Alhéna eut un soupir et baissa les yeux vers son parchemin que le fusain avait négligemment habillé d'un pauvre manteau de mots gribouillés.
Elle n'arrivait plus à dessiner.
Autrefois elle s'asseyait dans un transat près de Lucretia et regardait les hauts arbres avant de faire un croquis d'une jolie femme nageant nue dans un bassin d'eau claire, entourée par des poissons aux écailles transparentes.
Mais désormais que son jardin se résumait à son manoir austère et aux tombes près du lac, cette jolie femme nageant nue dans un bassin d'eau claire s'était noyé dans la noirceur des abysses de ce même bassin, entourée par des poissons aux écailles noirâtres.
Elle se sentait fatiguée. Les visites de Draco et ses parents lui procuraient un confort qui disparaissait dès qu'ils repartaient, et les visites d'Harry lui procurait un bonheur qui disparaissait dès qu'il repartait.
Et au final, le seul qui lui restait était Sirius, qui ce jour-là était parti voir Remus et Nymphadora et ne revenait que la semaine suivante.
Elle était seule. Et elle n'aurait jamais pensé éprouver ce sentiment un jour, mais Sirius lui manquait. Ce n'était pas tant Sirius en lui-même que le fait d'avoir une présence plus que vivante à ses côtés, lui faisant oublier le temps d'un instant que toutes les autres personnes auxquelles elle tenait ne l'étaient plus : vivantes.
-"Madame désire-t-elle un thé ?"
Elle se retourna et sourit à Morroi.
-"Avec plaisir."
Elle s'abaissa et s'avança à reculons jusqu'aux cuisines, la laissant seule dans le salon, assise près de la fenêtre.
En un soupir, elle déchira le parchemin et le jeta dans la cheminée avant de le regarder brûler.
Morroi déposa le thé fumant sur la table de la salle à manger avec le reste du déjeuner, et Alhéna vint s'asseoir en tête de table, la place qu'occupait autrefois feu Ignatius ; celle du maître de maison.
Les elfes apportèrent les plats un par un, en commençant par l'entrée jusqu'au dessert.
Et Alhéna porta la fourchette à sa bouche pour mâcher lentement, se rendant compte de la tristesse de sa vie lorsqu'elle remarqua que la table en bois lui paraissait immense lorsque personne n'était là pour partager son repas.
Elle était toute seule.
-"Sortez." Elle congédia les elfes et domestiques qui sortirent et refermèrent la porte, et ressentit soudain un grand coup au coeur. Sa fourchette crissant sur les assiettes était le seul bruit qui venait interrompre le silence mortuaire.
En temps normal, un adulte serait venu pour s'occuper d'elle : elle était mineure et n'avait aucun adulte avec elle. Mais elle était une Black ; et par conséquent, le ministère fermait les yeux sur ses faits et gestes.
C'était le lieu parfait pour cacher un pseudo criminel recherché dans toute l'Angleterre.
Elle reposa sa fourchette et regarda l'immense tableau de Lucretia, Orion et leurs parents.
Non, elle ne le cachait pas. Elle attendait juste le bon moment pour le vendre au ministère.
Oui, elle n'aimait pas sa compagnie. Elle faisait juste semblant.
Elle eut un léger sourire et reprit sa fourchette avant de couper sa viande d'un coup sec, et de porter le morceau à ses lèvres avant d'y planter ses dents.
Et tandis qu'elle tentait de se convaincre, à mille lieux de là, Harry venait de se lever.
Il bailla longuement, profitant du confort du lit de fortune de Ron, gardant la lumière éteinte et les volets fermés.
-"Debout." Hermione entra au même moment et alluma la lumière avant d'ouvrir les volets et de les regarder, les mains sur les hanches.
-"Regardez vous." Elle roula des yeux. "Il est midi passé, dépêchez."
Elle prit la couverture de Ron qui ronflait et la jeta par la fenêtre avant de sortir, et Harry eut un rire en voyant que son ami s'était soudain levé, les yeux grands ouverts.
-"J'ai froid." Murmura le garçon aux cheveux roux.
Harry regarda par la fenêtre le soleil déjà bien haut.
-"Il doit faire dans les vingt degrés."
-"Ça caille." Grimaça Ron, et Harry eut un sourire.
Ils s'habillèrent et se levèrent avant d'aller prendre le petit dejeuner-dejeuner.
Ginny regarda longuement le garçon qui tentait de nettoyer ses verres de lunettes, avant de venir l'aider avec un sourire aux lèvres.
-"Tu ne vas pas voir Alhéna aujourd'hui ?"
Hermione fit semblant de poser une question anodine, mais son livre tourné à l'envers en disait long.
Harry ne répondit pas immédiatement.
-"Je ne pense pas. Elle préfère être seule."
-"Personne ne préfère être seul Harry." Elle leva un sourcil et le regarda. "Pas même Voldemort."
Il détourna le regard.
-"Je ne sais pas, Mione. Elle ne m'aime pas et je ne l'aime pas tellement, je fais juste ça parce que ça fait plaisir à Sirius."
-"A d'autres." Hermione rit et reposa son livre avant de tapoter le fauteuil près d'elle, sur lequel il prit place. "Tu le fais parce que tu aimes bien Alhéna, et c'est normal. Tu aimes tout le monde." Elle grimaça. "Sauf Draco."
-"Je ne l'aime pas, elle-" il soupira et se massa les tempes. "C'est compliqué."
-"C'est compliqué parce que tu veux que ce soit compliqué."
-"Je ne me suis jamais excusé."
Elle fronça les sourcils.
-"De quoi ?"
-"De lui avoir si mal parlé lorsque j'ai appris que Sirius avait trahis mes parents." Il eut un rire amer. "Même lorsque j'ai su que c'était faux, je ne me suis pas excusé."
-"Tu avais le droit d'être énervé."
-"Pas comme ça."
Il laissa passer un ange et s'affala sur le fauteuil, las.
-"Je lui ai dit que je me fichais de sa famille parce qu'il avait tué la mienne. J'ai rejetté la faute sur elle parce qu'il était son père. J'ai-" il eut un nouveau soupir. "J'ai été égocentrique alors qu'elle devait avoir tant d'autres problèmes. J'aurai du l'aider et je l'ai enfoncé."
-"Ce n'est pas de ta faute." Hermione rit. "C'est aux adultes de prendre soin des enfants."
-"Aucun adulte ne prend soin d'elle." Il se releva quelques peu. "Ils sont soient morts, soient en cavale et Sirius n'a jamais élevé d'enfants. Il ne sait pas comment faire."
Molly, qui était en train de nettoyer la cuisine, vint prendre part à la conversation.
-"Sirius la voit comme une pré adolescente avec qui il peut jouer. Il tente de retrouver en eux l'amour qu'il avait pour ses amis. Il ne la voit pas comme sa fille." Elle sourit. "Après des années passés en prison, elle n'est plus tellement son enfant. Elle a grandi sans lui et il a vieilli sans elle."
Hermione baissa les yeux quelques secondes.
-"Je suis sûre qu'elle se débrouille très bien seule."
-"Elle a été élevée pour ça." Molly la regarda. "Est-ce que ça veut forcément dire qu'elle est bien seule ?"
Et, chez elle, Alhéna souffla sa bougie avant de poser sa tête sur son oreiller, une grosse larme roulant sur sa joue.
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𝑨 𝑩𝒍𝒂𝒄𝒌 𝒔𝒕𝒐𝒓𝒚 [TERMINÉ]
Fanfic《"𝐢𝐭'𝐬 𝐚𝐥𝐰𝐚𝐲𝐬 𝐛𝐞𝐞𝐧 𝐚 𝐏𝐨𝐭𝐭𝐞𝐫 𝐚𝐧𝐝 𝐚 𝐁𝐥𝐚𝐜𝐤"》 ••••• Alhéna Cassiopée Black. Tel fut le nom que lui donna sa grand-mère lorsqu'elle apparue à sa porte comme par magie ce soir du 31 octobre 1981. Fière de son héritage et des...