Linnéa avait repris conscience. Elle s'était réveillée dans un lit d'hôpital, la tête enveloppée de bandages et une jambe attelée. Elle avait maintes fois tenté de se lever, ses rendez-vous professionnels passant avant sa santé, mais des infirmières l'en avaient empêchée. Cela faisait presque une demi-heure que la jeune femme était au repos et elle s'ennuyait déjà à en mourir. Pas un seul instant elle ne réalisa que son unique centre d'intérêt dans la vie était le travail, elle était trop pressée pour réfléchir. Son attente fut finalement interrompue par l'arrivée de James. Il était haletant et désorienté, mais son visage s'illumina aussitôt à la vue de son épouse.
— Mon ange, soupira-t-il, réconforté de la voir en vie.
Linnéa tendit les bras et accueillit l'homme contre son cœur. Ils s'étreignirent un long moment en silence puis le policier s'assit sur le bord du lit.
— Tu peux me raconter ce qui s'est passé ? demanda-t-il.
— Pas le temps. Aide-moi à me lever, si je me dépêche je peux encore arriver à l'heure chez monsieur Poloskov.
— Non.
— Comment ça, non ? s'indigna la blessée. Je te demande de...
— Ma puce, l'interrompit James. Tu devrais prendre cet accident un peu plus au sérieux. Tu aurais pu y laisser la vie.
— Mais je suis toujours là.
— Ne sois pas de mauvaise foi. Je mettrais ma main à couper que c'est à cause de ton travail que cet accident a eu lieu, tu étais nerveuse et pressée, et ce qui devait arriver est arrivé. Je me trompe ?
— Non, tu as parfaitement raison, comme toujours, répondit-elle, vexée.
Le jeune homme mit un terme au désaccord par un baiser :
— Je ne veux pas me disputer.
Linnéa se mordit la lèvre inférieure et baissa les yeux sur ses mains tremblantes. Elle observa furtivement son époux qui allait chercher un plateau de nourriture sur la table à roulettes. Il revint s'asseoir sur le lit en arborant un sourire avenant. Il lui caressa la joue et aucune parole ne fut nécessaire à l'échange silencieux de sentiments qui s'effectuait en cet instant précieux. La jeune femme acquiesça du regard puis accepta d'avaler un peu de soupe de légumes. Son nouvel infirmier attentionné amena la cuillère à sa bouche et elle retrouva l'espace d'un paisible moment tout le bonheur de ses premiers émois. Sa première sortie avec James, cela s'était passé dans un pré, ils avaient pique-niqué et jamais depuis leur amour n'avait été aussi pur et vrai. Quatre années de mariage avaient banalisé leurs sentiments et les avaient menés à tenir leur amour pour définitivement acquis. Linnéa en avait presque oublié la simplicité d'aimer sans réfléchir et de se laisser porter par le courant d'un bonheur simple. Son travail avait accaparé toutes ses pensées et balayé l'être qui avait jusque là été tout pour elle.
— Mon chéri, dit-elle d'une voix douce. On pourrait tout laisser tomber, le travail et les contraintes, et retrouver la simplicité de notre vie d'avant, quand il n'y avait que notre couple qui comptait. Notre fortune est bien suffisante. Et puis nous pourrions avoir des enfants. Qu'en penses-tu ?
— C'est une très jolie idée, concéda le policier en jouant avec une boucle brune de sa compagne. Seulement, j'aime être flic.
Linnéa tourna la tête, dépitée.
— Je t'en prie ma puce, ne te vexe pas. Tu passeras toujours en priorité dans ma vie, je te l'assure. Mais j'ai besoin de travailler, d'avoir une occupation. Dans la police je me sens utile, j'aime aider les gens et résoudre des enquêtes, même si ça n'est pas toujours très drôle. Je suis content que tu aies fait cette proposition parce que tu as raison, on devrait passer plus de temps ensemble, mais sans pour autant se couper du monde et renoncer à toute autre activité.
— Je comprends.
— Tu pourrais par exemple accepter moins de clients, t'accorder quelques jours de repos dans la semaine. Ou bien tu pourrais carrément abandonner la CDG et te consacrer à la peinture et à la sculpture.
— Je ne peux pas faire ça. Moi aussi j'aime mon travail. Et si je refuse des clients ils iront voir mes concurrents. Je ne peux pas prendre le risque que la CDG perde son prestige et sa première place. Avec moi c'est tout ou rien, tu le sais.
James poussa un long soupir d'impuissance puis se dirigea vers la fenêtre. Il observa le jet d'eau dans la petite fontaine à l'entrée du centre hospitalier. Un immense parking s'étendait à l'horizon. L'autoroute passait juste derrière. Les voitures, minuscules petits points noirs au loin, défilaient à une allure folle. Pendant quelques instants, James songea qu'il était engagé sur l'autoroute de la vie, certains allant plus vite que d'autres, se dépassant, les uns prenant une bretelle de sortie et les autres ayant des accidents de parcours. Le policier s'imagina éternellement à la poursuite de sa charmante épouse toujours trop pressée. Parviendraient-ils un jour à surmonter le fait qu'ils ne soient pas montés dans le même véhicule ?
— Chéri... Chéri... l'interpella Linnéa.
— Oh, excuse-moi, tu disais ?
— Je disais... que tu pourrais quitter la police et travailler dans ma société.
James manqua de s'étouffer et recracha l'eau qu'il venait de boire. Le jeune homme éclata de rire sous le regard incrédule de sa femme.
— Moi, travailler dans la décoration ?
— Ben oui, qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
— Tu as une sacrée imagination. Mais tu viens quand même de me donner une idée. Ce n'est pas moi qui devrais travailler avec toi, mais une assistante.
— Une assistante ?
— Oui, quelqu'un que tu aurais sélectionné selon ses goûts et son talent artistique, quelqu'un qui aurait un style proche du tien et dans le genre de la maison, quelqu'un qui pourrait te seconder et faire un travail assez similaire au tien. Enfin, tu vois ce que je veux dire ?
— Et où est-ce que je suis censée trouver cette perle rare ?
— Passe une annonce. Je suis sûr que des tas de gens seraient prêts à se battre pour entrer à la CDG, c'est l'agence de décoration par excellence.
Linnéa eut un petit rire de satisfaction. James avait raison. Elle pouvait embaucher qui elle voulait, c'était elle la grande patronne et elle contrôlait tout. Ces derniers temps, son travail avait plus souvent été une contrainte qu'un plaisir, cela devait cesser. Le policier s'assit sur le lit et enferma les mains de sa femme au creux des siennes :
— Qu'est-ce que tu penses de mon idée, alors ?
— Je pense qu'elle est excellente. Je sens que je vais adorer jouer à la patronne.
Le couple s'étreignit longuement puis Linnéa demanda d'une voix taquine :
— Dis, en attendant que j'ai une assistante, tu pourrais appeler mes clients et repousser les rendez-vous ?
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Nuit Sans Lune (Terminé)
WerewolfL'inspecteur James Gardam mène une existence paisible dans sa petite ville trop tranquille. Mais une série de meurtres sauvages va bientôt pimenter son quotidien et chambouler sa vie plus qu'il ne pouvait l'imaginer. Pour l'aider à élucider ces myst...