Chapitre 15 - Le pacte

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Tapi dans sa voiture, Victor grelottait. Le froid de la nuit s'infiltrait dans le véhicule par le moindre petit trou d'aération comme un gaz mortel. Ses doigts étaient transis, ses dents claquaient. Il avait beau pousser le chauffage au maximum, rien n'y faisait. L'humidité ambiante se transformait en givre sur le pare-brise. Victor n'y tint plus et tourna la clef de contact. Le moteur vrombit. Avoir pris son patron en filature ne lui avait rien appris de neuf, et il ne pouvait raisonnablement pas suivre ses faits et gestes durant toute la soirée sans prendre le risque inconsidéré d'être repéré. Après tout, l'information essentielle était de savoir si James passerait la nuit à la maison ou pas, et surtout avec qui il la passerait.


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Le lieutenant Alicos vit les phares d'une voiture transpercer l'obscurité puis réprima un tremblement de nervosité instinctif en voyant le véhicule s'enfoncer dans la nuit puis disparaître. Il ferma les yeux et revint à la réalité. Le commissariat était plongé dans un silence désagréable. Gaétan tourna lentement la tête en direction de James et Khali. Le policier farfouillait dans les dossiers tandis que la jeune femme l'observait d'un air songeur, un sourire malicieux flottant sur les lèvres. A quoi pensait-elle ? Quel mauvais plan préparait-elle ? Gaétan plongea les mains dans ses poches puis inclina la tête, interrogeant du regard le bout de ses chaussures. Il soupira de manière bruyante et prit un air décontracté, il ne quittait cependant pas le paysage des yeux. Il se rebellait intérieurement, histoire de se donner meilleure conscience, mais il n'osait tout de même pas braver Khali en s'en allant. Il resterait là jusqu'à ce que la jeune femme l'en dispense.

— Qu'est-ce que vous attendez de moi ? lâcha James en reposant d'un geste brusque les photos sur le bureau.

— A quel propos ? se méfia Khali.

— Mais l'enquête, évidemment. Puisque vous semblez avoir une idée tout à fait arrêtée sur la question, je ne vois pas en quoi je pourrais vous être utile.

— Je connais la vérité, en effet. Toutefois je ne connais pas l'identité du criminel. Rien de ce que je sais n'est basé sur une quelconque preuve tangible. Je le sais, c'est tout. Ne me posez pas de questions.

— Ça ne me dit toujours pas...

— J'y viens, coupa-t-elle. Je dois reconnaître que pour ce qui est de recueillir des preuves, je ne suis pas très douée. Mon truc c'est l'action, prendre les gens la main dans le sac. J'ai une philosophie de bulldozer. En fait, j'ai besoin de vous pour tout le côté administratif. L'organisation c'est pas mon fort.

— Concrètement, ça donne quoi ?

— Je vous apprends ce que je sais, vous me dites comment trouver des preuves qui conviennent à la justice et monter un dossier complet. Par exemple, si je soupçonne quelqu'un, ce sera à vous de réunir toutes les informations possibles sur cette personne. Je ne veux avoir affaire ni aux ordinateurs ni à la paperasse. Et une fois sur le terrain, c'est à mon tour de m'amuser.

A cette seule pensée, le visage de la belle s'éclaira. James baissa la tête et balaya du regard les documents éparpillés sur son bureau. Il grimaça d'hésitation puis se décida.

— D'accord, je collabore avec vous, accepta le policier.

Khali sourit, laissant apparaître une petite fossette au coin des lèvres. Ses paupières clignèrent lentement avant de se rouvrir. C'était un geste calculé, séducteur, tout comme la main fine et gracieuse qu'elle lui tendit ensuite. Le jeune homme avança le bras à son tour et le pacte fut scellé par une poignée de main cordiale, ferme de la part de Khali et fébrile du côté de James. Le policier savait que cet instant marquait quelque chose d'important dans sa vie, un changement, une évolution, un point de rupture, un point de non-retour.

Gaétan Alicos serra les poings. Cette alliance entre Khali et James, sa pire ennemie et son plus grand concurrent, ne pouvait être que néfaste. Il se sentait oublié, presque invisible. La situation le gênait. Il avait des crampes dans les jambes mais n'osait pas bouger de peur de se faire remarquer. Si les deux policiers avaient réellement oublié sa présence, il finirait bien par apprendre quelque chose d'important en les épiant. La soirée s'était déjà montrée relativement fructueuse. Elle avait confirmé ses doutes quant au double jeu de Khali qui avait elle-même avoué connaître bien plus de choses à propos de l'enquête qu'elle ne l'aurait dû. De plus, il savait dorénavant à quoi s'en tenir au sujet des liens qu'entretenaient Khali et James. Ne restait plus qu'à découvrir la source de la jeune femme. D'où détenait-elle ses informations ?

Le lieutenant éprouvait en parallèle de la sympathie envers James, voire de la pitié. Il percevait son collègue comme une victime prise au piège du charme diabolique de Khali. Peut-être parviendrait-il à le remettre sur la bonne voie, à lui faire entendre raison, et éventuellement à le rallier à sa lutte contre l'étrangère. Lorsqu'il tourna à nouveau la tête vers les deux policiers, le regard glacial de Khali le transperça. Elle se leva sans cesser de le surveiller puis se dirigea vers son propre bureau, un vieux meuble décrépi qu'on lui avait alloué le temps de son séjour dans la ville. Elle ouvrit un tiroir et récupéra la pochette rouge qui avait excité la curiosité du lieutenant Alicos une heure plus tôt.

— Nous n'avons plus rien à faire ici, annonça la jeune femme sur un ton autoritaire et condescendant qui s'adressait autant à James qu'à Gaétan. Vous pouvez vous détourner de la fenêtre, mais je vous déconseille de prononcer la moindre parole.

Gaétan resta immobile, il espérait ainsi démontrer qu'il avait choisi d'admirer le paysage de son plein gré et qu'il ne l'avait pas fait dans le seul souci d'obéir. Khali ne le remarqua même pas, elle glissa la pochette rouge sous son bras puis s'avança vers l'ascenseur. James rangea rapidement ses papiers. Il enfila sa veste avec empressement et arriva juste quand la porte de l'engin s'ouvrit. Le lieutenant Alicos attendit que les doubles portes soient refermées pour quitter enfin sa place devant la fenêtre. Il se précipita jusqu'au bureau de Khali et tira le tiroir d'un geste vigoureux. C'était bien ce qu'il pensait. Elle avait pris la précaution d'emporter la pochette avec elle. Ainsi elle se méfiait de Gaétan, elle avait donc bien quelque chose à cacher. Et il avait été à deux doigts de le découvrir.




Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant