Chapitre 44 - Une bête enchaînée

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Khali fut éblouie par un furtif rayon du soleil levant. La grande porte de l'étable s'ouvrit en raclant le sol plein de paille et de sciure de bois humide. La jeune femme détourna la tête pour se cacher de la lumière du jour. Ses yeux étaient trop fatigués pour supporter un tel éclat.

La captive tira pour la énième fois sur ses chaînes, mais elles ne semblaient pas prêtes à céder. Seuls ses fins poignets pâtissaient de son acharnement, le sang coulait sur son bras jusqu'au coude où il gouttait lentement sur le sol.

Un homme à la bedaine enveloppée dans une salopette entra dans l'étable et s'approcha du tracteur. Trois grosses chaînes retenaient Khali prisonnière. L'une d'elle avait été abîmée, à deux doigts de céder. Le fermier secoua la tête et s'accroupit avec peine pour examiner la chaîne de plus près. Il prit le maillon fragilisé entre ses doigts potelés puis ouvrit le cadenas.

Pendant quelques minutes, les jambes de la captive furent libérées. Elle ne bougea pas et fixa l'homme comme un singe curieux observe les visiteurs qui passent devant sa cage. Elle le détailla, l'air de le découvrir pour la première fois, pourtant le père de Karl venait la voir deux fois par jour, juste le temps de lui retirer son bâillon pour qu'elle puisse avaler une bouillie infâme préparée par la maîtresse de maison. Il manquait quelques dents à cette dernière et son visage rond était creusé de nombreuses petites cicatrices.

Le fermier se releva en la regardant avec dédain et alla chercher une autre chaîne dans un petit placard attenant. Il avait voulu éprouver de la haine envers la meurtrière de son fils, mais les seuls sentiments que lui inspirait Khali étaient la crainte et la pitié. Il ne le cachait pas, il avait peur des réactions de la jeune femme. Elle pouvait parfois avoir l'air si calme, si humaine, puis se comporter comme le plus vif des prédateurs indomptés la minute d'après. On ne savait jamais où allaient ses pensées, l'alliance d'une intelligence humaine pointue et des instincts sauvages auxquelles répondait la belle incitait à une crainte justifiée.

Tous les soirs depuis l'arrivée de la captive, le père de Karl et sa femme entendaient des bruits d'agitation dans l'étable, des gémissements, des hurlements étouffés par le bâillon, le tout mêlé aux meuglements des vaches excitées, mais jamais le fermier n'avait osé aller voir ce qui se passait. Il n'était pas allé plus loin que devant la porte de l'étable où les cris l'avaient découragé.

Cette mademoiselle Lobo cachait assurément un secret effrayant, mais l'homme ne tenait pas à le partager. Bientôt son fils cadet aurait échangé la prisonnière contre une confortable rançon.

Il referma le cadenas de la nouvelle chaîne et se releva en toisant Khali de haut. L'ego de la belle ne supporta pas cet affront et un grognement rauque s'échappa du plus profond de ses entrailles. Le fermier ravala sa salive et recula. Il ne resterait pas plus longtemps dans l'étable ce matin, la prisonnière l'inquiétait tous les jours un peu plus.

Plus le temps passait et plus elle se comportait comme un animal en cage. Les moments de la journée où elle paraissait humaine et saine d'esprit se faisaient de plus en plus rares. C'était comme si la captivité avait fait ressortir son animalité latente. Mais même séquestrée et coupée du monde, elle savait que la prochaine nuit serait une nuit de pleine lune, elle sentait la force et l'énergie du pâle satellite monter en elle, dans ses veines et dans sa tête.



Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant