Chapitre 36 - Juste un cauchemar

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Linnéa se réveilla brusquement. Un infirmier de garde qui passait dans le couloir fut alerté par le rythme rapide de sa respiration et la chute d'un verre d'eau posé trop près du lit.

— Madame Gardam, tout va bien ?

— Ça va, ça va, merci.

— Vous n'avez besoin de rien ? s'enquit l'homme en ramassant les débris de verre sur le sol.

— Ne vous inquiétez pas, c'est juste... juste un cauchemar.

— Vous parviendrez à vous rendormir ?

— Ça ira.

— Je vous souhaite une bonne nuit dans ce cas. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis juste à côté.

— Merci. Dites-moi...

— Oui ?

— Est-ce que vous pensez que le médecin me laissera rentrer chez moi demain ?

— C'est possible, votre état s'est beaucoup amélioré ces jours-ci.

— Dans ce cas tant mieux, il est grand temps que je rentre. Mon mari a besoin de moi.

Linnéa ne ferma plus l'œil de la nuit. Elle sentait que James était en grand danger, et elle s'en voulait de ne pas être à ses côtés pour veiller sur lui.


🐺🐺🐺


James se réveilla en suffoquant à demi. Quelque chose comprimait ses poumons et l'empêchait de respirer correctement. Il inspira une grande bouffée d'air et repoussa le poids sur sa poitrine. Il s'assit, la main sur la gorge, et observa avec stupéfaction l'homme étendu à ses côtés.

Le jeune homme hésita, pressentant une menace, puis tendit la main vers l'individu. Il lui tirailla le pull pour l'étendre sur le dos et découvrit avec horreur le visage livide du macchabée. Ce dernier avait les yeux encore grands ouverts, pleins de peur et d'incompréhension. Il avait des griffures et des ecchymoses sur tout le corps. Ses vêtements n'étaient plus que des loques ensanglantées.

James recula en tremblant de tous ses membres, il avait les mains pleines de sang. Après quelques minutes de panique, la raison reprit le dessus. Le policier s'obligea à respirer plus calmement et tenta de trouver une solution. Il regarda autour de lui et constata qu'il se trouvait dans le vaste jardin du domaine Gardam. Le jour s'était levé depuis peu.

James se redressa en balayant l'herbe sur ses vêtements et souleva le cadavre pour le transporter sur son dos. Il valait mieux éviter qu'il se pose des questions, peu importait pour l'instant qu'il soit devenu un meurtrier ou non. Il devait avant toute chose se débarrasser de toutes les preuves contre lui, ensuite il pourrait se laisser aller au désespoir qui le gagnerait inexorablement.

Une idée lui vint presque aussitôt. Il se dirigea vers le fond du jardin, à l'arrière de la maison, en entraînant sur son dos un poids égal à celui de sa culpabilité. Il accéléra le pas, le jardinier allait probablement arriver sous peu et il allait devoir lui téléphoner pour lui demander de ne pas venir travailler aujourd'hui. James marcha jusqu'au tas de fumier à la lisière de la forêt privée et y déposa le corps de l'homme inconnu.

Au pas de course, le policier alla récupérer des cageots en bois dans la cave et les jeta dans le fumier. Il s'accroupit ensuite à côté du cadavre et observa quelques minutes de silence. Les larmes commençaient à lui brouiller la vue. Il fouilla sommairement l'inconnu jusqu'à ce qu'il trouve son portefeuille. Il évita de s'attarder sur une photo de famille et repéra la carte d'identité.

— ... Je ne sais pas ce qui s'est passé mais je suis vraiment désolé Michel... annonça-t-il d'une voix contrite.

Il rangea tout dans le portefeuille puis jeta l'objet sur le corps. James se releva et recula de quelques pas. Il sortit lentement une boîte d'allumettes de sa poche et l'ouvrit. Il respira profondément avant de saisir une allumette et de la gratter contre la surface de la boîte. La petite flamme ne tarda pas à embraser les cageots et les feuilles mortes sur le tas de fumier. Pendant quelques secondes, James vit son cauchemar partir en fumée, puis le boomerang impitoyable revint le frapper en pleine figure et le terrassa. Il s'effondra à genoux sur le sol et fondit en larmes. Il ne quitta pas l'endroit avant l'extinction complète de l'immense brasier. Il ne restait plus que des cendres et la fumée qui se dispersait au vent.

James se releva avec lenteur, les épaules voûtées, puis regagna la fraîcheur de la maison. Il monta jusqu'à la salle de bain et s'enferma sous la douche un long quart d'heure. Cette affreuse matinée semblait s'éloigner peu à peu, la douleur s'atténuait et l'odeur du sang quittait son esprit. Le policier avait l'impression d'avoir été transporté dans un autre monde. Il se sentait changé, dangereusement différent.

Le ronronnement d'un moteur le ramena brusquement à la réalité. Il coupa l'eau pour mieux entendre. C'était la voix de Linnéa, elle remercia le chauffeur de taxi qui l'avait conduite ici puis le paya. James perçut le tintement des pièces de monnaie malgré la distance conséquente. Il s'habilla puis alla attendre son épouse sur le lit, essayant d'avoir l'air détendu pour donner le change. Elle arriva quelques minutes plus tard, ralentie par la faiblesse de ses jambes.

— James, se réjouit-elle en apparaissant dans l'encadrement de la porte.

Le jeune homme ne se leva pas. Elle n'aurait pas dû revenir, songea-t-il. Il avait peur de ses propres réactions dorénavant. S'il faisait le moindre mal à Linnéa il était prêt à tourner son arme de service contre lui-même sans hésiter.

— Ben alors, ça va pas ? s'enquit la jeune femme en venant s'asseoir à côté de son époux.

— L'hôpital t'a laissée sortir ? demanda-t-il pour détourner la conversation.

— Oui, et j'espère bien ne pas avoir à y retourner cette fois.

— Moi aussi je l'espère... annonça gravement le policier.

— Tu es morose, mon chéri, je n'aime pas ça. Si quelque chose ne va pas je suis là pour t'aider, tu sais ?

— Je sais.

— Ça fait une semaine que tu es seul dans cette grande maison, pas étonnant que ton moral soit tombé à zéro. Je peux faire quelque chose pour que tu retrouves le sourire ?

Elle fit une petite moue attendrissante tandis que James leva sur elle un regard froid et perçant. La jeune femme en fut décontenancée et presque effrayée. Elle tendit une main incertaine vers lui, il la saisit alors fermement par le poignet et la fixa encore plus férocement. C'était un regard vide et noir comme celui d'un requin.

Linnéa murmura le prénom de son époux mais il ne sembla pas réagir. Elle répéta encore une fois son nom avant qu'il ne l'interrompe d'un baiser ardent. Il la bouscula ensuite sur le lit et la couvrit de son corps. La jeune femme se plaignit d'une douleur à la jambe mais James ignora ses gémissements et l'embrassa, ou plutôt la dévora, avec une vigueur indifférente. Cela faisait longtemps que Linnéa n'avait pas eu droit à un tel élan d'affection, même si cela ressemblait davantage à une faim vorace et désespérée qu'à de l'affection...



Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant