Chapitre 58. La frontière des peuples

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Précédemment

Ayrèn lui sourit et ébouriffa les mèches qui lui tombaient sur le front.

« Alors à demain, dans ce cas, » dit-elle.

« À demain. »

Il lui rendit son sourire, puis sauta à bas du lit sur ses grands pieds nus.

Alors qu'il s'éloignait pour quitter la pièce et laisser son amie se rendormir, il fit volte-face et la héla d'un chuchotement :

« Eh, Ayrèn !

— Hum... ?

— Demain... C'est mercredi. »

Et ainsi, son visage empourpré de sang rouge et ses yeux d'or brillants d'étonnement, l'Humaine de Cul-de-bouteille échangea avec le Hobbit de Cul-de-sac le plus beau et le plus grand des sourires. Dans toute la ruine du Monde et les malheurs de leur Quête, ils ne ressentaient pour le moment qu'une grande joie.

Puis Bilbo s'en fut pour de bon et Ayrèn se rendormit en paix.

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Emmitouflée dans un épais manteau en fourrure d'ours blanc, Ayrèn était agenouillée dans sa baidarka flambant neuve (1). Seule, elle pagayait paisiblement le long d'une banquise côtière, observant d'un œil vif les icebergs voguer vers l'horizon. Midi sonnait. Le soleil blanc du Nord brillait intensément au-dessus de la ligne d'horizon. L'Humaine entendait parfois les craquements lointains d'un mur de glace qui s'effondrait dans des jaillissements d'écume. C'était le début de l'été ; la température s'adoucissait, la banquise se délitait, les banquettes de glace dégelaient et partaient sur les eaux pour disparaître peu à peu dans les courants plus chauds du Sud. Quand l'automne viendra, tout gèlera à nouveau, et le grand bal blanc recommencera. En Forodwaith, le paysage changeait constamment. Et Ayrèn adorait ça.

Elle plongea sa pagaie profondément dans l'eau noire pour contourner un grand iceberg de trente pieds de haut, d'une jolie forme prismatique, avec un sommet horizontal. Il avançait lentement vers le large. Sa forme était nette, sculptée ; il venait certainement de se décrocher de la banquise principale. L'ombre d'Ayrèn et de sa baidarka se découpaient sur sa surface nivéenne.

À ce moment, il n'y avait aucun bruit, rien sinon le clapotis apaisant de l'eau et le sifflement tendre de la bise de Forodwaith.

Ayrèn ferma les yeux et tourna son visage vers le soleil. Un sourire apparut sur ses lèvres couvertes de baume à la graisse de phoque.

« Oyna uumqaraktop (2)... » soupira-t-elle.

Le vent tourna. Ayrèn se remit à pagayer, puis dépassa l'iceberg en direction du large. Avec un peu de chance, elle croiserait la famille de baleines blanches qui, d'après les pêcheurs du village, s'était établie dans la baie quelques semaines auparavant.

Mais l'eau se mit à s'agiter. Venus de nulle part, de gros nuages menaçants obscurcirent le bleu pâle du ciel. Prudente, Ayrèn fit demi-tour. Elle connaissait les dangers de la mer et du ciel ; elle savait qu'elle devait rentrer, et vite.

Elle pagaya énergiquement, d'un rythme soutenu qui trahissait son inquiétude naissante.

Des vagues la rattrapèrent, se joignant à la voix stridente d'un vent de tempête. Les icebergs s'ébranlaient, se tapaient les flancs sur la surface de l'eau, soulevant des gerbes d'eau glaciale. L'extrémité de la mer, à l'horizon, était perdue dans la masse des nuages, secoués de palpitations orageuses.

Dracà-cwellere, la Tueuse de dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant