Nuit Sans Lune (Terminé)

Chapitre 14 - Des loups

Gaétan Alicos souleva une nouvelle pile de paperasse et la déposa avec le reste sur le bureau. Hormis le désordre fait par le lieutenant, très peu de choses encombraient le vieux meuble usé. On y voyait un porte-plume taillé dans le bois et un bibelot fait de fils de fer qui tournaient sur eux-mêmes et s'entrecroisaient par un astucieux mécanisme de balancier. Sous un tas de quelques feuilles blanches, une pochette rouge attira l'attention du fouineur. Il était décidé à percer les secrets de Khali Lobo. Le lieutenant tendit la main vers l'objet lorsqu'il perçut un bruit. Il se tourna rapidement et vit les chiffres au-dessus de l'ascenseur s'allumer les uns après les autres. Il rangea à la hâte les documents dans leur tiroir et se précipita à son propre bureau.

Encore essoufflé, il faillit tomber de sa chaise lorsque James et Khali sortirent de l'ascenseur. Il se leva avec un sourire feint et retira la main droite de sa poche pour la tendre à James. Celui-ci remarqua à peine la présence de son collègue et lui tapa mollement dans la paume. Seule la direction que prenait Khali l'intéressait. Il la suivit jusqu'à son propre bureau et ouvrit le tiroir contenant tous les renseignements qu'il avait accumulés à propos des objets volés.

— Qu'est-ce que vous faites là aussi tard ? intervint Gaétan.

— Je vous renvoie la question, répondit la jeune femme.

Gaétan acquiesça de la tête en plongeant les mains au plus profond de ses poches. Ne désirant pas satisfaire la curiosité de Khali, il préféra ne pas insister sur ce sujet.

— Je ne savais pas que vous travailliez ensemble, ajouta-t-il d'un air badin.

— Vous voyez cette fenêtre ? demanda Khali, agacée.

Gaétan regarda la jeune femme en fermant l'œil gauche à demi, faisant ainsi comprendre qu'il ne voyait pas où elle voulait en venir. Elle s'approcha de lui aussi silencieusement que si ses pas fluides avaient glissé sur le sol et elle le saisit par la cravate.

— Tu vois cette fichue fenêtre ? répéta-t-elle entre ses dents serrées.

— Euh, oui, oui, confirma le lieutenant quelque peu intimidé.

— Va admirer le paysage en silence et préviens-moi quand tu apercevras la muraille de Chine.

Elle bouscula l'homme en direction de la fenêtre et ajouta froidement :

— Si j'entends le moindre bruit, tu ne seras plus qu'une tache sur le trottoir.

Il obéit, comme hypnotisé face à la fenêtre, face à la ville, ne comprenant pas d'où lui venait ce sentiment de terreur insurmontable qui l'avait envahi lorsque le regard de la jeune femme l'avait pénétré jusque dans les tréfonds de son âme. Pour apaiser la frustration de la défaite il tenta de se convaincre qu'il avait simulé la soumission car c'était là l'occasion d'espionner la conversion de Khali et James. Ce dernier n'avait pas réagi à l'accrochage entre ses deux collègues, pour lui le comportement de la belle ne se discutait pas, comme s'il était déjà sous sa coupe. Elle attrapa une chaise et s'y assit à califourchon, le dossier en avant.

— Très bien. Nous parlions des loups. Il y a celui du musée que vous avez vu cet après-midi et celui dérobé lors du meurtre à la bijouterie. Est-ce que vous avez des photos des objets volés récemment ?

Le policier fouilla dans son bureau, mutique, et en tira une enveloppe qu'il tendit à Khali.

— Je n'ai pas d'image de tous les objets, expliqua-t-il. Certaines proviennent des musées eux-mêmes, d'autres de livres d'art, ou...

— Je pense que ça suffira.

Elle examina toutes les images et les sépara en deux catégories. Lorsque le tri fut terminé, elle ramassa l'un des deux tas et le tendit à James.