Linnéa referma sa pochette avec satisfaction. Elle venait d'apporter les dernières retouches à un projet de rénovation sur lequel elle travaillait depuis de longues semaines. Jessica avait pris le relais pendant l'hospitalisation de sa patronne, et Linnéa devait s'avouer pleinement satisfaite des productions de sa nouvelle assistante. La jeune femme quitta son bureau et descendit à la cuisine pour grignoter quelque chose. Alors qu'elle tournait le dos à l'escalier, une ombre en profita pour se faufiler à l'étage dans un silence irréel.
Jessica se rendit dans le bureau de sa patronne, là où trônait l'ordinateur, siège de toutes les données concernant la CDG. A part le couple Gardam, la jeune femme était la seule personne au monde à connaître les codes donnant accès aux dossiers de la compagnie. Jessica tira une petite disquette grise de sa poche et l'inséra dans le lecteur. Il ne lui fallut que quelques minutes pour copier les informations les plus intéressantes.
— Mademoiselle Arnold ? s'exclama Linnéa d'un ton enjoué en entrant subitement dans la pièce.
Jessica dissimula une main dans son dos, prête à saisir le couteau à la lame aiguisée qui était accroché à sa ceinture. Elle lança un regard méfiant à sa patronne, redoutant la tournure que les choses pourraient prendre.
— Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi assidu à son travail que vous, reconnut Linnéa avec un sourire amical. Je ne vous ai même pas entendue arriver, et vous êtes déjà dans la paperasse jusqu'au cou. Vous allez me ruiner à force d'heures supplémentaires.
Jessica sourit à la plaisanterie puis fit mine de se replonger dans les dossiers. Linnéa se contenta quant à elle de récupérer un livre et s'en alla, au grand soulagement de son employée. L'espionne éloigna enfin la main de la lame dans son dos, au moindre soupçon elle aurait éliminé la menace potentielle. Moyennement rassurée, elle récupéra la disquette pleine et quitta la pièce. Il allait falloir qu'elle surveille ses arrières à l'avenir, aussi bien pour sa sécurité que pour celle des gens qui risquaient de découvrir par hasard des faits compromettants.
🐺🐺🐺
Khali souleva encore un peu la lourde porte de l'entrepôt. L'insupportable grincement de la tôle rouillée cessa. La jeune femme s'allongea sur le sol et roula sous la porte par l'ouverture haute d'une cinquantaine de centimètres. Il faisait extrêmement sombre à l'intérieur, l'odeur de renfermé et de poussière était très forte.
Khali se redressa dans le noir et éternua. Un écho étouffé résonna. Il n'y avait pas un semblant de lumière dans l'entrepôt, pourtant la jeune femme avançait d'un pas assuré droit devant elle. Elle s'arrêta devant un empilement de caisses en bois et s'accroupit. Une petite lampe était posée à proximité, la faible lueur était instable, l'ampoule devait être mal vissée ou bientôt grillée. Khali caressa la surface lisse de l'une des caisses puis glissa ses doigts dans la fente sous le couvercle. Elle tira avec force et les clous cédèrent. Des centaines de petits nœuds papillon en polystyrène remplissaient la boîte. Khali y plongea les mains et fouilla avec hâte.
Elle ne tarda pas à en ressortir un lourd objet. Il s'agissait d'une statue représentant un loup, elle semblait être faite de céramique noire, dans un style Egypte antique. Khali reposa le grand loup sur ses genoux, il avait les yeux au même niveau qu'elle. La jeune femme caressa la statue en baissant les paupières, comme si elle s'attendait à quelque chose qui n'arrivait pas. Après quelques minutes, elle rangea le loup dans la caisse avec un soupir d'abandon.
Elle se pencha pour ramasser le couvercle de la boîte lorsque le canon d'une arme se pressa contre son dos. Une odeur humaine lui chatouilla alors les narines, elle avait été trop distraite par sa nouvelle pièce de collection pour entendre l'intrus s'approcher.
— Qui êtes-vous ? Vous êtes sur une propriété privée, informa-t-elle.
Il n'y eut pas de réponse, mais une main d'homme la saisit subitement par le poignet et lui passa les menottes. En une fraction de seconde elle se retrouva la main attachée à une grille d'aération. L'intrus recula aussitôt, il semblait connaître la réputation de la dangereuse jeune femme. Elle put enfin voir son visage. Il était doux, le regard intimidé, et il pointait maladroitement son arme d'une main tremblante. Khali soupira d'un air las comme si ce genre de situation lui était habituel :
— Alors, qu'est-ce que vous voulez ? Argent ? Antiquités ?
— Vous avez tué mon frère, commença d'emblée le jeune homme en tremblant d'autant plus.
— Allons bon, on ne me l'avait pas encore faite celle-là. Un criminel qui venge un autre criminel, on aura tout vu.
— Je ne suis pas un criminel, et Karl non plus.
— C'est donc lui votre frère ? Ce scélérat que j'ai refroidi à Melbourne il y a deux semaines ?
— Vous l'avez exécuté, reprocha le jeune homme en tirant par inadvertance une balle à quelques centimètres de Khali.
La belle sursauta. Il avait peut-être l'air inoffensif, mais le chagrin et la révolte le rendaient imprévisible.
— Hé ! s'exclama-t-elle. Regardez un peu ce que vous faites avec ce truc-là !
— Je... Je, je... Je suis désolé, navré... désolé... s'excusa-t-il à plusieurs reprises, aussi choqué que s'il avait été lui-même la cible.
— Ça va, c'est rien. Maintenant calmez-vous et posez cette arme.
Le jeune homme hésita mais finit par obéir. Il abandonna son revolver sur une pile de caisses et s'approcha de sa captive.
— Pourquoi l'avoir tué ? murmura-t-il avec la mine déconfite d'un chien battu.
— Je me suis défendue, c'est tout.
Elle déformait la réalité, elle le savait, bien qu'elle aurait aimé pouvoir se convaincre que ce qu'elle disait était vrai. En réalité, elle ne savait elle-même pas pourquoi elle avait tué cet homme. Elle était énervée et avait opté pour la solution la plus facile, voilà tout. Karl s'était procuré une statuette de loup volée, première grave erreur, il avait froidement abattu son jeune revendeur, et pour finir il avait tiré une balle dans la cuisse de Khali. Il n'en avait pas fallu davantage pour que la rage monte en elle. Elle repensa à cet incident avec un pincement au cœur, et les images de son agression envers Victor défilèrent en parallèle devant ses yeux. Tant de choses qu'elle regrettait et qu'elle aurait aimé changer. Tant d'épreuves qui avaient fait d'elle la personne qu'elle était maintenant.
— Mon frère n'a pas mérité ça, se désola le jeune homme en essuyant ses larmes.
— Votre frère a abattu un type de vingt ans de sang-froid, rétorqua sèchement Khali. Tout ça pour une histoire de fric.
— Taisez-vous !
La captive n'osa pas le provoquer davantage. Il fouilla dans le sac qu'il portait en bandoulière et en sortit une seringue.
— Qu'est-ce que vous voulez faire avec ça ? se méfia Khali.
— C'est juste un sédatif, expliqua-t-il nerveusement en se rapprochant de la belle.
— Vous ne me planterez pas cette aiguille dans le...
L'aiguille s'enfonça dans son bras avant qu'elle ait le temps de réagir.
— ... bras... termina-t-elle en ressentant déjà les premiers effets de la somnolence.
— Il faut que je vous transporte dans un lieu plus sûr pendant que je vais au bureau. Vous savez, je suis informaticien et je...
La fin de son discours s'évanouit dans un tourbillon flou. Khali perdit rapidement la notion de l'équilibre et les objets se mirent à tourner autour d'elle. Elle sentit tous ses membres s'alourdir et un voile opaque tomba sur ses yeux à demi clos...
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Nuit Sans Lune (Terminé)
WerewolfL'inspecteur James Gardam mène une existence paisible dans sa petite ville trop tranquille. Mais une série de meurtres sauvages va bientôt pimenter son quotidien et chambouler sa vie plus qu'il ne pouvait l'imaginer. Pour l'aider à élucider ces myst...