Chapitre 49 - Sans espoir

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De la lumière filtrait sous la porte et à la fenêtre de la cuisine. James fouilla dans la poche intérieure de son blouson sale et déchiré mais il avait bel et bien perdu ses clefs. Il ne lui vint même pas à l'idée d'essayer d'ouvrir la porte simplement avec la poignée. Irrité à l'extrême, il se munit d'un pot de fleur décorant les marches de l'escalier et l'envoya briser la vitre de la cuisine.

Le policier sembla s'apaiser quelque peu, il s'agrippa au rebord de la fenêtre et s'y hissa agilement. Il fut chez lui en un bond, à pieds joints dans la terre du pot de fleur disséminée sur le carrelage. Dans la cuisine, tous les placards étaient grands ouverts, ainsi que le réfrigérateur et le four. Les chaises étaient renversées sur le sol et la table avait été négligemment déplacée près de la porte.

James prit quelques profondes inspirations et ne fut pas surpris de distinguer une odeur qu'il avait appris à identifier, une odeur qu'il connaissait bien maintenant, une odeur de loup... Il inspira encore plusieurs fois en faisant le tour de la pièce. Une odeur humaine flottait également dans l'air. Plusieurs hommes étaient venus tout saccager ici.

James se précipita vers la porte et passa dans la salle à manger qui avait été tout autant maltraitée. Les tableaux de Linnéa traînaient sur le sol, piétinés, déchirés, massacrés. La jeune femme en aurait versé des litres et des litres de larmes amères.

— Linnéa ! s'écria subitement le policier. Linnéa ! Où es-tu ?

Il n'y eut pas la moindre réponse. Inquiet, James fit rapidement le tour du rez-de-chaussée sans cesser d'appeler son épouse. Partout les meubles étaient dans le même état pitoyable, les lumières et les appareils électriques avaient été laissés allumés. Une véritable tempête semblait être passée par ici, et même là il n'y aurait probablement pas eu autant de dégâts.

James courut à l'étage en escaladant les marches de l'escalier trois par trois. Il arriva en haut, plus essoufflé par l'inquiétude que par l'exercice, et courut d'une pièce à l'autre en découvrant partout le même spectacle de désolation.

Le jeune homme s'immobilisa soudain en entrant dans sa propre chambre. Il semblait s'être arrêté de bouger, de cligner des yeux, de respirer. Un spectre de mort traversa son champ de vision. Il fit encore un pas à l'intérieur de la pièce mais fut stoppé net par l'effroi. Sur la couette en désordre du lit se trouvait une longue mèche de cheveux appartenant à Linnéa.

Ce n'était pas flagrant à distance, mais l'odorat affiné du jeune homme reconnut l'odeur à la fois alléchante et repoussante de quelques taches de sang. Il tourna la tête vers le grand miroir au fond de la chambre où un message rédigé au rouge à lèvre sombre avait été laissé à son intention. Il put lire :

« D'abord ta femme, ensuite toi... »

Toute cette mise en scène pour l'effrayer. Cela avait fonctionné...

James réagit aussitôt et quitta la maison en courant. Il se rendit jusqu'au parc aux sapins qu'il parcourut de long en large plusieurs fois. Mais seuls quelques promeneurs insignifiants entendirent ses cris désespérés. Il avait tant besoin de Khali...


🐺🐺🐺


Plusieurs jours s'écoulèrent, tous identiques les uns aux autres, tous aussi sombres, déprimants et sans fin. James errait comme un fantôme dans les couloirs de sa grande maison vide. Il avait tout perdu, sa femme, sa maîtresse, son humanité, tout jusqu'à l'espoir. Plus rien ne le rattachait à la vie et il se laissait patiemment dépérir. Il n'attendait plus que la mort comme le prédisait l'inscription sur le miroir de sa chambre. Depuis qu'il avait constaté la disparition de Linnéa, le jeune homme n'avait eu aucune nouvelle, et c'était bien là le pire. Cette insoutenable attente le rendait fou, il se sentait abandonné et impuissant. Il n'avait plus aucune volonté. Toutes ces épreuves l'avaient anéanti.


🐺🐺🐺


Khali remercia le marchand de djellaba dans un arabe parfait puis reprit sa déambulation dans les rues surpeuplées du Caire. Cela faisait une semaine maintenant qu'elle avait quitté la France en laissant James derrière elle. En sept jours elle avait failli sauter dans le prochain avion en partance pour Paris au moins dix fois. Ses sentiments étaient encore très forts et profondément ancrés mais le retour à la vie solitaire qu'elle avait toujours menée lui rendait cette force et cette détermination qui la caractérisaient. C'était une lutte permanente, mais elle savait qu'elle finirait par reprendre le contrôle de son cœur... Belle illusion, mais convaincu est celui qui y croit, et qui veut y croire.

Khali regarda autour d'elle, les sons entraînants d'une mélodie orientale flottaient sur la place, entre les petites échoppes et leurs tenanciers qui donnaient de la voix pour faire leur publicité. La jeune femme s'approcha d'une troupe de musiciens traditionnels accompagnés de frétillantes danseuses voilées. Un timide sourire éclaira son visage fermé, mais la belle sursauta soudain intérieurement.

L'unique signe extérieur de trouble qu'elle laissa échapper fut une brusque inspiration. Elle avait enfin trouvé le courage d'abandonner le passé et de repartir à zéro, mais le destin la poursuivait où qu'elle aille. Parmi les senteurs diverses qui composaient un parfum chaleureux et exotique dans les rues marchandes du Caire, Khali venait d'être rattrapée par l'odeur fauve d'un loup-garou...

Elle resta figée quelques instants. L'idée de la fuite traversa son esprit, mais elle savait que cela ne servirait à rien et que tôt ou tard elle allait devoir faire face à ce qu'elle était, à ce qu'elle avait été...

Une danseuse aux grands yeux noisette et au teint bien plus pâle que celui des égyptiennes s'approcha alors de Khali en remuant lascivement les hanches, poursuivant sa chorégraphie autour d'elle pour le spectacle des badauds.

— Bonjour Khali... chuchota-t-elle derrière son voile.

Le murmure avait été partiellement couvert par les cris, les discussions et les applaudissements des passants. Khali ne bougea pas, suivant du coin de l'œil les péripéties de l'inconnue voilée.

— Tu sais qui je suis, n'est-ce pas ? poursuivit la danseuse sur un ton à la fois mielleux et cynique.

— Oui, répondit froidement Khali. Maintenant je sais qui tu es...

— Alors tu sais ce que je veux.

Il n'y eut aucune réponse. La danseuse poursuivit la démonstration de ses talents tandis que le rythme de la musique s'accélérait.

— J'ai le précieux médaillon de ce cher James Gardam à qui tu sembles tant tenir... siffla Jessica tel un serpent prêt à l'attaque.

— Laisse-le en dehors de ça.

— Mais non voyons, ricana-t-elle. Il est la clef.

Jessica s'en alla virevolter autour des musiciens mais finit par se rapprocher à nouveau de son ennemie de toujours pour une seule et dernière annonce assassine :

— A la prochaine nuit sans lune, James mourra.

Une grille se referma lourdement sur l'horizon de Khali. La liberté qui, cinq minutes plus tôt, lui tendait encore les bras, lui semblait dorénavant une inaccessible utopie. La jeune femme regarda la danseuse disparaître derrière un rideau tendu. Elle parvint difficilement à se retenir d'aller la rattraper pour l'affronter sur-le-champ, cela n'aboutirait à rien de bon. Elle se doutait bien que Jessica n'était pas seule ici et qu'elle n'aurait pas pris le risque d'emporter le pendentif avec elle. Si la voleuse ne parvenait pas à ses fins, quelqu'un d'autre se chargerait d'éliminer James à sa place. Khali n'avait pas d'autre choix que de jouer à son jeu macabre...



Nuit Sans Lune (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant