Chapitre 47 - Le loup libéré

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Le policier grimpa au sommet d'un amas de roches instables. Quelques cailloux se désistèrent sous ses pieds et un nuage de sable poussiéreux se forma. Il faisait nuit, et la plaine était éclairée par la lune depuis les hauteurs montagnardes. James leva la tête et inspira profondément. Une odeur chérie éveilla ses sens. Il tourna vivement la tête, juste à temps pour apercevoir Khali le rejoignant sur son perchoir de pierre.

Sans dire un mot elle vint s'asseoir à ses côtés et il l'enlaça avec possessivité. Lorsque la jeune femme reposa sa tête contre l'épaule du policier, il effleura ses longs cheveux soyeux du bout du nez et se délecta de leur parfum. Un ronronnement rauque fit vibrer sa cage thoracique. Khali releva aussitôt la tête et fixa son amant d'un air effrayé. Elle baissa les yeux sur le cou du jeune homme et caressa d'une main tremblante l'endroit où aurait dû se trouver le pendentif. James saisit la main de la belle avec une force incontrôlée et se défendit sur un ton sec, quelque part entre le repentir et l'indignation :

— Je l'ai perdu en me battant... Désolé... Ce n'était qu'un médaillon après tout.

— Qu'un... médaillon... répéta-t-elle d'une voix absente, le regard perdu dans la nuit.

— Je t'en rachèterai un quand...

Le jeune homme s'interrompit brusquement et serra la mâchoire, pris de douleur. Il resserra son étreinte sur le bras de Khali, mais bien qu'ayant mal elle ne protesta pas. Elle se mordit la lèvre inférieure avec désarroi, au bord des larmes, impuissante. James sembla ensuite retrouver son calme, il laissa échapper quelques gémissements réprimés et s'allongea, le visage caché contre les cuisses de la jeune femme. Momentanément soulagée, elle le laissa se reposer près d'elle en lui caressant le dos et en susurrant des mots de réconfort pour l'apaiser.

— Ça va passer, murmura-t-elle avec tendresse.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? articula-t-il difficilement en relevant son visage aux joues rougies par les larmes.

— La lune est pleine, expliqua la belle en désignant l'astre qui surplombait la plaine d'un mouvement de tête. Le loup-garou se bat contre toi, et il va gagner.

— Alors abandonne-moi là, je ne veux pas te faire de mal.

— N'aie pas peur, tu sais bien que je suis un loup-garou moi aussi.

— La plus charmante de toutes les louves...

Elle se pencha pour l'embrasser sur le front.

— La transformation va être douloureuse, souligna-t-elle. Mais je serai avec toi.

— Ne me laisse pas alors, implora-t-il.

— Je te le promets.

— Et... et après ? Une fois que la bête a pris le contrôle de nos actes ?

— Tu ne te rappelleras de rien, il s'agit de ta première pleine lune. Ce n'est qu'après plusieurs mois d'efforts et d'entraînement que l'on peut parvenir à rester conscient.

— Alors on peut lutter ?

— Oui... Les gens qui ont un mental très fort en sont capables, on peut en partie garder le contrôle de ses actes. Mais les instincts sont toujours les plus forts et on ne peut pas les endiguer.

— Ça signifie que je serai toujours esclave du loup ?

Khali ne répondit pas à la question, mais son regard fuyant et son air démuni valaient toutes les réponses du monde. James fut brutalement secoué, il s'agrippa à nouveau à la main de la jeune femme et tout son corps se crispa. Elle étouffa avec peine un sanglot, démunie face aux souffrances de son amant. Le spectre de la lune brillait dans leurs yeux humides.

— James, le pendentif... reprit-elle.

Le policier retrouva momentanément une respiration plus calme et regarda la belle penchée sur lui avec attention. Elle plaça la main sur son torse, là où aurait dû reposer le petit loup d'or.

— Il a une grande valeur... se désola-t-elle.

James fronça les sourcils sans trop comprendre où elle voulait en venir. Il y eut un bref silence avant que Khali ne poursuive :

— Ce loup... c'était ta chance, ton salut...

— Comment ça ?

— Il a le pouvoir d'annihiler les instincts du loup-garou qui te rongent.

— Pourquoi ne m'as-tu pas parlé de ça plus tôt ? s'indigna le policier en tentant de se redresser sur ses coudes.

— J'avais l'intention de le faire ! Je ne pensais pas que tu le perdrais aussi vite. Ma première faute de maître...

— Si ce pendentif a un tel pouvoir, il faut qu'on le récupère ! s'emporta James, réfréné par une douleur dans l'abdomen.

— Ça ne sera pas si facile, le découragea-t-elle en le poussant à se recoucher. Sais-tu au moins où tu l'as perdu ?

— Oui, en me battant avec Jessica Arnold. Il suffit d'y retourner...

— Non, l'interrompit la jeune femme. Elle doit nous y attendre avec le collier.

— Elle connaît sa valeur ?

— Bien sûr, elle a forcément remarqué que tu t'es battu avec plus de rage et de bestialité après l'avoir perdu. Le pendentif enchaîne le loup-garou, tant que tu le gardes près de toi tu n'es plus qu'un simple humain, ça t'aurait évité les souffrances à venir...

— On récupérera le loup d'or et je te le rendrai, tu sauras mieux en prendre soin que moi.

— Non, à moi il ne me sert à rien.

— Pourquoi donc ?

— C'est ton loup, ton âme.

James fronça les sourcils, le regard douloureux et perdu.

— Lorsque quelqu'un devient un loup-garou, son âme et sa force sont faites prisonnières de la représentation de loup la plus proche, géographiquement parlant. Cela peut être une peinture, une sculpture... un bijou... En l'occurrence c'est mon pendentif qui se trouvait le plus près de toi quand... quand c'est arrivé...

— Et toi ? Ton loup, où est-il ?

— Je l'ignore, comme beaucoup d'autres loups-garous. Il est souvent difficile de retrouver la trace de son amulette, elle peut être à des dizaines de kilomètres.

— Alors tu es à sa recherche pour te débarrasser du loup en toi ? C'est pour ça que tu parcours le monde ?

— ... Je ne sais pas. Je cours après quelque chose mais j'ignore quoi. Peut-être que mon but est... est justement de trouver un but à ma vie, constata-t-elle avec un sourire moqueur pour elle-même.

Une convulsion violente saisit le policier et ses ongles s'enfoncèrent dans le bras de la jeune femme. Elle serra la mâchoire en même temps que lui, la souffrance était partagée, du moins mentalement si non physiquement. James ne tenta même plus de retenir cris et gémissements, il savait que la lutte était perdue d'avance. Il se mordit la lèvre inférieure et le goût du sang s'immisça bientôt dans sa bouche. La pierre était froide et humide sous son dos à demi dénudé, son pull s'entortillait autour de lui alors qu'il s'agitait frénétiquement sur le sol. Khali tentait prudemment de l'apaiser mais elle craignait de le gêner ou d'exciter sa colère davantage. Elle finit par se sentir exclue du combat de son amant et n'osa plus s'y mêler. Des larmes d'impuissance avaient roulé sur ses joues depuis longtemps déjà.

Depuis la plaine en contrebas, on ne distinguait que l'ombre du roc dominant et une silhouette qui semblait redresser la tête avec difficulté. Un hurlement animal envahit alors la nuit, se propageant dans la vallée et transmettant un intense sentiment de douleur. Tous les témoins de ce déchirant appel nocturne ressentirent un profond malaise qu'ils n'oublieraient jamais.



Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant