Chapitre 47. La Désolation de Smaug

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Précédemment

Abasourdis, Dwalin et les autres Nains restèrent muets. Depuis la poupe, Bilbo fixait Thorin avec étonnement.

Hors de lui, Thorin se rassit brusquement à côté d'Ayrèn, faisant craquer l'embarcation toute entière sous le choc.

Ayrèn, elle, n'avait pas bougé de tout son emportement. Elle était stupéfaite par ce qui venait de se passer. Quand Thorin eut retrouvé un peu de son calme, il risqua un regard vers elle pour interroger son visage. Il vit ses yeux d'or et l'expression de reconnaissance ineffable qui s'y était allumée. Elle l'admirait avec une curiosité épatée, lui qui venait pour la première fois de prendre sa défense face aux Nains.

La Montagne en avait été témoin, cet instant était à jamais gravé dans sa roche.

Peu à peu, les rames replongèrent dans l'eau et firent jaillir des gerbes d'écume. La rive était toute proche, il n'était plus temps pour la discorde.

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Sur les berges de la Montagne

Au tout début de l'après-midi, après un dernier remous de pagaie, la coque du bateau s'enfonça dans la vase des bas-fonds et la proue cogna contre un cap de rocs gelé, à la pointe Nord du Lac. La Compagnie débarqua dans le silence glacial de la berge, une longue bande de terre et de roches drapée de neige. Une fine couche de brume s'étalait sur tout le rivage en une nappe inerte à peine distincte du sol enneigé, mais qui venait danser au passage de leurs pieds en s'agitant sous la forme gracieuse d'arabesques éthérées.

Comme promis par le Maître de Lacville, ils furent très vite rejoints par un petit groupe d'Humains accompagnés de poneys, partis dès la veille par des chemins détournés afin de venir à leur rencontre. À l'instant où Ayrèn sentit l'odeur forte et âcre de la transpiration des animaux, elle s'éloigna – elle n'aimait décidément pas beaucoup ces bêtes-là. Elle avisa non loin une souche de bois flotté, en biais d'un encorbellement hachuré de stalactites gelées. Elle en déblaya la neige et s'assit dessus. De là, elle observa la Compagnie s'activer autour des poneys pour préparer leur ascension. Elle se rassurait de constater que les Hommes du lac n'avaient rencontré aucun Orque sur leur chemin, faute de quoi ils ne seraient jamais arrivés vivants jusqu'à eux. Elle ignorait si ce répit allait être de courte durée ou non, mais une chose était sûre : les sbires d'Azog avaient perdu leur trace, et ils mettraient quelque temps avant de la retrouver. En tout cas, suffisamment de temps pour qu'ils eussent atteint le Passage caché avant d'être de nouveau inquiétés par les Orques.

Les Hommes du lac aidèrent les Nains à transférer le contenu des coffres dans les grands paniers bâtés sur le dos des montures. Ils avaient l'air pressé : à peine eurent-ils terminé de charger les poneys qu'ils décampèrent en empruntant le bateau qui avait conduit la Compagnie jusque-là. L'ombre de la Montagne les effrayait, ils la disaient maléfique.

Une fois les Humains repartis par les eaux, Thorin accorda dix minutes de pause à la Compagnie, pendant lesquelles ils mangèrent les denrées les plus rapidement périssables de leur lourde cargaison : le fromage au lait cru, le pain de mie et les œufs de poisson. L'odeur des œufs, un fort relent vaseux qui exhalait des bocaux, souleva le cœur du pauvre Bifur qui, tout piteux, se contentait de grignoter une pomme du bout des lèvres ; il n'avait pas encore digéré ceux dont il s'était copieusement bâfré la veille, défiant Bombur d'en manger plus que lui, pari qu'il avait bien entendu perdu (1).

Le repas fut silencieux. La bonne humeur et la superbe qui avaient enflammés les Nains au son de la musique et des chansons des Hommes du lac s'étaient muées en un mutisme anxieux. La tension était à son comble : le sort de Kíli, resté à Lacville avec son frère, Óin et Bofur, leur était désormais incertain ; la nouvelle du couple formé par Thorin et Ayrèn avait complètement déstabilisé l'unité de la Compagnie ; et, surtout, ils savaient qu'ils approchaient de la fin de leur Quête, et que cette fin pourrait bien être plus horrible que tout ce qu'ils avaient affronté pour y parvenir.

Dracà-cwellere, la Tueuse de dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant