Chapitre 52. Le deuil de la Pierre

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L'après-midi succédait au matin, quand un grand cri retentit par-delà les flancs la Montagne :

« Eh oh ! Il y a quelqu'un ? »

Mais l'appel resta sans réponse.

Quatre individus apparurent, un à un, au-devant des décombres de la Grande Porte d'Erebor. Le soleil d'hiver brillait haut et clair dans leur dos ; depuis l'intérieur, le contre-jour ne laissait voir d'eux que des silhouettes trapues et noires. L'un deux claudiquait en poussant des halètements secs. Comme aucun danger ne semblait s'annoncer, ils s'engagèrent entre les débris pour pénétrer dans la Montagne. Leurs ombres s'allongèrent sur les bris de rocs, de bois sculpté et de fer. L'écho de leurs pas et le crissement des gravillons sous leurs pieds troublèrent le silence mortifère des lieux.

« Bon sang, ça pue le dragon à plein nez ! » se plaignit l'un d'eux dès qu'ils eurent franchi le seuil délabré. « M'est avis qu'il est passé par ici tout récemment.

— Bombur ? Bifur ? » cria un autre en enjambant un dernier bloc noirci de suie.

« Morbleu ! » s'écria un troisième. « Regardez-moi ce chantier. Il y a de la suie partout, et une vilaine odeur souffreteuse. Une explosion a certainement détruit la Grande Porte !

— Et ça a explosé depuis l'intérieur... » ajouta le dernier individu, à bout de souffle. « Certainement l'œuvre de ce damné de Smaug !

— Eh oh ! Est-ce qu'il y a quelqu'un ? C'est nous ! Fíli, Kíli, Óin et Bofur ! Nous allons bien, et il nous tarde de vous retrouver ! »

Cette fois encore, tout resta très silencieux.

Les yeux des Nains s'habituèrent peu à peu à l'obscurité. Ils plissèrent les paupières pour regarder dans les recoins les plus sombres, comme s'ils y cherchaient quelque chose, mais de grandes tapisseries poussiéreuses aux pieds calcinés, tombant lourdement du haut plafond de pierre, empêchaient de voir plus en avant. Par terre et sur les murs, de grandes éclaboussures d'un liquide visqueux et jaune coagulaient, accrochant la lumière ; c'était le sang de Smaug. Le reste des lieux leur était invisible.

Il n'y avait pas âme qui vive sur le seuil du Royaume de Durin.

Un courant d'air glacé, menace d'un hiver rudoyant, s'engouffra par la Grande Porte et soupira parmi les colonnes et les halls. Les moustaches et les cheveux des nouveaux arrivants se soulevèrent en dansant. Les lourdes tapisseries oscillèrent mollement avant de redevenir aussi inertes que le reste de la Montagne.

Et voilà que Fíli, Kíli, Bofur et Óin commencèrent à redouter que quelque chose de grave fût arrivé au reste de la Compagnie de Thorin Écu-de-chêne.

« Ne restons pas là, » dit Bofur en ajustant son chapeau, « et avançons ! Ils sont probablement en train de se réchauffer dans une salle plus profonde, à l'abri de cet affreux vent d'hiver !

— Tu as raison ! » acquiesça Fíli en essuyant la sueur d'effort qui perlait sur ses tempes.

Il se tourna vers son frère, avec un air de souci qui lui barrait le front.

« Kíli, tu te sens de continuer ?

— Tu plaisantes ?! » s'écria Kíli, presque offensé par le sous-entendu.

Il haletait pourtant bruyamment.

« Nous voilà enfin au bout de notre voyage, et... Et tu... ! »

Kíli s'interrompit un instant pour retrouver son souffle.

« ... Et tu voudrais que je reste sur le pas de la porte plutôt que de retrouver les nôtres et découvrir les Salles de nos Pères ? »

Il poursuivit en s'esclaffant nerveusement :

Dracà-cwellere, la Tueuse de dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant