Nuit Sans Lune (Terminé)

Chapitre 28 - Instinct sauvage

Deux hommes, un grand noir et un frêle asiatique, couraient côte à côte en pleine forêt. Le sentier était sinueux et parsemé de racines d'arbre, pour couronner le tout la pluie était de la partie. Le grand noir sortit une minuscule paire de jumelles de son sac en bandoulière et scruta l'horizon sans ralentir sa course pour autant.

— Maudite pluie, geignit l'asiatique en tentant de ne pas perdre le rythme.

— La ferme Nim, intima son collègue en rangeant les jumelles.

— Si j'avais su dans quelles conditions se déroulerait cette filature j'aurais jamais accepté le boulot.

— Tais-toi et cours plus vite ou il va nous semer.

— C'est que j'ai faim Bô, protesta Nim.

Le dénommé Bô ne répondit pas et poursuivit sa course avec rigueur et concentration.

🐺

A plusieurs mètres devant les deux hommes, James faisait du footing pour tenter d'éliminer angoisses et idées noires. A cause du froid, de la fumée s'échappait de sa bouche, ses cheveux humides lui brouillaient la vue et le bas de son vêtement de sport était plein de boue. Il s'était enfoncé loin dans la forêt, bien au-delà du trajet habituel du parcours de santé signalé par des panneaux. Personne ne passait jamais par-là, hormis peut-être quelques chasseurs. Sans ralentir la cadence, il songea tout à coup qu'il était bien loin de sa route. Il se mit alors à courir plus vite, fonçant droit devant lui. Il quitta bientôt le petit sentier désert pour s'aventurer sous les arbres. Soudain, il stoppa net. Il leva le nez et observa le toit de feuilles au-dessus de sa tête.

🐺

Bô s'arrêta le premier au bord du petit sentier. Nim continua un moment après le virage avant de revenir sur ses pas.

— On fait une petite pause ? demanda ce dernier, tout essoufflé.

Le grand noir se baissa et effleura le sol boueux du bout des doigts.

— Il a quitté le chemin à cet endroit, déclara-t-il en examinant la terre comme un pisteur expérimenté.

— Tu crois qu'il a remarqué qu'on le filait ?

— Possible, ça expliquerait pourquoi il a subitement accéléré comme ça.

— Tu penses pouvoir retrouver sa trace ?

— Je sais pas, hésita Bô. L'herbe et les feuilles brouillent la piste.

— Très bien alors on se sépare.

— Pourquoi ?

— J'en sais rien, c'est ce qu'ils disent d'habitude dans les films, et moi j'ai toujours rêvé de le placer dans une conversation.

Bô haussa les sourcils, incrédule, son collègue avait beau être un génie de l'informatique, il n'était décidément pas très efficace sur le terrain. Les deux hommes s'écartèrent finalement du sentier en s'éloignant progressivement l'un de l'autre et en tentant de rester discrets.

🐺

James avança encore d'un pas puis décida de ne pas aller plus loin. La branche sur laquelle il avait grimpé et se tenait maintenant accroupi commençait à émettre de petits craquements inquiétants. Le policier se pencha en avant et tendit l'oreille. Quelqu'un approchait en contre-bas. Le jeune homme se lécha les babines et se mit à respirer plus rapidement.

Une silhouette humaine marchait dans sa direction. Il s'agissait de Nim. James était de plus en plus nerveux sur sa branche instable, il se balançait d'un pied à l'autre presque comme un singe. Lorsque Nim fut suffisamment proche, le policier se jeta du haut de la branche, près de quatre mètres le séparaient du sol. Il poussa un hurlement bestial et fit chuter l'asiatique à terre. Le petit homme appela aussitôt son ami à l'aide mais James n'attendit pas plus longtemps pour attraper Nim par la veste et le jeter contre un tronc d'arbre. Il le rattrapa et le roua de coups. Il se défoula comme un fou furieux sur le pauvre homme, cognant, frappant, hurlant.

Seule l'arrivée de Bô détourna son attention de l'ivresse sauvage qui s'était emparée de lui. Il releva la tête, les yeux hagards, la bouche ouverte, l'air complètement dément. Bô leva le poing et fonça dans la direction de James en criant. Il remarqua au passage que son ami Nim était toujours en vie, quoique dans un piteux état, et se lança à la poursuite du policier.

James s'enfuit dans la forêt à une vitesse phénoménale. Il surmonta les souches et autres obstacles sur son chemin avec une agilité telle qu'il n'en fut pas même ralenti. A l'inverse, Bô resta accroché dans les ronces, trébucha sur une racine dépassant du sol et déchira son pantalon en enjambant un énorme tronc.

James accéléra encore, faisant fuir les animaux à son approche. Ce jeu le grisait. Il fonça droit devant lui, au-devant d'un profond bras de rivière. A aucun moment il ne fit mine de ralentir, ce ne fut qu'à la dernière minute qu'il s'élança au-dessus des eaux, les bras tendus en avant. Puis il retomba à quatre pattes sur l'autre rive.

Bô arriva quelques petites minutes plus tard. Il s'immobilisa au bord de la rivière. James lui lançait un regard mesquin depuis l'autre côté. Il hésita un instant puis le policier fila au loin, disparaissant dans le sous-bois. Bô renonça à sauter par-dessus la rivière pour le rattraper, de toute façon sa course était perdue d'avance. Il tourna sur lui-même pour inspecter les environs. Ni pont, ni liane. Rien. Un être humain normalement constitué n'aurait jamais pu traverser la largeur de cette rivière sans se jeter à l'eau...

🐺🐺🐺

James avait rêvé, il ne se souvenait plus de quoi. Il eut tout à coup l'impression de faire une chute de plusieurs mètres de haut. Il se réveilla en sursaut avec la désagréable sensation d'avoir un poids sur l'estomac. Son cœur mit plusieurs minutes à retrouver un rythme normal. Le policier soupira en mettant la main sur son front. Il n'était pas dans son lit mais dans la baignoire. Il ne se souvenait pas avoir fait couler un bain, peu importe. Il était tout engourdi et ne se rappelait guère ce qu'il avait bien pu faire aujourd'hui. Tant pis, il n'irait pas courir en forêt cette fois, il était bien trop fatigué. Il laissa ses muscles se détendre dans l'eau chaude et ferma les yeux. Pendant ce temps, son survêtement plein de boue et taché de quelques gouttes de sang tournait dans la machine à laver.