Nuit Sans Lune (Terminé)

Chapitre 43 - Kidnappeur amateur

James jouait dans sa soupe depuis le début du repas. Il remplissait la cuillère puis la vidait à nouveau dans l'assiette comme un enfant, le regard vague, vide, distant. Il paraissait loucher sur la bougie au milieu de la table mais ne la voyait même pas. Il était ailleurs, loin, si loin, dans un autre monde, avec une autre femme.

Le policier s'emporta soudain et balaya son dîner du revers de la main. L'assiette se brisa sur le sol et la soupe se répandit par terre. Linnéa sursauta.

— James, mon chéri, mais enfin qu'est-ce qui t'arrive ? Tu te comportes de façon si étrange ces derniers temps.

Le policier posa un regard noir sur son épouse. Sans un mot, il se leva de table et se dirigea vers la porte.

— James revient s'il te plaît ! Tu n'as pas passé une seule nuit à la maison depuis mon retour de l'hôpital. Ce n'est pas une simple enquête qui te met dans cet état, je ne te crois plus ! James !

Le jeune homme hésita un bref instant puis quitta la salle à manger et la maison. Les sanglots de son épouse l'attristaient mais il n'avait pas le choix. Il l'aimait trop pour prendre le risque de la blesser. Il avait maintenant compris qu'il était aussi dangereux pour lui-même que pour les autres à la nuit tombée. Il avait pensé consulter un médecin mais craignait qu'on ne le prenne pour un monstre et qu'il soit rejeté et haï de tous.

Tous les soirs il perdait petit à petit le contrôle de ses actes et de ses pensées. Son état empirait jusqu'au point culminant où, à minuit, il éprouvait des douleurs abominables dans tout le corps, comme irradiant de l'intérieur. Au petit matin il n'avait plus le moindre souvenir des événements qui suivaient, mais ses fréquents réveils dans le sang l'avaient convaincu qu'il valait sans doute mieux qu'il ne s'en souvienne pas.

Cela faisait presque une semaine qu'il n'avait pas eu de nouvelles de Khali. Pourtant il revenait toutes les nuits dans la grotte où la jeune femme avait pour habitude de se réfugier. Sa raison le poussait à croire qu'elle l'avait encore une fois manipulé puis abandonné, mais son cœur lui disait qu'il ne devait pas perdre confiance en la belle. Elle n'était jamais là dans les moments où il avait le plus besoin d'elle, mais il revenait malgré tout chaque soir dans la grotte pour s'imprégner de sa présence envoûtante.

Il ne savait pas quand il la reverrait, il avait même déjà songé au suicide afin d'épargner la vie des gens qu'il risquait de massacrer lors de ses pertes de mémoire, mais le désir de caresser à nouveau le doux visage de Khali entretenait obstinément son envie de vivre. Il se cramponna à la paroi de la grotte et serra la mâchoire de toutes ses forces. Il savait que ce soir encore il ne pourrait retenir les hurlements de douleurs. La souffrance ne faisait qu'empirer chaque nuit. Qu'aurait-il donc à supporter le lendemain, soir de pleine lune ?

🐺🐺🐺

Valnasser retourna la photo entre ses doigts, encore et encore, mais l'image restait toujours la même. Khali était ligotée et bâillonnée dans une étable. Elle avait l'air fatiguée et brisée. Ses magnifiques yeux verts étaient cernés et rougis, ses longs cheveux étaient en bataille et par-dessus tout elle semblait avoir déjà maigri. Le patron de la puissante agence de décoration leva les yeux sur le jeune homme stressé qui gesticulait nerveusement sur son canapé.

— Pourquoi venir me voir avec cette photo ? demanda Valnasser en jetant l'image sur la table basse.

— Khali Lobo a tué mon frère Karl, expliqua l'informaticien. Je l'ai capturée et je la séquestre depuis près d'une semaine, j'avais l'intention de venger Karl en envoyant cette sorcière en enfer à son tour mais je me suis rendu compte que ça ne m'aurait ni ramené mon frère, ni rendu plus heureux.

— Tout ça pour me dire que... ?

— Je me suis déjà vengé en la torturant, alors maintenant je préfère tirer profit d'elle plutôt que de la tuer. Je lui ai proposé la liberté contre une rançon et elle dit que vous avez les moyens de payer, monsieur Valnasser.

— Combien voulez-vous ?

— Euh... Un million... Milliard ! Un milliard !

— Un milliard ? répéta Valnasser en se retenant de rire de l'amateurisme de son interlocuteur.

— Oui, d'Euros. Un milliard d'Euros, c'est ça.

— Aucune femme ne vaut ce prix-là, refusa catégoriquement l'homme d'affaire.

— Mais c'est votre amie.

— Ah bon ? Vous me l'apprenez. Khali est juste... une connaissance, dit-il en se remémorant la douceur sauvage de ses baisers. Je n'ai qu'à claquer des doigts pour avoir dix femmes comme elle à mes pieds.

— Tant pis, alors je la tuerai, affirma le jeune homme en serrant sa mallette contre lui.

Il se leva et se dirigea vers la sortie, vexé et intimidé à la fois. Personne ne le reconduisit à la porte. Immédiatement après son départ, un des hommes de main de Valnasser sortit de sa cachette dans le couloir et rejoignit son patron toujours confortablement installé au salon.

— Dois-je lancer des hommes à sa poursuite, monsieur Valnasser ? se renseigna-t-il.

— Oui, suivez cet idiot jusqu'à l'endroit où il cache mademoiselle Lobo et ramenez-la-moi. Et tâchez de lui sauver la vie, il ne serait pas déplaisant qu'elle ait une dette de cette ampleur envers moi. Elle serait un très bon membre de mon équipe, j'en suis sûr.

— Bien monsieur.

L'homme se retira pour aller donner les directives à ses subalternes.