Chapitre 10

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Au crépuscule du quinzième jour depuis son arrivée, Charlotte, missionnée, sortit du chapiteau des cuisines. Le vent qui balayait les allées et faisait onduler les toiles des tentes, lui mordit le visage et « annonçait un hiver précoce » comme le bougonnait souvent Sori. La capuche de son lourd manteau remontée sur la tête, elle pressa le pas pour rejoindre la rivière, munie de deux seaux.

L'eau vive et grondante était bordée d'une épaisse végétation multicolore, qui semblait vouloir lui attraper les chevilles, aussi, prudente et bien que seule sur la rive, Charlotte était pressée de faire l'aller-retour.

Alors qu'elle remplissait son deuxième récipient, elle remarqua qu'un corps flottait, ballotté par l'eau agitée, mais il s'arrêta en s'accrochant dans des branchages non loin d'elle.

La jeune femme jeta un regard en arrière et ne voyant personne pour aider, elle descendit la pente douce de la rive pour rejoindre le noyé. De l'eau froide jusqu'à mi-cuisse, elle mit la victime sur le dos et reconnut le guerrier que Sori nommait Riyès.

Pour ne pas perdre de temps et parce qu'elle peinait à traîner le corps du guerrier sur le rivage, elle lui laissa les jambes partiellement immergées. Charlotte puisa dans ses maigres connaissances de premiers secours et fit rouler Riyès sur le côté pour tenter de faire sortir l'eau de ses poumons, puis elle entreprit un massage cardiaque sous les yeux ahuris des Kross et de leur seigneur qui s'approchaient.

Beaucoup poussèrent des cris d'indignation quand le garçon posa sa bouche sur celle de Riyès, mais l'étranger reprit ce drôle de manège : appuyer par à-coups sur le torse du guerrier et l'embrasser curieusement.

Sinn étudia l'adolescent, surpris par son attitude vis-à-vis du mort, mais le plus dérangeant pour lui c'était ce mélange de désir et de jalousie qu'il avait ressenti quand le commis avait posé ses lèvres sur celles de Riyès.

Nane'té qui s'était fait un passage en bousculant les curieux, s'arrêta net quand l'adolescent se pencha sur Riyès. Son premier réflexe lui dicta d'écarter le garçon du cadavre, mais elle préféra profiter du moment pour le sonder, alors elle éveilla son don.

Sinn dut faire un effort pour regarder l'Alchimiste qu'il savait présente. Ses yeux hazel luisaient, ce qui signifiait qu'elle était déjà en train d'analyser l'étranger et donc il avait l'occasion d'en apprendre plus sur ses capacités ou sa probable menace magique. L'instant fut bref et Nane'té ferma les paupières comme pour éteindre son don. Quand elle les rouvrit, elle fixa Sinn et lui fit « non » de la tête, affirmant sans un mot qu'elle n'avait rien décelé chez l'adolescent... pas l'once de magie.

Sinn serra les mâchoires d'agacement face à la situation, au point qu'il eut envie de battre comme plâtre le garçon, mais Riyès toussa et roula sur le côté tout en repoussant violemment l'étranger. La foule hoqueta de surprise et beaucoup murmurèrent « que les Onis nous protègent ».

Nane'té s'approcha et saisit le garçon par son lourd manteau pour le relever, puis elle le poussa pour qu'il dégage et lui laisse la place. La tête basse à regarder ses pieds, l'adolescent prit ses deux seaux et rentra au campement sous les injures des Kross qui s'écartaient sur son passage, effrayés par la magie qu'ils imaginaient couver en lui.

À travers son curieux manège il venait de redonner le souffle de vie au guerrier qui avait tenté de le tuer quinze jours plus tôt. Sinn fut fier de lui et de son attitude nonchalante face au miracle qu'il avait accompli sans avoir de don, mais il savait aussi que face à l'inquiétude qu'il générait sur ses sujets, ce qui venait de se passer accentuerait le côté mystique de sa présence.

L'étranger venait sans le savoir de mettre sa tête sur le billot, parce que les Kross allaient réclamer la mort de l'adolescent une fois arrivés au piton de la Dame Blanche. Sans nul doute et bien que l'incident soit le premier du genre, la magie de Brume devait être en mesure d'annuler le maléfice qui menaçait Sinn et les siens. 

« Plus que quelques jours et nous serons au Piton. Plus que quelques jours et je serai débarrassé de cette attirance malsaine, plus que quelques jours et la mort l'emportera loin de moi » s'encouragea Sinn en retournant à ses activités. Il se félicitait d'être aussi fort mentalement, parce que dans le cas contraire il aurait pu céder à ses pulsions, ce qui aurait mis en échec sa tentative d'arrêter les Ombres.

De l'agitation s'éleva au loin dans le campement forçant Sinn à se retourner et sa bouche s'étira en un rictus.

Kross : le peuple guerrier T1 🔞(terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant