Chapitre 20 - Suspecte

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James entra dans le parking contigu au commissariat. Il fit plusieurs fois le tour de la petite place avant de trouver un endroit où garer sa voiture. Coincé entre un mur et une large automobile mal stationnée, il se faufila dans l'entrebâillement de la portière. A peine fut-il tiré d'affaire que le lieutenant Alicos le rejoignit en courant.

— T'en as mis du temps ! reprocha-t-il encore essoufflé. Et c'est quoi cette tache sur ta chemise ?

James épousseta la saleté qu'il avait récoltée en se glissant entre les deux voitures.

— Écoute Gaétan, poursuivit-il, je ne peux pas faire la causette avec toi. Le commissaire Thomas m'a demandé.

— Nan, c'est pas lui, andouille. C'est moi qui ai appelé, ta boniche m'a pas reconnu ?

— Victor n'a pas précisé de qui était l'appel, j'en ai déduit qu'il s'agissait du commissaire.

— Ben non, ça n'est que ton vieux pote Alicos !

— Ça va comme ça, je me suis disputé avec Linnéa à cause de toi, alors t'as intérêt à avoir quelque chose de valable pour justifier ma venue.

— D'accord, ensuite je te laisse rentrer chez toi tranquillement. Bon alors voilà, c'est à propos du lieutenant Lobo. Ta copine Khali, c'est ça ?

— Oh non, je t'arrête tout de suite. Tu vas pas recommencer avec ça ! supplia James.

— Attends, attends, c'est pas une plaisanterie cette fois. Honnêtement, je me fiche de savoir si tu couches avec elle ou pas, c'est pas ça le problème.

— Le seul problème c'est toi et tes insinuations douteuses, affirma James en lui tournant le dos.

— Ecoute-moi ! s'exclama Gaétan en rattrapant le policier par le bras. Ecoute-moi, s'il te plaît. Cette fille a quelque chose de louche, elle nous cache des choses.

— Tout le monde a des choses à cacher, toi, moi, la femme avec son caniche là-bas de l'autre côté de la rue, et Khali. C'est on ne peut plus normal.

— Gardam, elle nous dissimule volontairement des éléments capitaux dans cette enquête. Je ne lui fais absolument pas confiance.

— Tu ne fais confiance à personne, c'est pas nouveau.

— Tu savais, toi, que la seconde victime le vieil Alphonse Grieux et son frère le bijoutier Hubert Grieux s'étaient affrontés au tribunal pour une histoire d'héritage ?

James eut l'air surpris. Il demeura calme et ne chercha plus à fuir Alicos avec autant d'empressement.

— Alphonse a perdu le procès, près d'un demi-million lui est passé sous le nez et il l'a assez mal digéré. Si tu veux une preuve, pas de problème, affirma Gaétan en tirant quelques feuillets de son sac à dos, sûr de lui.

James parcourut avec intérêt les quelques documents, il remarqua essentiellement des comptes-rendus du tribunal qui confirmaient les dires d'Alicos. La dernière feuille était d'une texture différente, probablement un vieux papier recyclé, un texte manuscrit. Gaétan expliqua qu'il s'agissait d'une lettre de menace rédigée par Alphonse et envoyée à son frère le bijoutier peu de temps après sa défaite au procès.

« Hubert,

Tu as peut-être gagné ce procès mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

Cet argent me revient de droit. Qui a passé les dernières semaines de la vie de notre père à son chevet ? C'est moi. Tu as toujours joué les petits garçons sages avec lui, en fait tu n'es qu'un traître et un voleur. Je te laisse une dernière chance de me donner les trois quarts de mon héritage. Si tu refuses, sache que j'ai les moyens de me venger et je le ferai. J'ai des amis hauts placés qui ne demandent qu'à me rendre service...

Alphonse. »

— Tu vois, expliqua Gaétan, Alphonse était vraiment remonté contre son frère. Il aurait très bien pu organiser l'assassinat d'Hubert tout en prévoyant de cambrioler sa bijouterie pour récupérer le fric de l'héritage de façon détournée. Supposons qu'il y ait eu erreur sur la personne, le fils Geoffroy s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment et il a été refroidi à la place de son père. Ou alors on peut supposer que le fils d'Hubert a été assassiné en guise de mise en garde ou de vengeance.

— C'est une hypothèse qui tient la route, je te l'accorde. Tu devrais sérieusement creuser la piste. Mais quel est le rapport avec Khali ?

— Tu as vu comme moi l'état dans lequel a été retrouvé le corps de la première victime, Alphonse aurait été incapable de faire ça, c'est un vieillard qui a atteint l'âge de la retraite, il souffrait de rhumatismes et de problèmes respiratoires. J'en conclus donc qu'il a payé quelqu'un pour faire le sale boulot, comme il le laisse sous-entendre dans sa lettre de menace.

— Et qu'est-ce qui te permet d'accuser Khali ? Elle n'avait aucun lien avec ce type.

— Les tueurs à gages n'ont jamais de lien avec leurs employeurs. Écoute, Khali Lobo est allée interroger madame Grieux, tout comme moi. Elle a donc les mêmes informations et n'en a fait part à personne. J'ai demandé si Lobo ne s'était pas comportée de façon étrange, et tu sais ce que m'a répondu madame Grieux ? Que ta copine a eu l'air soulagée d'apprendre qu'il n'y avait pas de caméra de surveillance dans la bijouterie.

— Khali n'aurait pas fait ça, la défendit James en tentant de se convaincre lui-même.

— Ah non ? Et pourquoi nous a-t-elle caché des informations dans ce cas ? Parce qu'elle est coupable ! Elle veut nous empêcher de découvrir la vérité, voilà pourquoi !

James ne trouva rien à redire. Alicos l'avait mis au pied du mur, il ne savait plus que penser. Toutes les opinions qu'il s'était faites, le nouvel équilibre qu'il s'était bâti, s'en retrouvaient bouleversés.

— Elle t'a lancé sur une fausse piste James, persista Alicos. Et si tu ne me crois pas, j'ai une dernière chose à te dire.

James s'adossa à l'arrière de son véhicule, une main à la hauteur du visage comme pour se protéger des révélations de son collègue, le regard vague.

— Elle nous a menti à tous, toi, moi, le commissaire Thomas. Elle n'est pas plus lieutenant de police que je ne suis champion de boxe. Son histoire d'organisation qui regrouperait les meilleurs agents de la planète, c'est du bidon ; et c'était tellement gros qu'on a tout gobé comme des idiots. On a été bernés. Elle a trafiqué tout un tas de dossiers pour qu'on lui confie cette affaire de meurtre, elle est coupable, c'est évident, et elle veut faire porter le chapeau à quelqu'un d'autre.

— Non, lâcha James dans un souffle.

Il refusait de croire cela. Il devait y avoir une autre explication. Le jeune homme s'éloigna de la voiture et fit quelques pas en direction de l'entrée du commissariat.

— Demande-lui si tu ne me crois pas ! proposa Gaétan.

James se retourna vers son collègue, indécis. Quelques secondes s'écoulèrent avant que les mots ne s'ordonnent dans sa tête.

— Tu as déjà parlé de ça au commissaire ? demanda-t-il.

— Pas encore, je comptais le faire après t'avoir mis en garde... Fais bien attention à elle, ne te fais pas piéger par ses beaux yeux.

Puis James poussa la porte d'entrée. Le lieutenant Alicos resta debout sur le parking, se demandant si son camarade serait assez fort et perspicace pour déjouer les pièges de Khali. Sans doute en avait-il la force, mais en avait-il la volonté ?


Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant