Chapitre 44. La pitié du batelier

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Précédemment

Peu après cela, vêtu d'un manteau neuf d'un beau brun acajou, doublé de laine, Thorin rejoignit à son tour le rez-de-chaussée du Gai Pêcheur. Sa première réaction fut de contempler d'un œil admiratif le set d'armure de cuir dont Ayrèn s'était équipée, le trouvant d'excellent ouvrage. Elle le remercia brièvement, puis l'informa que la Compagnie ne l'avait pas attendu et que les cancans les concernant allaient déjà bon train. Il ne parut pas étonné le moins du monde que les Nains fussent partis sans lui, et haussa les épaules comme si cela lui était égal.

« Ça leur passera. Laisse-leur un peu de temps. »

Suivit une brève pause, pendant lequel Ayrèn vit son propre reflet sourire dans les yeux bleus de Thorin. Il allongea le bras pour se saisir de l'une de ses mains ; il la porta à ses lèvres et y déposa un baiser. Il semblait affectionner cette façon de l'embrasser. Quand il lui lâcha la main, ses lèvres laissèrent une impression de chaleur humide qui convainquit une bonne fois pour toute Ayrèn de ses sentiments pour lui, si c'était encore nécessaire.

Thorin reprit une expression plus neutre et lâcha :

« Erebor nous attend. Allons-y, Athanû men. »

Elle opina du chef sans répondre.

Rejetant sa tresse en arrière, elle emboîta le pas de Thorin et ils sortirent ensemble de l'auberge.

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Devant l'auberge

Veille du Jour de Durin

Peu après le lever du soleil

En sortant de l'auberge du Gai Pêcheur, une vive lumière, blanche et pure, aveugla Ayrèn. Elle plissa les yeux et observa les alentours au travers du voile moucheté de ses cils blonds. Comme tout était blanc et comme l'air était froid ! se disait-elle tandis qu'elle s'habituait à la clarté du jour.

Il n'y avait personne. Tout était désert.

Le soleil, qui pointait à peine au-dessus de la ligne grisâtre formée par le lac, à l'Est, projetait ses rayons jaunes pâles sur la ville. Les toits enneigés et les eaux gelées, diaprés de nacre, les reflétaient avec une vivacité nivéenne. Lacville était entièrement recouverte d'une épaisse couche de neige, avec ses rues étroites grossièrement dégagées à coup de pelles, sculptant les bordures des mêmes traces que celles qu'on laissait sur une pomme en la mordant à pleines dents. Et, tout le long des quais, là où la neige n'avait pas été déblayée, des empreintes de pas bosselaient le manteau blanc qui drapait les zones de passage les plus empruntées.

Dans cette lumière naissante d'une pureté propre aux journées d'hiver ensoleillées, Thorin et Ayrèn suivirent en silence les empreintes profondes laissées par la Compagnie quelques minutes plus tôt. La piste était nette, aussi facile à suivre que celle d'une harde de sangliers. Plus loin, Ayrèn reconnut les traces des grands pieds nus de Bilbo, reconnaissables entre mille aux petits trous en forme de noix que ses orteils laissaient derrière lui. Ses pas, espacés par de petites foulées sautillantes, allaient dans la même direction que ceux des Nains. Ce constat la rassura, et elle foula la neige avec une assurance renouvelée.

'Il m'en a fait voir des saumâtres hier, mais il reste mon ami le plus précieux.' songea-t-elle en observant le cheminement de ses foulées accourcies. 'Je le soupçonne d'utiliser une magie qui le dépasse. Il s'obstine à m'en cacher l'origine et les moyens, mais je commence à y voir un peu plus clair au travers de ses mensonges. Ses cachotteries sont une erreur, il devrait m'en parler, ne serait-ce que pour que je comprenne ses écarts d'humeur et l'aide à les surmonter.' Elle donna un coup de pied dans une caisse qui gênait le passage ; un couinement de rat retentit à l'intérieur. 'Je lui en veux de m'avoir insultée, mais je suis prête à lui pardonner... Encore faudrait-il qu'il ait envie de l'être. Je ne le reconnais plus. Valars ! Que lui est-il arrivé qu'il ne souhaite me dire ?'

Dracà-cwellere, la Tueuse de dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant