Chapitre 8 - Encore un meurtre

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Linnéa referma brutalement l'épais classeur. Il y eut un bruit sourd et un déplacement d'air. Elle réprima le long soupir qui lui chatouillait la gorge puis simula un sourire. La femme qui se tenait à ses côtés, rigide sur l'inconfortable chaise d'hôpital, avait tout l'air d'une institutrice de l'ancien temps, stricte et froide. Ses fins cheveux noirs, striés de gris et montés en chignon, étaient prisonniers d'un filet aux mailles étroites. Son nez long et droit supportait une paire de lunettes rondes, cerclées d'une fine monture couleur or. Rien ne semblait pouvoir troubler la sérénité de son visage sévère et fermé. Ses épaules étaient carrées et ses genoux soudés. Ses doigts aux ongles propres et soignés étaient entrecroisés sur une jupe beige. Celle-ci recouvrait en partie les genoux de la femme et ne présentait pas le moindre faux pli. Elle n'avait simplement pas l'air d'être taillée pour un travail qui demandait imagination et originalité. Tout ce que contenait son classeur était méthodique, géométrique, froidement mathématique.

— Écoutez, madame Schneider, je dois dire que vos références m'impressionnent assez, et votre classeur est vraiment très épais...

— Mais ? croassa durement la femme.

— Disons que je recherche quelqu'un d'un peu plus... fantaisiste.

— Je vois, acquiesça-t-elle sur un ton totalement neutre.

— Comprenez-moi, j'ai besoin de quelqu'un qui partage les goûts et le style de la maison, sans cela les clients seraient déçus. La CDG a une image et je me dois de la préserver.

— Je comprends.

La femme se leva calmement et récupéra le classeur, elle le cala sous son bras et serra la main de Linnéa. Cette dernière se sentait mal à l'aise, non pas parce qu'elle avait refusé le poste à madame Schneider, mais parce que le manque apparent de déception et l'impassibilité de cette femme la déstabilisaient. Ce comportement pacifique cachait-il un feu sous la glace ?

— Voulez-vous que je fasse appeler une infirmière ? s'enquit la femme avec un air hautain. Il me semble que votre teint soit plus pâle qu'à mon arrivée.

Elle avait un avantage sur la blessée, certaine de l'effet qu'elle produisait sur celle-ci. Linnéa remonta les couvertures sur elle et s'empressa de répondre, simulant sa confiance en elle :

— Ça ira, merci. Désolée de vous avoir fait déplacer pour rien.

La lèvre supérieure de la femme se souleva sensiblement en un semblant de sourire, dévoilant des dents régulières à la teinte grise. Elle se retourna avec une vivacité et une tenue toute militaire puis se dirigea vers la porte. Elle croisa James sans abaisser le regard au niveau de l'homme puis traversa le couloir en direction de l'ascenseur. Le policier la regarda s'éloigner, surpris. Il avait glissé un « bonjour » poli à la dame qui n'avait même pas daigné répondre. Il haussa les épaules puis avança le second pied dans la chambre de la jeune femme :

— C'était qui, ça ?

— Madame Schneider. Elle est venue passer un entretien pour le poste d'assistante.

— Déjà ? Mais ça n'est pas possible, je n'ai déposé l'annonce au journal qu'hier soir.

— Je sais, mais si je veux dénicher la perle rare il faut que je me mette à sa recherche au plus tôt. Hier soir, après ton départ, j'ai téléphoné à Marie-Rose, mon amie de l'agence pour l'emploi, et elle m'a proposé deux personnes. J'ai eu un bref entretien avec madame Schneider à l'instant et je reçois mademoiselle Alcox dans l'après-midi. D'autres questions, lieutenant ? demanda Linnéa d'un air amusé.

— Non, le rapport me convient, chère suspecte. Mais ne te fatigue pas trop, je t'en prie.

James serra son épouse contre lui et fut soulagé de constater que, malgré leurs problèmes et la distance qui s'était immiscée entre eux, son cœur battait toujours manifestement plus vite lorsque leurs deux corps se rapprochaient. Il devait admettre qu'il en avait douté. Son visage s'illumina d'un involontaire sourire reflétant à la fois son amour et son soulagement. Ses doigts refroidis par la fraîcheur du temps fendirent les mèches de cheveux répandues sur les épaules de la blessée puis, sans se détacher d'elle, les yeux fermés, le policier demanda avec sarcasme :

Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant