigue, moi, quand il s'agit de mon coeur brisé ! Un peu de pitié, c'était vraiment trop demander ?

D'un autre côté, la part raisonnable de mon âme me souffle que faire son coming-out, lorsqu'on est encore au lycée, cela ne doit pas être évident... Sauf que merde, il n'était pas obligé de le clamer haut et fort ! Il aurait juste pu me le dire, à moi, rien qu'à moi, en s'apercevant que je craquais pour lui !

Banale !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant