Nuit Sans Lune (Terminé)

Chapitre 51 - Maître Fosa

James était assis en tailleur sur un petit meuble de buffet et observait Khali qui préparait en silence un sandwich dans la cuisine.

— Où est-ce que tu as passé la nuit ? Je ne t'ai pas vue dans la maison, commença le jeune homme en rompant le silence pesant qui régnait sur le domaine depuis quelques jours.

— ... Je suis sortie jusqu'au parc aux sapins, comme tous les soirs depuis que je suis là, l'informa-t-elle à la fois surprise et soulagée qu'il quitte son monde de silence. J'aime y passer mes nuits.

— Et tu y passeras aussi la nuit sans lune ? C'est demain...

— Je sais...

— Et Jessica ne nous a toujours pas contactés.

— Je sais... Elle le fera. Il est encore largement temps. Elle nous torture davantage en nous faisant attendre, ça n'est pas surprenant.

— Dis-moi, dis-moi sincèrement. Je sais que tu sais.

— Quoi donc ? s'inquiéta la belle sans oser entamer son encas.

— Qu'est-ce que Jessica nous veut ? Elle a le médaillon, elle a ma femme. Mais nous, qu'est-ce qu'on a ?

Khali reposa son sandwich sur la table puis se tourna vers la fenêtre en soupirant, la main sur la bouche comme pour retenir les mots.

— Ne me mens plus, demanda le policier. Au point où on en est...

— C'est à moi qu'elle en veut, lâcha-t-elle dans une expiration libératrice.

— Tu la connais depuis longtemps ?

— Depuis que je suis un loup-garou. Oui, ça fait longtemps...

— ... Comment l'as-tu connue ? enchaîna James en comprenant qu'il devrait jusqu'au bout pousser la jeune femme à se confier.

— Elle a été la première élève de Fosa, mon maître. Nous avons vécu sous le même toit pendant trois ans, tous les trois, en ermites.

— Et... vous vous entendiez comment ?

— Parfaitement bien avec Fosa. Il était merveilleux. C'était un maître d'exception, sage et puissant.

— Mais avec Jessica ? Il devait y avoir des tensions entre vous deux, non ? De la concurrence entre deux élèves j'imagine...

— Son vrai nom est Kiyala... Et il n'y avait pas d'animosité, pas au début en tout cas. Nous nous entendions même très bien toutes les deux. A mon arrivée elle m'a bien accueillie et acceptée. Nous étions comme deux sœurs... Et Fosa était un peu notre père.

— Pourquoi ça a mal tourné alors ?

— Eh bien je... je suis tombée amoureuse de notre maître...

James ne la relança pas cette fois. Il ne voulait pas trop la presser et ainsi prendre le risque qu'elle se referme complètement et garde ses secrets.

— Je me suis confiée à Kiyala un soir... Elle a tout fait pour me décourager, elle disait que je devais refouler ces sentiments et les oublier à tout jamais.

— Et qu'as-tu fait ?

— Je ne l'ai pas écoutée... Je suis allée voir Fosa et je lui ai fait comprendre quelles étaient mes intentions... Nous sommes devenus amants. Dès lors mes relations avec Kiyala se sont détériorées. Il a commencé à y avoir de la concurrence entre nous deux. Pendant les combats d'entraînement nous avons fini par nous battre réellement et par nous blesser. Elle était jalouse, elle avait peur que Fosa ne me préfère à elle, après tout je n'étais que sa seconde élève, une de trop aux yeux de Kiyala, un accident de parcours.

— Comment est-ce que les choses se sont terminées ?

— Par la mort de Fosa...

James resta muet. En silence, il descendit du petit meuble sur lequel il était assis depuis le début de leur conversation et s'approcha de Khali mais sans oser la toucher. Elle lui tournait toujours le dos, ne fixant de ses yeux humides que le jardin à travers la fenêtre. Elle croisa les bras sur sa poitrine, releva la tête avec une profonde inspiration pour se donner du courage, puis termina son récit :

— Quelques semaines plus tard, j'ai surpris Kiyala et Fosa dans le même lit... Elle l'avait séduit pour me faire souffrir, mais ça ne lui suffisait pas... Plus tard je suis revenue dans la chambre pour dire à Fosa que je lui pardonnais, que j'étais prête à tout pour ne pas le perdre, mais c'était trop tard... Il avait été poignardé en pleine poitrine pendant son sommeil, une nuit sans lune. C'est Kiyala la responsable...

Des sanglots succédèrent à ces difficiles aveux. James prit Khali dans ses bras et tenta de la consoler par sa présence. Les mots ne pouvaient qu'aggraver son chagrin. Il n'aurait jamais pu imaginer un passé si douloureux à la jeune femme. Perdre son maître, père et amant à un aussi jeune âge. Toute sa vie en avait été bouleversée. Après plusieurs minutes de silence, Khali redressa la tête et regarda James dans les yeux, lui caressant la joue avec tendresse.

— Et j'ai peur pour toi maintenant, reconnut-elle.

— Tu crois qu'elle veut me tuer parce que... parce que...

— Parce que je t'aime, oui. Elle a mis un point d'honneur à détruire ma vie et tous ceux qui la partageraient. D'abord Fosa, ensuite toi. Kiyala me voue une haine sans pareille.

— C'est donc elle que tu poursuivais à travers le monde, tu veux te venger ?

— Peut-être. Je l'ai poursuivie sans trop savoir pourquoi, sans trop savoir ce que je ferais dans le cas où je la retrouverais. Mais je sais qu'elle n'a jamais été loin de moi, elle aussi me pistait. Je suis sûre que des gens la renseignent, c'est comme ça qu'elle a pu retrouver ma trace au Caire.

— Tu t'es enfuie en Egypte ? s'étonna le jeune homme.

— Ne parlons pas de ça, je suis là maintenant. Kiyala a les moyens de te tuer demain soir, mais elle ne le fera pas sans que j'assiste à son triomphe. Cette fois je ne la laisserai pas gagner.

— Nous ne la laisserons pas gagner. Je suis avec toi de toutes mes forces, de toute mon âme.

Khali déposa un baiser chaste sur les lèvres du policier puis se blottit contre lui. Elle ne s'était pas trompée sur son compte, il était le meilleur allié qu'elle puisse avoir à ses côtés.

🐺

Le lendemain, le facteur glissa une enveloppe jaunie dans la boîte aux lettres des Gardam. Il s'agissait d'un laconique courrier calligraphié sur un papier ancien aux bordures brûlées. Le message demandait à Khali et James de se présenter au portail de la villa Valnasser le soir même à onze heures et demi, et il était signé Jessica.