Chapitre 34 - Ce mal qui ronge...

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James était assis à son bureau, plongé dans le noir du commissariat, solitaire. Il se prit la tête à deux mains et ferma les yeux pour réfléchir. Toute la journée il avait erré dans son immense maison vide sans savoir quoi faire.

Il tourna lentement la tête vers son portefeuille qui traînait sur le coin du bureau. Il l'avait lavé à plusieurs reprises, frotté jusqu'à ce que la moindre tache de sang disparaisse. Le jeune homme avait également pris un grand nombre de douches, comme pour se laver d'un crime potentiel. Il en avait profité pour pleurer et dissimuler ses larmes sous le jet d'eau. Il ne comprenait pas ce que son portefeuille faisait sur les lieux du crime, ni d'où provenaient les flashs qu'il avait eus, comme des visions de l'agression et du meurtre.

Des traces d'ADN avaient été retrouvées sur le corps de la victime, il s'agissait peut-être de la preuve qui innocenterait James, ou qui au contraire le condamnerait. Peu importe, il préférait ne pas connaître l'effrayante vérité pour l'instant. Sans doute parce qu'il devinait sa culpabilité latente, bien qu'il refuse de l'admettre. De toute façon il ne viendrait à l'idée de personne de comparer l'ADN retrouvé sur le corps de la victime à celui de James. Il n'y avait aucune raison que quelqu'un le soupçonne.

Le policier leva la tête en direction de l'ancien bureau de Khali. Personne ne s'y était installé depuis son départ, ou plutôt sa fuite. Une boîte en carton était posée sur la chaise et un petit bibelot fait de tiges de métal tournoyant sur elles-mêmes traînait juste à côté.

James se leva, hésitant, puis se dirigea vers le bureau. Il tendit la main vers le bibelot et l'effleura, perturbant momentanément l'harmonieux mouvement des tiges argentées. Il se tourna ensuite vers le carton et l'ouvrit. Il était presque vide. Quelques documents reposaient dans le fond, des stylos, un guide sur les musées et les expositions de la région, ainsi qu'une arme.

James s'empara du guide et le feuilleta. Il s'arrêta à la partie traitant du musée central de la ville, celui où il avait arrêté le jeune voleur Jérôme Legroin. Il tourna quelques pages et tomba soudain sur une photo du petit loup de cristal qu'il avait maladroitement brisé. L'image était entourée au marqueur rouge. James tourna encore la page et trouva un autre cercle rouge.

Il rapprocha le livre de son visage pour mieux voir. C'était une photo de groupe des employés du musée avec quelques clients de passage en arrière-plan, mais une seule personne était encerclée au feutre rouge.

James plissa les yeux et discerna finalement les traits du défunt Alphonse Grieux. Pourquoi Khali avait-elle souligné ces deux éléments ? Alors que le policier tentait de répondre à la question, un petit papier glissa entre les pages et tomba à côté de sa chaussure. Il se baissa pour le ramasser et lut :

" Al Grieux travaille au musée central. Il est embauché par la mystérieuse inconnue pour dérober le loup de cristal. Il se dégonfle et sous-traite son job à Jérôme Legroin qui échoue. Al G. n'a pas accompli son travail à temps, punition : la mort."

James voulut s'asseoir sur la chaise mais il se heurta au carton. Il s'assit alors sur le bureau en repliant le morceau de papier sur lui-même autant de fois que cela était possible. L'analyse que la jeune femme avait faite de l'enquête était parfaite de clarté. Il ne parvenait pas à expliquer tous ces éléments. Khali en savait beaucoup trop sur l'enquête, elle semblait y être impliquée d'une manière ou d'une autre.

De plus, sa disparition mettait James hors de lui. Il se sentait trahi et humilié. Il avait trompé Linnéa avec une femme qui ne l'avait apparemment considéré que comme une aventure d'un soir. Comment avait-il pu être aussi naïf ? Il serra les dents et cligna des yeux pour faire disparaître les larmes naissantes qui lui brouillaient la vue.

Il souffla pour évacuer ses idées noires et continua à fouiller dans le carton. L'arme de service de Khali était posée sur les dossiers. James la prit avec délicatesse comme on soulève un petit animal fragile et plaça le doigt sur la gâchette. Il sentait encore la présence et la chaleur de la jeune femme émaner de l'arme, exactement là où elle avait posé sa main et ses doigts délicats. Il avait le souvenir des caresses qu'ils avaient échangées, de leur souffle chaud et haletant au même rythme. Il entendait la respiration de Khali comme si elle avait été à ses côtés.

C'était réel, trop réel. Il y avait quelqu'un derrière lui ! James se retourna brusquement en braquant l'arme qu'il avait à la main. Le lieutenant Alicos se retrouva avec un canon froid sous le nez.

— Hé, du calme Jamessou, conseilla-t-il en reculant prudemment.

James baissa l'arme avec nervosité et la rejeta dans le carton.

— Excuse-moi, je... j'étais, j'étais...

— Tu étais... ? Oui, eh ben on va dire que ça me suffira comme explication.

James passa la main sur son front moite et s'appuya contre le bureau.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? ... souffla-t-il à voix basse.

— Tu devrais arrêter de te prendre la tête avec cette fille. Pars en vacances, éloigne-toi de la ville tant que l'affaire n'est pas résolue.

— C'est le meilleur prétexte que t'aies jamais utilisé pour obtenir une enquête et marcher sur mes plates-bandes.

— C'est pas pour te doubler, j'te jure.

— A quoi est-ce que tu joues ?! s'emporta brusquement James dans une colère sortie de nulle part, renversant rageusement tout ce qui traînait sur le bureau.

— C'est plutôt à toi qu'il faudrait le demander. Nan mais regarde un peu de quoi t'as l'air, on dirait un fou furieux.

— Ferme-la !

— Tu t'énerves sans aucune raison, t'as plus de sautes d'humeur qu'une femme enceinte !

— Tais-toi ! Mais bon sang tais-toi !

James luttait contre une subite envie d'étriper le rouquin. Il sentait une fureur noire déferler sur lui et il savait qu'il ne garderait pas longtemps le contrôle de ses actes.

— Cette fille t'a ravagé le cerveau, mon pauvre vieux ! poursuivit Alicos sur un ton moqueur mais mâtiné d'appréhension.

Le jeune policier ne tint plus en place. Il bouscula Gaétan contre le mur et se précipita vers l'ascenseur. Il devait s'échapper d'ici au plus vite. Trouver un endroit paisible où rien ne risquait de le mettre en colère ou de provoquer des réactions hors de son contrôle. Il n'avait aucun moyen de lutter contre cette chose qui le rongeait et qui le changeait peu à peu. Son salut résidait dans la fuite et la solitude, c'était seulement ainsi qu'il éviterait avec un peu de chance de faire du mal à des gens. Il était terrorisé à l'idée de ce qu'il pourrait faire, et de ce qu'il avait peut-être déjà fait.



Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant